Sylvain Rétif : de l’innovation mécanique à l’innovation agronomique

Matthieu Archambeaud - TCS n°48 - juin / juillet /août 2008

Céréaliers dans le Loir-et- Cher, Sylvain Rétif et son épouse cultivent 180 ha de terres au nord-ouest de Blois. Un îlot de 80 ha d’un seul tenant, drainé et irrigué, entoure les bâtiments de la ferme  ; il est constitué de petites terres limoneuses, humides en hiver, mais très sèches en été et, pour ne rien gâcher, sur roches affleurant la surface du sol (12 à 15 % d’argiles). Un deuxième îlot, d’une centaine d’hectares, est situé à une dizaine de kilomètres du siège de l’exploitation, sur des sols plus variés, argilo-calcaires très superficiels, argiles noires et limons un peu plus profonds. Il abandonne le labour à partir de 1985, en raison de l’hétérogénéité des sols, qui l’oblige à d’incessants réglages de charrue et de semoir, sans compter la difficulté qu’il y a à labourer des sols rocheux. Les motivations sont également agronomiques puisqu’il est très tôt alarmé par la mauvaise structure des sols, qu’il peut observer sur les chantiers de drainage réalisés dans toute la région : les sols sont bleus et compacts sous la zone de labour, avec, dans certains champs, une humidité de surface qui ne parvient même pas à atteindre les drains.

Un large choix de techniques de semis

La ferme passe totalement en non-labour en 1987. Le travail du sol est confié aux outils traditionnels  : après la moisson, un passage profond de covercrop puis de chisel mélange intimement la paille et la terre sur 15 cm de profondeur. Les semis sont réalisés au combiné ou avec le semoir Nodet à disques, déjà présent sur l’exploitation en raison de la charge en cailloux du site. Comme le dit S. Rétif : « Avant de commencer les TCS, nous étions déjà prêts dans nos têtes. » Bricoleur averti, il fabrique à l’époque une herse traînée à dents indépendantes, sur le modèle de la herse Amazone Flexidoigt. En 1996, la vétusté de son matériel le pousse à investir dans du matériel adapté. Il achète un Horsch Sème-exact en raison, notamment, de la qualité de l’accompagnement technique et de la dynamique de groupe créée autour de l’outil. La totalité de la surface est donc semée en un seul passage et le temps dégagé lui permet de réaliser 100 ha à façon pour Florent Hubert, un voisin qui deviendra son « binôme » pour tout ce qui concerne les TCS et le semis direct. Il est très satisfait du travail réalisé à l’époque, malgré les petits problèmes de semelle de travail due à l’action de la fraise : « Si nous avions utilisé les couverts végétaux à l’époque pour corriger ce défaut, nous aurions fait une véritable révolution. »

C’est un voyage au Brésil et en Argentine, avec un groupe d’agriculteurs pionniers rassemblés autour de Jean-Claude Quillet, qui servira de déclencheur en 2001. Un semoir SD 300 est acheté, et la technique de semis s’accompagne d’une interculture à base de moutarde pure. Si les semis d’automne ne posent pas de problème, il a, comme beaucoup, des difficultés avec les implantations de printemps, sur des sols froids et bien pourvus en limaces. Il modifie, dans ce but, un SD 300 initialement destiné à être jumelé au premier : la caisse est déposée et remplacée par un semoir monograine PNU Monosem (TCS n° 18). Malgré les modifications, le semis direct au printemps n’est pas satisfaisant et, au bout de deux ans, S. Rétif décide de retravailler légèrement le sol pour sécuriser la levée.

La gamme de semoirs s’élargit en 2006, avec la reprise de 80 ha de terres voisines sur lesquelles s’installe son fils. Cette reprise se fait dans l’urgence, conduisant S. Rétif à fabriquer dans l’hiver un semoir à dents de 6 m de large. Cet outil simple a un grand dégagement vertical, ce qui lui évite de connaître des problèmes de bourrage dans la paille ou les résidus. Il permet l’implantation rapide des tournesols au printemps sur les terres reprises ; les 6 ha semés à l’heure justifient le nom de « SemRapid » dont il a baptisé sa machine. Il précise cependant que, même si le volume de terre brassée est important, seul le rang est travaillé, l’interrang étant seulement fissuré sans être bousculé.

Il dispose donc, aujourd’hui, d’un parc de semis simplifiés presque complet : un Horsch Sème-exact de 4 m a remplacé le précédent en 2007 pour remettre en route les 80 ha particulièrement abîmés ; la fraise est également utilisée pour le maïs, qui est semé en bandes de 20 cm de large après un premier passage de SemRapid pour réchauffer le sol sans trop l’assécher. Cependant, inspiré par le concept « strip-till » pour le maïs, il songe à ressortir son SD 300 modifié monograine et à lui ajouter une dent droite travaillant à 10-15 cm devant la ligne de semis, avec, pourquoi pas, une descente pour déposer un engrais starter dans le fond. Le SD 300, toujours présent, est destiné aux semis de blé dans les mélanges de couverts ou encore pour les semis de colza. Enfin, le « SemRapid » réalise tous les semis en sols peu encombrés : couverts végétaux derrière céréales, cultures dérobées derrière pois ou colza, blé derrière dérobée, et parfois certaines cultures de printemps ; pour les dérobées et les couverts, la politique d’intervention se résume à « il faut semer, pendant les trois heures de fraîcheur du matin, ce que l’on a récolté la veille. » Au final, ce qui peut apparaître comme une forme de suréquipement traduit, en fait, l’approche et l’expérience de l’agriculteur : il préfère choisir le mode d’intervention et donc l’outil en fonction des conditions de culture et de semis, plutôt que d’adapter les cultures et la rotation à une seule technique de semis.

La rotation

La base de l’assolement est constituée de blé, précédé systématiquement par une tête d’assolement comme le colza, le pois, le tournesol, le maïs en zone irriguée, le tournesol ou le millet. Une culture dérobée de sarrasin (ou de millet à partir de cette année) est systématiquement positionnée derrière le pois ou le colza, un mélange de couvert derrière le blé. La rotation est ainsi de type : colza-millet-blé- pois-sarrasin-blé-biomax- tournesol-blé-biomax-millet… Ce système reste assez souple avec des terres groupées : c’est l’assolement qui est opportuniste et non pas la rotation. L’objectif de S. Rétif est de conserver une rotation diversifiée, incluant une large part de cultures de printemps, afin de maîtriser le salissement et d’écrêter les pointes de travail, et ce malgré les difficultés techniques. D’ailleurs, cette année encore, les trois parcelles restantes en blés sur blés sont nettement plus sales que les blés assolés (vulpin, folle-avoine, brome).

Le pois d’hiver est conservé pour faciliter le désherbage, apporter de l’azote, de la diversité biologique et répartir davantage les dates de semis et de récolte. Un test de monoculture de blé a été mené pendant quatre ans, sans aucun problème technique grâce à l’andainage des pailles, mais le salissement devenait difficilement gérable sans sulfonylurées, dont il veut éviter l’emploi en raison des problèmes de rémanence et du coût des traitements. Le souhait de développer une rotation très diversifiée le pousse à innover constamment pour réussir des enchaînements continus de plantes : l’objectif est d’avoir une couverture permanente pour éviter le salissement, mais également de produire plus de cultures récoltables et laisser au champ un maximum de biomasse. La succession pois d’hiver – sarrasin est un bon exemple : la récolte du pois pose des problèmes qui peuvent empêcher une installation rapide de la dérobée. Celle-ci peut prendre du retard à son tour, être récoltée dans de mauvaises conditions et pénaliser le blé suivant. L’objectif est donc de gagner au minimum une semaine à la récolte du pois ; deux solutions sont à l’essai : la première est d’orienter le pois en végétation à l’aide d’un rouleau de fabrication maison, traîné derrière le pulvérisateur automoteur. L’opération étant facilitée par l’élongation du pois, obtenue par un stimulateur de croissance, la végétation verse préférentiellement dans un seul sens (10° à 20°), facilitant la récolte à contresens. Partant du constat que le pois ne « tenait qu’à un fil » au sol, la deuxième solution serait d’andainer la culture au stade 25-30 % d’humidité, par bandes de 8 mètres, afin de hâter et d’homogénéiser la maturation, et de gagner un passage de moissonneuse sur deux. Il reste à adapter la scie à colza sur l’andaineur : tout un programme mais sans doute pas une difficulté technique pour S. Rétif. Cette dernière solution, si elle permettait de faciliter la récolte, redonnerait de l’intérêt à cette culture. De plus, la semaine gagnée en début de végétation du sarrasin devrait permettre d’en économiser deux à la fin septembre, début octobre, pour une récolte dans de meilleures conditions.

Des mélanges de couverts aux mélanges de cultures

À son retour d’Amérique du Sud, S. Rétif implante, comme beaucoup d’autres, des couverts de moutarde pure : c’est peu coûteux, facile mais les résultats sont aléatoires d’une année à l’autre. Il découvre et applique, par la suite, le concept de mélange « biomax », dont il mesure rapidement ses effets bénéfiques sur le sol, sa structure, sa fertilité, son activité biologique… Toujours réactif, il décide de pousser le concept plus loin en l’adaptant aux cultures principales. Une première expérience est tentée en 2006, avec du colza semé dans un mélange d’espèces gélives : certaines plantes, ayant survécu à l’hiver, sont contrôlées au printemps avec un herbicide sélectif du colza. Le mélange est le suivant : colza à 2,5 kg/ ha ou 3 kg/ha, en mélange avec de la phacélie (5 kg/ha), du tournesol (10 kg/ha), de la vesce (30 kg/ha) et du nyger (5 kg/ha). En 2007, le procédé est affiné : la phacélie a été supprimée en raison du coût des semences, de sa capacité à redémarrer au printemps et de la difficulté à la détruire chimiquement. L’implantation du mélange assure une occupation rapide du sol et, par conséquent, une protection de la surface, une structuration plus intense, une concurrence vis-à-vis des adventices dicotylédones essentiellement, mais également la production d’une partie de l’azote dont aura besoin le colza au printemps. Il a également remarqué que les colzas, ainsi associés, passaient beaucoup mieux l’hiver dans les zones humides et hydromorphes. Pour aller plus loin dans la démarche, il envisage, cette année, de semer simultanément le sarrasin et le colza en dérobé derrière pois, ce dernier étant prépositionné, en attente de la récolte du sarrasin : réponse à l’automne 2008.

Tournesol mélangé au sarrasin

un mois après le semis La réflexion et les essais menés cette année sur le tournesol sont du même ordre : une culture lente à occuper la surface, des dégâts de ravageurs importants et la nécessité d’apporter de l’azote. Aussitôt pensé, aussitôt réalisé, ce sont 45 ha qui sont semés avec 8 kg/ha de tournesol, mélangés à d’autres espèces : 5 ha avec 20 kg/ha de sarrasin, 20 ha avec 30 kg/ha de pois et 30 kg/ha de vesce, 20 ha avec du pois, de la vesce, du sarrasin et « un dé à coudre de navette, pour voir ». Pour l’instant, c’est le mélange sarrasin/tournesol qui donne les meilleurs résultats, avec un salissement nul, contrairement au tournesol mélangé avec les légumineuses, dans lequel la présence d’adventices a conduit S. Rétif à réaliser un traitement qui a également mis à mal le pois et la vesce. Enfin, le mélange incluant le sarrasin, le pois et la vesce a dû être ressemé à la suite d’un dégât de pigeon. En termes de contrôle du salissement, il semblerait que le sarrasin ne soit efficace que s’il germe avant les adventices  : pour la saison prochaine, l’agriculteur songe déjà à le semer en plein, puis le tournesol au semoir monograine. Le retour du tournesol, culture difficile dans la zone, n’est pas neutre comparé au maïs, une culture facile qui supporte cependant difficilement les associations avec d’autres plantes et reste gourmande en énergie, au travers notamment de l’irrigation et du séchage.

Les associations de plantes cultivées que l’on commence à voir réémerger sont possibles, uniquement si le niveau de salissement initial est faible : ce qui est le cas aujourd’hui sur la ferme des Rochettes. Cette gestion passe d’abord par l’élaboration d’une rotation cohérente, alternant les types de cultures et couvrant le sol au maximum, ce qu’autorisent des techniques de semis adaptées. C’est ensuite une bonne maîtrise de la pulvérisation : hygrométrie, bas volume et rapidité d’exécution avec l’automoteur. Enfin, une gestion rigoureuse des bordures de parcelles permet d’éviter les contaminations : elles sont systématiquement fauchées, quitte à éliminer le tour de champ, avec une fauche tardive (mais réalisée avant maturité) pour éviter un deuxième passage.

Sur cette ferme, les innovations sont nombreuses, efficaces et impressionnantes de simplicité. Il ne faut cependant pas en rester au simple niveau de la prouesse technique : S. Rétif est parvenu à construire et développer un système performant et cohérent, en accord avec la spécificité de son exploitation, son goût, sa compétence en mécanique et ses objectifs agronomiques. L’exemple du travail du sol est à ce titre intéressant : après une tentative de semis direct intégral, S. Rétif est revenu à un travail de surface au printemps, développant en parallèle d’autres outils, tels que les couverts et les associations de cultures, qui lui permettront, sans doute demain, de revenir au semis direct sans risque pour son système. Le semis direct ou simplifié n’est donc plus un objectif en soi, mais bien le moyen de répondre aux exigences agronomiques et économiques du système : en l’occurrence, un enchaînement continu de plantes avec le minimum de temps mort pour produire un maximum de récoltes, avec le minimum de coûts. Les trois piliers de l’agriculture de conservation ont progressivement été maîtrisés ou sont en bonne voie de l’être, et l’on pourrait même voir se dessiner un quatrième pilier qui ne serait plus simplement le mélange d’espèces dans les couverts mais l’association des cultures entre elles.


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