S. Gallon et A. Coudrillier : ils ont tout mis en oeuvre pour réussir le semis direct en Camargue

Frédéric Thomas - TCS n°53 - juin / juillet / août 2009

Loin des grandes plaines céréalières, entre le Rhône et la Camargue, où seul le riz est roi, Sandrine Gallon et Alain Coudrillier, jeune couple d’agriculteurs ont réussi leur transition vers le semis direct. Avides d’informations, de conseils et de recherches en tout genre, ils ont pris le temps de se préparer et ont combiné tous les moyens à leur portée. Une fois prêts, ils n’ont pas hésité à chambouler toute l’exploitation : le jardinage habituel de la région a bien entendu été remplacé par du semis direct, les couverts ont fait leur apparition, le riz a laissé la place à du sorgho et d’autres cultures, comme l’orge, l’avoine, la féverole et le soja sont venues diversifier l’assolement. La gestion de l’irrigation, comme celle de la fertilisation, a été également modifiée et adaptée. Aujourd’hui et après cinq ans, les résultats sont à la hauteur des efforts mis en œuvre, les cultures sont très satisfaisantes, les couverts de mieux en mieux maîtrisés, et les sols usés par des décennies de rizières, reprennent vie si bien que le riz est même en train de retrouver une place sur l’exploitation, mais en semis direct.

À Beaucaire, aux confins du Gard et des Bouches-du- Rhône, le riz a été et est encore le pilier de l’agriculture locale. Cultivé en rizières inondées pendant quatre à cinq mois de l’année en été, on s’approche de l’agriculture « hors-sol ». De plus, les champs, devant être parfaitement plats pour ce type d’irrigation, sont intensivement travaillés au printemps et nivelés pour réparer les dégâts de la récolte de l’automne précédent réalisés par des moissonneuses à chenilles et souvent sur des sols complètement détrempés et plastiques. Enfin, pour parfaire le tout, les pailles sont systématiquement brûlées : riches en silice, elles sont dures et l’activité biologique est tellement faible qu’elle ne les dégrade pas. Hormis ces aspects sols, comme toute monoculture, le riz rencontre son lot de soucis, ravageurs spécifiques, salissement et aussi développement de riz sauvage, il est donc ponctuellement assolé avec du blé dur. À la reprise des 170 ha de la ferme familiale en 2002, la situation ne dérogeait pas à l’environnement local alternant entre blé dur et riz. À la pointe, le père de Sandrine avait cependant pratiqué la culture de soja en dérobée derrière des pois protéagineux dans les années quatre-vingt avec de très bons résultats, une pratique qu’il a abandonnée avec la PAC de1992. Il était également l’un des rares agriculteurs français à avoir investi dans un BIMA, genre de gros porte-outils de 285cv qui permettait de reprendre les labours en un seul passage en 4m avec chisel à l’avant et un combiné rototiller/ semoir à l’arrière. Sachant qu’un JD 4430 complétait le parc, rien que le poste traction donne une idée du niveau de mécanisation de l’époque. « Nous faisions du maraîchage en céréales », complète A. Coudrillier. Conscient de l’impact négatif de la culture du riz sur les sols, mais aussi des coûts énormes de mécanisation que cette culture engendrait, avec une récolte systématiquement par entreprise avec des machines spécifiques, S. Gallon avait commencé à réduire progressivement sa représentativité sur la ferme. C’est cependant en2004, lors d’une réunion PRP avec commentaires de profil par C.Bourguignon que tout bascule. « Dans ce comparatif entre labour, TCS et SD, les racines étaient bloquées sur la semelle en labour alors qu’elles profitaient bien de l’épaisseur du sol en SD », se souvient l’agricultrice. « Avec une nappe d’eau à 1,5 m de profondeur, cette technique était encore plus intéressante dans nos conditions »

Une année de préparation

Suite à ce déclic et convaincu de l’intérêt du semis direct, le couple de jeunes agriculteurs va commencer par rassembler toute l’information disponible sur le sujet. Pas avares de kilomètres et de temps, ils vont sillonner le pays, rencontrer pas mal de pionniers et participer à toutes les réunions qui touchent de près ou de loin les TCS, les couverts et le SD. En parallèle de ce véritable parcours de formation accélérée au semis direct, ils préparent et planifient sur Excel leurs futures cultures, leurs rotations et leur projet d’itinéraires techniques. « Nous avions rapidement compris que la réussite du SD passait par une adaptation de beaucoup d’autres paramètres au sein de l’exploitation », signalent-ils. « Il fallait donc prendre les moyens de rassembler le maximum d’informations, éviter les sources d’erreurs et d’écueils mais aussi construire une approche adaptée à nos conditions puisqu’il n’existait aucune référence locale sur laquelle s’appuyer. » Pour compléter ce travail de préparation, un essai de semis direct de maïs est mis en place au printemps 2005 sur deux parcelles opposées de l’exploitation. L’une, ancienne prairie, possédait encore 4,5 % de MO alors que l’autre, menée classiquement, était descendue à 1,5 %. Le suivi du comportement des cultures, les très bons résultats techniques mais aussi l’observation des profils et le comportement racinaire ont fini de convaincre Sandrine et Alain qui ont, dès l’automne, passé toute la ferme au SD avec l’achat d’un Semeato TDNG 300.

Cultures : le sorgho a remplacé le riz

Bien que le premier maïs en direct ait donné des résultats satisfaisants, c’est le sorgho qui va prendre la place du riz en tant que culture d’été. La puissance racinaire de cette plante a largement orienté ce choix car c’est pratiquement la seule qui arrivait à ouvrir une semelle de 20 à 40 cm d’épaisseur en dessous de la zone labourée due aux anciennes pratiques. Pour renforcer son travail de structuration, celui-ci est cultivé sans irrigation avec au final très peu de différence de rendement. Toujours pour aller vite en restructuration des sols, du sorgho est également positionné en dérobé derrière des parcelles d’orge. Ainsi, en l’espace de deux campagnes, la totalité de la surface a pu recevoir un bon coup d’ameublissement biologique. Cette culture est aussi intéressante car elle ne demande pas de semoir spécifique. À ce titre et après avoir réalisé de nombreux essais, le sorgho est définitivement implanté sur toutes les lignes en réparti pour une couverture plus rapide et une meilleure répartition du système racinaire dans le sol. Toujours pour redresser rapidement la structure mais également la fertilité, Sandrine et Alain vont utiliser la PAC et planter dans les jachères qu’ils vont faire tourner sur l’ensemble de l’exploitation, de la luzerne et été semé en direct sur un couvert et sera irrigué par des « bains » répétés et non une submersion totale des parcelles comme c’est le cas traditionnellement : un double changement important dans la culture du riz. « Les Brésiliens produisent bien du riz pluvial en SD alors pourquoi pas en Camargue ? », rétorque Alain. Toujours en quête de nouvelles options, mais aussi pour répondre à quelques marchés de niche locaux, le millet blanc est également en test cette année, tout comme le soja. L’objectif est de réduire la prédominance du sorgho, qui a été très utile pour démarrer en SD, afin de revenir à une situation plus équilibrée et profiter d’un étalement des temps de travaux tout en limitant les risques. Ainsi, aujourd’hui, aucune rotation particulière n’est vraiment arrêtée et les parcelles, en fonction des cultures testées possèdent des historiques différents qui sont riches d’enseignement pour évoluer. Cependant l’objectif est de continuer d’étendre les légumineuses en cultures d’automne, de printemps et en couvert au vu de leurs impacts sur le sol, associés aux économies de fertilisation qui suivent et d’équilibrer les piliers de la rotation, sorgho/blé dur par d’autres graminées adaptées aux conditions de la région.

Couvert : l’avoine a laissé la place aux mélanges à base de radis

Comme pour beaucoup, c’est l’avoine en mélange avec de la vesce qui a été l’entrée vers les couverts végétaux. Cependant elle s’est souvent révélée porteuse de maladies dans une rotation déjà « trop graminées ». Grâce à de nombreux essais et l’appui de Michel Riousset de Semences de Provence, elle a été progressivement remplacée par du radis fourrager qui apporte une bonne rupture crucifère et de fortes biomasses. Celui-ci est associé maintenant à de la féverole qui se détruit facilement au rouleau et de la gesse qui donne de très bons résultats dans ce type de sols avec beaucoup de nodosités. De plus, elle semble peu appétante pour les limaces tout en trouvant le moyen de boucler son cycle et disparaître sans destruction particulière. Par contre, les pois fourragers plus adaptés aux climats frais n’ont pas donné satisfaction et les vesces, pourtant plus dans les conditions favorables, sont abandonnées à cause de leur destruction un peu plus compliquée. S. Gallon et A. Coudrillier ont également testé de nombreuses autres plantes comme le sula, le sainfoin mais tendent à s’en écarter aussi à cause des difficultés de destruction. L’implantation des couverts était réalisée au Semeato dans les chaumes après la récolte et suivie d’une irrigation. En fait et comme le climat très sec de l’été ne permet pas de faire lever des plantes, les SDistes avaient pris l’option d’irriguer les parcelles juste après la récolte et de semer les couverts au début du ressuyage afin qu’ils s’enracinent en suivant le front d’eau descendant. En plus de permettre de réussir les couverts quelles que soient les conditions, cette irrigation déclenchait la germination des repousses et d’une bonne partie des adventices débouchant sur une forme de faux semis qui était négocié avec 1 l/ha de glyphosate au moment du semis du couvert. Cependant et comme la saison est très longue dans le Sud, les soucis de mise à graine ont poussé le couple d’agriculteurs à retarder les dates de semis après les premières pluies du mois d’août. « On obtient peut-être un couvert légèrement moins développé à l’entrée de l’hiver mais le risque de graines est écarté et le couvert reste plus facilement vivant pendant l’hiver et au printemps suivant », complète Alain. Comme il est généralement préconisé, ces couverts étaient détruits chimiquement environ deux mois avant le semis des cultures de printemps. Cependant avec l’hiver et le printemps humide de cette année (plus de 400 mm), Sandrine et Alain ont décidé de conserver les couverts vivants, le plus longtemps possible dans le but de pomper l’eau. Ceux-ci ont donc été détruits au moment des semis réalisés sur des couverts encore verts. À la grande surprise et malgré d’importantes populations de limaces, les levées se sont bien déroulées sans avoir à épandre de granulés. Il semblerait que celles-ci, concentrées sur les résidus du couvert encore très appétant, n’ont pratiquement pas fait de dommage à la culture. Cette observation toute récente va donc les renforcer dans l’idée de décaler les semis de couvert pour aussi décaler la destruction sachant que si le sol est trop sec au printemps, au moment du semis, l’irrigation est facile à mettre en œuvre.

Des essais de couverture permanente

Dans les sols les plus difficiles et humides de la ferme et derrière des luzernes de jachère semées au printemps, Alain et Sandrine s’essayent également à la couverture permanente et cette année ce sont, sans conteste, les plus beaux blés durs de la ferme. Pendant l’interculture, la luzerne sera soit fauchée en foin ou récoltée en graine avant de repartir à nouveau sur une céréale d’hiver et pourquoi pas poursuivre encore 1 ou 2 ans si cette technique continue de donner de bons résultats. C’est aussi et en partie pour cette raison que le riz a été réintroduit pour limiter les parcelles improductives, maintenant que la PAC le permet, le couple d’agriculteurs projette de semer la luzerne à la volée sous le riz fin juillet, début août en sécurisant l’installation par l’irrigation. Ensuite celle-ci sera laissée en place et supportera la récolte avant de recevoir à l’automne la céréale sans vraiment être détruite. À ce titre, ils prévoient de tester plusieurs espèces dont le trèfle blanc nain ou le trèfle d’Alexandrie annuel qui, lui, disparaîtrait tout seul dans le blé suivant après avoir réalisé son travail. Par contre, le sainfoin et le sulla en couvert permanent posent plus de question car ils sont très difficiles à maîtriser avec des plantes qui arrivent facilement à dépasser le blé à la récolte.

« Surfertiliser » pour anticiper les risques de faim d’azote

N’étant pas en zone vulnérable et conscients que le ralentissement de la minéralisation lié à la suppression du travail du sol et le développement de couverts performants risquaient de limiter dans un premier temps les fournitures du sol, Sandrine et Alain n’ont pas hésité à apporter une surfertilisation de 30 à 50 kg de N/ ha/an sur chacune des cultures les 2 à 3premières années. Cette fertilisation « de fond » était positionnée en surface avec un épandeur d’engrais au moment des semis, que ce soit pour les implantations de printemps ou d’automne. À ce titre, les bandes témoins laissées dans certaines parcelles ont rapidement convaincu les agriculteurs de l’intérêt de cette compensation au départ. Les cultures de légumineuses ont également été gérées de la même manière avec une très bonne réponse à l’apport d’un peu d’azote comme les couverts végétaux. Aujourd’hui, cette pratique de fertilisation « starter » est conservée hormis pour les couverts où les légumineuses prennent le relais, mais la quantité apportée au semis est retirée de la dose totale qui, par contre, tend à se réduire. Ainsi pour la campagne en cours, S. Gallon et A. Coudrillier estiment, grâce aux légumineuses dans la rotation, aux couverts et globalement à la croissance de l’autofertilité des sols, consommer environ 20% d’azote de moins que s’ils étaient restés en traditionnel voire plus dans les parcelles qui ont reçu de la luzerne. Aujourd’hui, l’investissement consenti au départ est déjà en train de fournir des dividendes intéressants avec des cultures assez consommatrices comme le blé dur (3,5 kg de N/q). Enfin et pour vraiment bien cerner cette question de la disponibilité de l’azote, le couple de SDistes s’est mis à faire ses propres analyses de reliquats en utilisant des bandelettes « Nitra-test » que l’on trempe dans un filtrat de terre et d’eau distillée. Cette approche, malgré un peu de temps dans les champs et en cuisine, leur permet d’avoir des réponses rapides et de réagir immédiatement. Ils en profitent aussi pour faire environ 5 reliquats par an et par parcelle. Cette pratique leur a ainsi permis de mieux comprendre et cerner la dynamique de l’azote dans leurs sols en SD et d’adapter et piloter au plus juste la fertilisation.

Les sols ont rapidement évolué

Bien qu’affaiblis et déstructurés au départ, les sols ont très bien réagi. Ce sont en fait les terres les plus argileuses et les plus difficiles qui donnent aujourd’hui les meilleurs résultats et c’est avant tout dans le tour des parcelles, qui ne sont plus compactées par les multiples manœuvres d’attelages très lourds, que les rendements ont le plus progressé. Cette amélioration est telle que le gain de la porosité dans le pourtour des champs qui était auparavant complètement plan (travail au laser) les a transformés en cuvette avec des rebords qui ont pris entre 2 et 3 cm. Ainsi, les fortes pluies de l’hiver dernier ont eu du mal à s’évacuer, impactant négativement certaines cultures. Pour remédier à ce nouvel état et éviter que l’eau ne stagne même lors de l’arrosage, il a fallu ressortir la lame niveleuse et à contre-cœur, retravailler superficiellement ces parcelles. Cependant et pour éviter que ce souci ne se reproduise, Alain et Sandrine ont choisi de leur donner une légère inclinaison de 0,3 %. Ce travail, assez lourd, n’a cependant pas endommagé la structure plus en profondeur maintenant bien stabilisée. Au-delà de ces aspects, l’activité biologique est de retour, l’autofertilité est en train de progresser et la battance qui était un problème récurrent, a maintenant complètement disparu. Bien entendu, en si peu de temps, ces sols n’ont pas retrouvé leur taux de matière organique ni leur organisation structurale optimale, mais ils fonctionnent maintenant suffisamment bien pour fournir de bons résultats en SD et permettre aux cultures et surtout les plantes d’été et les couverts de descendre chercher l’eau jusqu’à la nappe, si bien que l’irrigation est de moins en moins utilisée. Cette situation conforte Sandrine et Alain dans cette orientation d’autant plus que l’eau d’irrigation, en suivant les canaux, collecte et transporte de nombreuses graines d’adventices. Ces changements de sols impliquent également des différences de comportement des cultures. Ainsi, la variété de blé dur Dakter présente une augmentation de l’indice foliaire (5,8) avec des feuilles plus larges que dans les champs voisins. Cette observation expliquerait peut-être l’amélioration de qualité également constatée à la récolte.

Enfin, d’importantes économies

« Avec le semis direct nous avons régressé  », se plaît à signaler A. Coudrillier, « d’un chantier en 4 m de large, nous sommes redescendus en 3 m. Mais au final, nous avons gagné beaucoup de temps et économisé en mécanisation ». En fait, le remplacement du BIMA et du JD 4430 (145 cv) avec toute la chaîne d’outil de préparation de sol et semis par un JD 6520 (115 cv) et un seul semoir dégage une marge confortable. Celle-ci est d’autant plus importante que le JD 6520 est un tracteur d’occasion deux roues motrices qui ne trouvait pas preneur. Cependant une partie de cette économie a été investie dans un guidage GPS Auto-steer pour gagner en qualité de semis et confort de travail. Un autre moyen de regarder l’économie produite par ce changement radical est l’évolution de la consommation de carburant qui est passée de 24 000 l/an en traditionnel à environ 7 000 l aujourd’hui, soit un passage de 141l/ha à seulement 41 l/ha toutes interventions incluses, y compris la récolte. Enfin, l’élément culture étant en grande partie maîtrisé, bien qu’il reste encore des calages et des sources de progrès, S. Gallon et A. Coudrillier viennent d’investir dans du stockage afin de pousser leurs cultures jusqu’au bout et valoriser les améliorations de qualité qu’ils ont pu constater.

Bien que la région, les conditions pédoclimatiques et les cultures ne semblaient pas a priori favorables au semis direct, S. Gallon et A. Coudrillier ont réussi ce pari avec une transition rapide et sans vraiment d’accrocs majeurs. Cette réussite, ils la doivent à leur détermination, leur avidité d’informations, aux moyens mis en oeuvre, aux nombreux essais répétés chaque année sur la ferme, à une planification rigoureuse sans utopisme, le tout associé à la création d’un réseau de compétences local et national. Leur exemple montre par ailleurs qu’il n’existe pas de solution toute faite ou de situation plus ou moins appropriée au SD. Ce sont, avant tout, l’engagement et la détermination des hommes et ici aussi d’une femme, à rassembler et combiner l’ensemble des bons éléments tout en hiérarchisant les étapes, qui seuls permettent ce type de transition exemplaire.


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