Avec ce numéro de TCS, nous instituons une nouvelle rubrique consacrée à l’agriculture biologique. Si cette ouverture peut surprendre et laisser penser que nous sommes influencés par le discours ambiant, les effets de mode, c’est avant tout le terrain qui guide ce choix. D’une part, de plus en plus de TCSistes s’inspirent et considèrent l’AB comme un prolongement possible de leur démarche. D’autre part, des agriculteurs bio, conscients de l’impact négatif du travail du sol, cherchent à s’en affranchir en incorporant certaines de nos approches. Dans ce monde d’opposition stérile entre ce qui est bon et ce qui est forcément mauvais, l’AC et l’AB semblent ainsi plutôt complémentaires et convergentes sur de nombreux points :
Les limites de l’agriculture conventionnelle qui, « grâce »
au gaspillage d’énergie et d’eau, est en partie responsable de
l’effondrement de la fertilité autonome des sols pouvant aller
jusqu’à l’érosion et la perte de sols productifs dans des
situations extrêmes. Cette même agriculture doit également
recourir massivement aux engrais et produits phytosanitaires
pour corriger des déséquilibres dont les pratiques culturales
sont souvent la cause. Avec le temps, l’ensemble débouche
sur l’appauvrissement de la biodiversité au sein des parcelles
et des paysages pourtant capables de limiter naturellement et
gratuitement bon nombre de ravageurs qui profitent
aujourd’hui des desserts « verts » que nous avons développés.
Concernant les enjeux plus globaux, même s’il existe une
différence d’approche relative aux besoins de production,
l’AC et l’AB se retrouvent largement dans l’analyse de la
situation et dans les solutions potentielles proposées comme la
relocalisation des échanges, le recyclage des produits non
renouvelables, la limitation de la consommation en énergie :
la majorité des grands ingrédients du développement durable.
La suppression de l’élément jugé le plus nocif est le pilier,
le moteur du changement dans chacun des deux systèmes. Si
pour l’AC c’est le labour, et en général le travail du sol
impactant de manière forte l’activité biologique, le recyclage
des matières organiques et la fertilité minérale, qui est
abandonné afin de permettre aux sols de retrouver une
couverture et se réorganiser à l’abri ; en AB c’est la « chimie ».
Considérés comme « poison », ce sont les engrais et les
produits de synthèse perturbateurs des chaînes trophiques ;
polluants qui sont bannis. À ce niveau, il n’existe pas vraiment
d’opposition et les objectifs sont identiques : redonner vie aux
sols et limiter l’impact de l’agriculture sur l’environnement.
Seulement les premiers concentrent leur action sur le milieu,
l’habitat, et les autres sur le vivant et les acteurs. En
complément, chaque orientation garde dans sa boîte à outils,
et à défaut de mieux, soit les phyto en AC ou le travail du sol
en AB comme filet de sécurité tout en en mesurant les limites.
C’est pour ces raisons que de nombreux TCSistes cherchent à
réduire l’utilisation d’engrais et de phyto,
qui au-delà du coût que cela représente,
impactent négativement les équilibres
qu’ils s’efforcent de retrouver. Et c’est pour
les mêmes raisons que des agriculteurs bio
envisagent de s’affranchir du travail
agressif du sol.
Le développement d’une approche
système et le retour au bon sens
agronomique sont les principaux
ingrédients de l’agriculture biologique et
de la simplification du travail du sol.
Comme il ne suffit pas de supprimer de
manière simpliste herbicides et fertilisants
de synthèse pour réussir en AB, le seul
abandon du labour, stricto sensu, est
plutôt synonyme de compaction,
d’enherbement et d’échec en AC. Quel
que soit l’axe d’entrée, la réussite passe avant tout par
l’observation, l’accompagnement, l’expérimentation,
l’acquisition de nouvelles connaissances et l’échange au
travers de réseaux très ouverts et dynamiques. L’AC et l’AB
sont de vraies agricultures de terrain et de paysans avec la mise
en oeuvre de stratégies globales intégrant un maximum de
diversité dans les cultures et rotations, des couverts végétaux
performants et promoteurs de fertilité, une approche plus
organique et l’encouragement de la biodiversité pour maîtriser
et enrayer ravageurs et maladies sans vraiment les éradiquer.
L’innovation technique est en train de devenir un axe
d’échange nouveau et le point de ralliement entre l’AB et
l’AC. L’expertise en matière de couverts de type « biomax »
et la destruction par roulage sont des ingrédients de l’AC qui
sont progressivement transférés dans les itinéraires AB. Il en
est de même des techniques de non-retournement du sol et
de non-déchaumage pour zoner et faire évoluer très
rapidement les stocks de graines d’adventices et ainsi réduire
significativement l’enherbement. De son côté, l’AB nous a
apporté les mélanges variétaux et les associations de cultures
qui ont été très rapidement intégrés par certains TCSistes.
Des orientations qui débouchent comme pour le colza sur des
modes d’implantations qui permettent de réduire
drastiquement les coûts d’implantation, de phyto, d’engrais
avec en prime des améliorations de rendements significatives
voire une seconde récolte.
Ainsi, et face à l’urgence économique et environnementale, il est grand temps d’abattre les barrières et de décloisonner l’AC et l’AB sans porter de jugement. À chacun sa sensibilité, ses goûts et ses orientations mais si la diversité est une règle fondamentale en agronomie, elle doit également prévaloir entre les acteurs et des formes d’agricultures dont les objectifs fondamentaux sont en fait très proches. Tout n’est que dosage et c’est ce type de passerelles, en débouchant sur d’autres réseaux, pratiques et connaissances, qui permettront d’apporter plus d’idées et d’émulation afin d’avancer tous ensemble vers des formes diverses d’agriculture écologiquement intensive.