L’information n’est plus taboue : les rendements stagnent !

Frédéric Thomas - TCS n°53 - juin / juillet / août 2009

Le constat est sans appel : depuis une quinzaine d’années, les rendements du blé mais également des principales cultures comme le sorgho, le colza, le tournesol, le blé dur… ne montrent plus de croissance. Cette tendance lourde observée par l’Inra, Arvalis et le service enquêtes et études statistiques du ministère de l’Agriculture conforte la perception de nombreux agriculteurs et nos positions sur ce sujet. Pour le blé, après le fameux gain d’1 q/ha/ an de l’après-guerre jusque dans les années 90, la croissance devient nulle à partir de 1992 selon les régions, les impacts plus précoces concernant plutôt les zones sud de la France.

Cette tendance n’est pas spécifique et de nombreux partenaires européens font le même constat. Il en est de même à l’échelle mondiale où le taux de croissance des céréales et des oléagineux est passé de 2% dans la période 1970-1990 à 1,1 % pour les vingt dernières années et les prévisions pour la prochaine décade tombent à 0,8 %. Au-delà des chiffres, cette information fondamentale vient sérieusement compliquer l’équation : « produire plus pour nourrir une population croissante et dégager des surfaces pour fournir de l’énergie et autres produits renouvelables ». Elle disculpe cependant de tout impact majeur les politiques agricoles étant donné la globalité du phénomène. Les explications sont donc plus à rechercher du côté du suivi des cultures et de l’agronomie en général. Le progrès génétique n’est pas la cause de cet essoufflement et les évaluations montrent que l’offre variétale reste forte avec un potentiel génétique qui continue de croître. Pour le blé par exemple, la progression des rendements en situation non traitée ou faible niveau d’intrants, est encore plus important, ce qui indique que les variétés ont particulièrement progressé sur la rusticité et sont maintenant capables de faire aussi bien avec moins. La réduction des intrants, qui est relativement importante sur cette même période, n’est pas responsable car les agriculteurs sont beaucoup mieux formés et ont largement gagné en technicité. De plus, ils disposent aujourd’hui de technologies très pointues, d’outils d’aide à la décision et d’éléments d’information pour anticiper et bien positionner leurs interventions. Au contraire, ces gains de compétences, ces progrès techniques et l’externalisation croissante des moyens de production comme l’irrigation ont permis de compenser, voire de masquer en partie des causes beaucoup plus profondes. Sans ces apports, les rendements, dans notre contexte, auraient certainement commencé à plafonner plus tôt et seraient peut-être même en régression aujourd’hui.

Le climat, en revanche, semble peser selon les recherches de manière très significative sur les rendements. En effet depuis les années quatre-vingt-dix, la variabilité interannuelle et les contrastes saisonniers sont beaucoup plus marqués avec un impact défavorable, notamment dans les régions très exposées aux stress climatiques. Ainsi les relevés de précipitations sur cinquante ans indiquent que la pluviométrie dans la région Sud- Est a diminué de moitié, que la région Champagne a perdu environ 100 mm et que l’occurrence de conditions favorables à l’échaudage pendant la période de remplissage a doublé dans toutes les régions. Ainsi et de manière insidieuse, le réchauffement climatique a commencé à impacter négativement sur les potentiels de production : une raison supplémentaire pour faire évoluer rapidement nos modes de production et de consommation afin de réduire drastiquement et rapidement nos émissions de gaz à effet de serre. La rotation est rarement mise en avant par les experts mais elle n’est pas sans incidence. Ainsi sur cette période, les précédents protéagineux ont diminué de moitié au profit du colza qui se montre moins bénéfique pour le blé qui suit.

Réduites à moins de 2% des surfaces céréalières, les légumineuses sont pourtant des cultures indispensables pour leurs fournitures en azote mais aussi pour le développement et le soutien d’une activité biologique performante. La simplification des rotations et la spécialisation des régions quelquefois dans de la monoculture ou des rotations très courtes ont également entraîné, sur les quinze dernières années, un accroissement des soucis de désherbage, maladies et ravageurs, prenant leur part sur les rendements et exigeant plus de traitements qui ne sont pas sans impacts sur le sol, la culture elle-même et la suivante.

Enfin, la problématique sol est largement occultée des débats bien qu’il s’agisse, plus que jamais, de la cause principale de la stagnation des rendements. L’effondrement progressif des taux de matières organiques avec le passage de l’élevage et la polyculture à la céréaliculture, le travail mécanique profond et intensif, l’irrigation, les compactions de plus en plus fortes par des outils de plus en plus lourds, la battance mais également l’érosion sont autant d’éléments qui impactent de manière significative et durable la capacité de production autonome des sols en France mais aussi en Europe et dans le monde. Ce constat est d’ailleurs le pivot de nos approches techniques aussi appelées TCS « techniques de conservation des sols ». Ainsi et si nous souhaitons garantir un niveau de production durable, l’agriculture, forme d’activité minière jusqu’alors, doit modifier fondamentalement son approche vis-à-vis du sol et le considérer comme son outil le plus précieux. Bien qu’il semble illusoire et peu cohérent d’envisager une augmentation de rendement constante, l’infléchissement assez brutal de cette courbe depuis quinze ans est un formidable indicateur. Comme beaucoup d’autres ressources non renouvelables, nous avons consommé nos sols pensant qu’ils étaient inépuisables. Ainsi et sans nous en rendre compte, nous sommes entrés dans une spirale où la mécanisation, la fertilisation, l’agro-pharmacie, l’irrigation… ont permis grâce à une énergie bon marché, de compenser en partie les effets de cette dégradation tout en continuant de l’accroître, débouchant sur des contraintes économiques et environnementales croissantes. Aujourd’hui il est donc urgent d’accepter ce constat, de renverser la situation et de modifier rapidement et de manière significative nos pratiques agricoles afin de préserver, voire restaurer, avec nos approches TCS et SD, cette précieuse ressource que sont les sols.


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