Couverts végétaux, d’une contrainte technique à des outils agronomiques performants

Matthieu Archambeaud - TCS n°51 ; janvier / février / mars 2009

La couverture du sol entre deux cultures devient un sujet d’actualité avec ce qui pourrait devenir une obligation de semer un couvert végétal entre deux cultures à partir de 2010. Cette approche environnementale est motivée par les résultats de l’utilisation des plantes en interculture comme pompe à nitrates, complémentaire à la réduction et au pilotage de la fertilisation, ainsi qu’à la mise en place de filtres entre la parcelle et le « milieu extérieur ». Cette orientation réglementaire et administrative, qui est souvent perçue comme une contrainte, peut devenir une chance, à condition que chacun soit informé et convaincu des réels bénéfices agronomiques qu’il y a à investir dans des couverts végétaux performants, plutôt que de jeter quelques graines de moutarde ou d’avoine au sol juste avant l’hiver. Ayant intégré avant l’heure ce dossier, pour remplacer l’acier et le fuel par des racines et de la photosynthèse, les TCSistes ont réussi à développer des couverts performants et rentables, ainsi qu’un savoir-faire et une expérience intéressante pour tous les types d’agriculture.

De l’avoine au concept biomax

Bien avant l’approche Cipan (culture intermédiaire piège à nitrates), les agriculteurs « alternatifs » ont très vite compris l’intérêt agronomique des couverts végétaux et autres engrais verts dans leurs systèmes. Ces agriculteurs ont été obligés de contourner des problématiques spécifiques, qu’il s’agisse de l’absence de travail du sol en TCS ou le manque de disponibilité et le coût des engrais en système bio. Ces pionniers ont testé, développé et mis en place des systèmes de couverture de sol entre les cultures, que ce soit pour développer une structure de sol et des états de surface compatibles avec les TCS et le semis direct, ou encore pour recycler et fixer de l’azote dans des systèmes limités en engrais. Ainsi, dès les débuts du non-labour en France, quelques pionniers utilisaient déjà la moutarde, la phacélie ou l’avoine comme couvre-sol. Par la suite, l’arrivée des semoirs brésiliens, quasiment importés avec des couverts, a permis de valider et de confirmer la nécessité et l’opportunité des couverts d’interculture. L’espèce de prédilection est à l’époque l’avoine, très populaire en raison de son succès en Amérique du Sud, mais aussi pour ses avantages en termes de coût et de facilité d’implantation. De plus, essentiellement destinée à couvrir les intercultures longues avant culture de printemps, elle est particulièrement adaptée pour les semis tardifs tout en ayant une bonne capacité de structuration des sols en hiver. Cette espèce a cependant montré beaucoup de limites : problèmes de faim d’azote, de limaces, de maladies ou encore de gestion du salissement, sans compter l’utilisation obligatoire de glyphosate ou de travail du sol pour détruire le couvert. Enfin, la faible biomasse produite et sa parenté avec les céréales dominant les rotations françaises ont conduit à la remettre en question. Aujourd’hui, l’avoine conserve quand même toute sa place parmi une multitude d’autres options, sans compter qu’elle a été un excellent support pour comprendre les interactions entre couverts et fertilité, afin de construire des approches plus performantes.

Produire un maximum de biomasse diversifiée

Les couverts végétaux, s’ils sont un investissement dans les premières années, permettent des bénéfices rapides et durables par la suite. La biomasse est à ce titre un excellent indicateur car le rendement du couvert est proportionnel à ses effets. Plus de biomasse signifie en effet plus de matière organique, plus de racines et donc davantage de structure, plus d’activité biologique et plus de recyclage et de mobilisation d’éléments minéraux. Plus de biomasse, c’est également moins de salissement et une meilleure destruction par le gel. Au final, c’est l’efficacité du système qui est améliorée sur le moyen terme, permettant une amélioration de la productivité et l’ouverture sur d’autres itinéraires techniques.

Le déclic s’est fait progressivement, d’abord grâce aux retombées en France des travaux de Lucien Séguy et de son équipe de chercheurs du Cirad, puis avec les visites successives d’Ademir Calegari, scientifique brésilien de l’Iapar (Institut agronomique du Parana). Ce dernier nous a permis de comprendre les principes de base, très simples, permettant d’obtenir des couverts à forte biomasse, autrement dit des couverts efficaces et performants. La première règle étant de choisir des espèces adaptées à la saison d’interculture et si possible différentes des espèces cultivées. Ainsi, les Brésiliens ont sélectionné des plantes comme l’avoine diploïde car leurs rotations comprennent davantage de cultures telles que le maïs et le soja et moins de céréales à paille. Au contraire, en France, c’est l’introduction de plantes autres que les graminées qui a permis l’explosion des rendements.

Constituer un cocktail performant

Ainsi, nous sommes revenus à des crucifères comme la moutarde et le radis, sans oublier d’autres classiques comme la phacélie. Cependant, les difficultés d’implantations et le manque de réussite avec des semis précoces ont conduit à essayer avec succès des plantes comme le tournesol ou le lin, mieux adaptés au semis d’été. Dans la foulée, sont également arrivées sur le marché de nouvelles plantes telles que le nyger, la cameline ou la navette. Parallèlement, l’avoine noire classique est devenue diploïde, une espèce sélectionnée en Amérique du Sud, plus agressive et capable de produire de 3 à 5 t/ha de matière sèche en trois mois.

Enfin, avec les soucis de faim d’azote et la hausse des engrais, les légumineuses ont été progressivement réintroduites pour compléter la biomasse et développer plus rapidement le fameux PEA (plan d’épargne en azote). Les espèces sont variées, qu’il s’agisse des trèfles (d’Alexandrie, de Perse, incarnat), des vesces (commune, velue ou rapide), des pois fourragers, de la gesse ou de la lentille, sans oublier la féverole (avec des variétés à faible PMG de type Diana) ou encore le fénugrec et le sula. En dehors de l’aspect psychologique, il n’existe pas de contre-indication au mélange d’espèces et au contraire, les avantages sont nombreux.

Davantage de biomasse, meilleure couverture du sol et meilleure gestion du salissement avec une compétition aussi bien aérienne que racinaire. D’un point de vue économique, le mélange de semences plus ou moins onéreuses permet de profiter de plantes coûteuses à plus faible dose, tout en augmentant fortement la probabilité d’obtenir un couvert, quelles que soient les conditions de l’année : si le tournesol ne pousse pas, le radis prendra peut-être le relais à l’automne. Si la moutarde est défoliée, la phacélie compensera sans doute, etc. D’un point de vue agronomique, ce sont bien entendu les fortes capacités de structuration des mélanges de couverts qui ont été utilisées, car ils permettent une structuration plus profonde et de meilleure qualité, d’autant plus qu’en été, les plantes doivent s’enraciner profondément pour chercher l’eau et les nutriments.

Avec le concept Biomax (BIOmasse et BIOdiversité MAXimale), nous avons été les premiers surpris d’être capables de produire en France entre 4 t/ha et 10 t/ha (au lieu de 1 a 2 t/ha) de biomasse entre le mois d’août et le mois de novembre, soit une production annuelle de biomasse digne des pays tropicaux : 7 t/ha de blé, 4 t/ ha de paille et 6 t/ha de couvert donnant de 15 à 20 t/ha de végétation produite sur l’année. À titre d’exemple, le mélange de 15 espèces de la photo, semé directement derrière blé en prévision d’un maïs, présentait une biomasse aérienne de 6 à 7 t/ha début décembre ; elle contenait 160 kg/ha d’azote, 26 kg/ha de phosphore, 150 kg/ha de potassium, 81 kg/ha de calcium, 11 kg/ha de magnésium, 19 g/ ha de cuivre, 220 g/ha de zinc, 121 g/ha de bore et 240 g/ha de manganèse. Avec ce mélange, nous avons dépassé la notion limitée de Cipan : si le couvert recycle effectivement de l’azote, il en est de même pour tous les autres éléments minéraux, ce qui permet de renforcer progressivement le volant d’autofertilité et de déboucher sur des économies d’engrais. De plus, l’association avec des légumineuses permet de produire d’intéressantes quantités d’azote (que l’on peut estimer ici à 60 unités) sans risque pour l’environnement.

Semer le plus tôt possible

Si la réussite des couverts végétaux dépend des espèces utilisées et de leur mélange, le dernier point à respecter est de semer le plus tôt possible derrière la moissonneuse-batteuse, voire avant ou pendant la récolte. En effet, la culture a de grandes chances d’avoir conservé l’humidité des premiers cm de sol, ce qui suffit généralement à assurer la levée du couvert. La période favorable peut être très brève car après la moisson, le sol sèche rapidement. Le semis direct est à cet égard un moyen de sécuriser la levée, tandis qu’en TCS, il faut souvent déchaumer d’abord et semer lors du second passage, ce qui retarde l’implantation mais surtout peut assécher la surface.

Le deuxième point est qu’un semis précoce permet de profiter de jours de végétation plus longs en été qu’à l’automne  ; comme le dit l’adage « un jour d’été c’est quatre jours d’automne ». De plus, un couvert installé précocement a tout l’été pour s’enraciner, s’installer et mettre en place « l’usine verte », avant de profiter au mieux des pluies et de la minéralisation d’automne. C’est dans ces conditions que l’on parvient à produire de grandes quantités de biomasse qui dépassent facilement 5 t/ ha et peuvent atteindre 10 t/ ha de MS à l’automne après céréale.

À l’inverse, semer un couvert en septembre avant une implantation d’hiver ne permet pas aux plantes de profiter de conditions favorables. Si l’effet Cipan est efficace, ils sont cependant moins performants sur les autres aspects agronomiques. Qui plus est, des espèces telles que la moutarde, semées trop tardivement, risque de survivre à l’hiver. Au contraire, des couverts d’espèces estivales semés tôt vont se détruire naturellement dans l’hiver sans qu’aucune destruction chimique ou mécanique ne soit nécessaire.

Mener les couverts comme des cultures

Dès l’instant où le couvert est considéré comme un pilier du système de production, il devient une priorité et il devient nécessaire d’y apporter quasiment le même soin qu’à une culture, tout du moins en ce qui concerne l’implantation. Si les solutions de semis à la volée sont intéressantes (notamment avant ou pendant la récolte) assurant des coûts très faibles, elles ne permettent pas de mettre en place des mélanges complexes. Mieux vaut alors investir dans un semis classique, en TCS ou en semis direct, au disque ou à la dent. Le positionnement de la graine dans le sol permet, comme pour une culture, de mettre l’ensemble des semences en conditions favorables, d’autant plus en été que le risque d’assèchement de la surface est grand.

Par ailleurs, assurer la levée dans certains secteurs aux sols superficiels, peut vouloir dire fertiliser au semis. Cette option, qui demeure aberrante dans une logique Cipan, ne l’est plus si on raisonne en termes d’investissement de départ dans une usine verte : que pèsent quelques dizaines d’unités d’azote si on en récupère 150 et plus au bout et qu’on lance le volant d’autofertilité ? Dans les zones d’élevage, ce type de réflexion permettrait d’ailleurs de placer tout ou partie des effluents dans les couverts en fin d’été, avec beaucoup moins de préjudices pour les sols qu’avec des épandages du début de printemps, tout en favorisant la valorisation de ces engrais de ferme que le sol et l’activité biologique vont avoir le temps de digérer. Enfin, si la gestion du désherbage ne se fait plus à l’échelle de la culture mais à celui de la rotation, pourquoi ne pas désherber le couvert plutôt que la culture ? Dans l’exemple d’une interculture entre deux céréales en semis direct, il suffit de mettre uniquement des dicotylédones dans le couvert et d’éliminer chimiquement repousses et graminées. Il est possible ainsi d’éviter d’utiliser un glyphosate au semis tout en facilitant le désherbage par la suite.

Des couverts à une deuxième récolte

Grâce au soin apporté à la qualité du semis et à la réduction des délais d’implantation en TCS, le concept de couverture a rapidement débouché sur des idées de cultures et fourrages en dérobées, chez les agriculteurs désireux d’amortir leurs coûts. C’est ainsi que reviennent en force les cultures classiques de type sarrasin, millet ou caméline, mais également des cultures à indice court, semées derrière une récolte précoce telles que le tournesol de 100 jours ou peut-être bientôt la moutarde, le maïs nain… Les possibilités pourraient d’ailleurs s’accroître encore davantage avec une sélection variétale orientée vers cet objectif.

De concert, s’est aussi développé tout un travail de mélange des cultures, débouchant aujourd’hui sur le concept validé de colza accompagné ou de mélanges fourragers. La réflexion n’en est plus aujourd’hui au simple couvert post-récolte, mais aussi au couvert pré-semis (légumineuses avant maïs, crucifères avant blé…) ou encore au couvert mené dans la culture (colza et trèfle incarnat, maïs et légumineuses, tournesol et sarrasin…).

Une boîte à outils agronomique

Sur la base de ces quelques principes simples et au vu des résultats obtenus, les TCSistes et SDistes se sont appropriés les couverts végétaux et en ont fait une priorité culturale. Ils ont multiplié très rapidement les références, accélérant leur progression dans les systèmes en agriculture de conservation. Le concept de biomasse maximale reposant sur une diversité maximale (biomax), non controversé à l’inverse du non-labour, est ainsi désormais officiellement relayé par les instituts techniques et les chambres d’agriculture. Le feu d’artifice continu des idées et des solutions apporte chaque année de nouvelles espèces dans la panoplie. C’est par exemple cette année le radis chinois, avec sa racine perforante et sa forte biomasse racinaire, qui est entré dans la liste des « outils multifonctions ». La couverture passe ainsi du statut de protection des sols à celui d’outil agronomique spécifique, choisi en fonction des objectifs et des rotations.

Le couvert n’est plus seulement un bouche-trou, mais le précédent de la culture à venir. Il sert à préparer la structure et les états de surface, la fertilité et la disponibilité en éléments minéraux, il dope l’activité biologique avant même le semis et peut contribuer à réduire les risques sanitaires et de salissement. Pour ce dernier point, l’efficacité d’étouffement remet même en question les pratiques de déchaumage et de faux semis, avec d’éventuelles possibilités de désherbage dans le couvert plutôt que dans la culture qui suit.

Beaucoup de systèmes en TCS et semis direct, auparavant bloqués par des problèmes de structure et de fertilité des sols, ont pu progresser très rapidement grâce aux couverts végétaux. Ceux-ci facilitent le semis direct qui, en retour, facilite également l’implantation des couverts, puis permet d’ouvrir sur toujours plus de production, de diversité et donc d’efficacité. En moins de dix ans s’est développé un outil de travail à part entière qui prépare sans doute une véritable révolution dans les systèmes agricoles ; un outil polyvalent quel que soit le travail du sol, mais qui reste intimement lié au TCS et au semis direct. Si le plus gros du travail est réalisé, des progrès sont encore certainement possibles, qu’il s’agisse du calage des couverts avant, pendant et après les cultures ou des espèces et variétés à venir.


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