Salissement des parcelles : la rotation contre les adventices

Cécile Waligora - Cultivar n°617 - avril 2008

FABIEN ET SON FILS LILIAN EXPLOITENT 210 HECTARES DANS LE BARROIS, DANS L’AUBE. En non-labour depuis dix ans, ils ont toujours eu une priorité : prendre garde au salissement des parcelles. Au-delà du « chimique », leur réflexion tourne autour de la rotation. Ils sont sortis d’une rotation triennale classique en terres superficielles (colza-blé-escourgeon) pour introduire de l’orge de printemps et du tournesol. Un choix agronomique payant.

Dans le département de l’Aube, le Barrois est caractérisé par une majorité de terres argilo-calcaires qui vont du très superficiel au plus profond. C’est ce qu’on retrouve sur les 210 hectares de l’exploitation de Fabien et Lilian Balanche, à Bragelone, à quelques kilomètres au sud de la bien connue commune de Chaource. L’exploitation comporte des argilo-calcaires assez bons à superficiels sur kimméridgien et donc du caillou mélangé à de la marne. Elle comporte également 8 hectares de limons répartis sur le plateau et quelque 15 hectares d’argilo-calcaires beaucoup plus superficiels, terres très séchantes jonchées de pierres plates. Fabien Balanche, le père, a abandonné la charrue il y a une dizaine d’années (13 ans à 14 ans pour certaines parcelles), essentiellement pour des raisons agronomiques mais aussi pratiques. « Ma réflexion tourne autour du sol et de sa vie que je veux restaurer et améliorer », indique-t-il. Le labour dans ces terres, surtout celles à 35-40 % d’argile, devenait vraiment difficile et inadapté : remontée de cailloux, dépense considérable d’énergie et de temps pour labourer et ensuite démanteler et retasser, création d’un sol creux et motteux (limaces,mauvaises levées), d’une semelle, usure du matériel, etc. Du jour au lendemain, l’agriculteur laisse la charrue sous le hangar (il la vendra deux ans plus tard) et adopte les TCS mais en conservant beaucoup de préparations de sol. « C’est une de mes règles de fonctionnement, toujours d’actualité », déclare-t-il. Simplement, plus les années passent et plus il diminue la profondeur d’intervention. « Mes terres se bonifient avec le temps. Elles ont gagné en vie et donc en structure et en portance. Je l’observe partout mais le plus flagrant ce sont les quelques hectares de terres limoneuses où je ne connais plus de battance. »

Un travail de plus en plus superficiel

Le parc de matériel comporte ainsi plusieurs outils de travail du sol : un déchaumeur à disques Carrier de chez Väderstad en 5 m, un canadien à dents étroites espacées de 19 cm seulement, en 6 m, un vibroculteur à dents équipées de petites pattes d’oie, également en 6 m et un deuxième vibroculteur à dents droites en 8 m. L’ensemble peut être tracté par l’un des deux tracteurs de l’exploitation, d’une puissance de 170 CV (le deuxième fait 160 CV). « Il est important de varier le type de travail du sol afin de ne pas travailler toujours à la même profondeur et de la même manière ce qui risque de créer une semelle de travail. Je suis également contre les travaux profonds avec des grosses pattes d’oie qui désorganisent la structure. Je suis ainsi persuadé que beaucoup d’agriculteurs du secteur se sont découragés du sans labour car ils ont trop insisté avec ce type de dents. Les seules pattes d’oie que j’utilise sont petites et ne sont utilisées que pour scalper les repousses », insiste Fabien Balanche.

Ces nombreuses façons culturales (au minimum quatre à cinq avant semis) font office de préparation du sol en vue de l’implantation de la culture mais aussi de faux-semis. Les Balanche n’ont encore jamais connu de gros problèmes de salissement. Ils sont aussi particulièrement vigilants par rapport aux interventions chimiques. Ainsi, ils ont misé sur l’usage du Kerb en colza qui, même s’il est plus coûteux, leur assure une bonne efficacité contre les graminées. Mais cela reste une intervention chimique qui est plus coûteuse qu’un passage d’outil et peu favorable à l’environnement. Les opérations culturales jouent sans aucun doute aussi sur la pression des limaces et des rongeurs, ravageurs très peu présents dans leurs parcelles. Pour autant, le père et le fils (qui s’occupe maintenant plus des cultures ; l’exploitation comptant également une activité d’entreprise de travaux agricoles) restent vigilants, surtout vis-à-vis des dicotylédones en culture de colza. C’est pourquoi ils ont aussi décidé, depuis 2002, de sortir de la rotation classique sur trois ans : colza, blé et orge d’hiver.

Deux types de rotations sur 4-5 ans

Ils ont adopté deux types de rotation en fonction des sols et toutes les deux sur 4-5 ans. Dans les terres superficielles, ils ont introduit de l’orge de printemps entre le blé et l’escourgeon. Dans les terres plus profondes avec plus d’argile, les deux céréaliers ont souhaité introduire, en plus de l’orge de printemps, de la féverole ou du tournesol ce qui donne la succession suivante : colza, blé, féverole ou tournesol, blé, orge de printemps ou escourgeon. « Nous avons insisté avec la féverole durant deux à trois campagnes pour l’abandonner il y a deux ans, avoue Fabien Balanche, car ses prix étaient beaucoup trop fluctuants. De plus, cette culture est relativement gourmande en fongicides et en insecticides, notamment contre les bruches très dures à contrôler aux champs. Certaines adventices passaient également au travers du programme herbicide, comme le chardon ou le scandix appelé aussi peigne de Vénus, une ombellifère. Au final, je n’ai jamais vu une culture aussi malade ! »

Les deux hommes avaient choisi la féverole pour sa précocité, afin d’éviter le coup de chaud de juin, toujours préjudiciable aux cultures de printemps peu précoces. C’est aussi une légumineuse, toujours très intéressante dans une rotation. Les deux TCSistes ont donc misé sur une autre culture, le tournesol. Pourquoi pas le pois, une autre légumineuse ? Ils répondent : « Ce ne sera jamais mieux qu’une féverole. Nous ne voulons pas prendre de risques par rapport au salissement, notamment vis-à-vis du peigne de Vénus. De plus, nous avons une activité d’entreprise de travaux agricoles, notamment en moisson. Et pour nous, le pois comporte un trop grand risque de perte de temps. »

Fabien et Lilian ont donc opté pour le tournesol ; culture que Fabien connaissait déjà pour en avoir beaucoup fait avant le non-labour. « C’est formidable. Pour la première fois l’année dernière en TCS, nous avons semé du tournesol et avons produit 34 q/ha ! À 393 euros le quintal, le tournesol est très intéressant. Nous nous sommes aussi rendus compte à quel point les terres se sont améliorées en non-labour. Nous n’avions pas pu intervenir profondément avant l’implantation au printemps du fait d’un hiver relativement pluvieux. Malgré cela, les racines de tournesol se sont correctement implantées,sans fourches. Cela signifie bien que nous avons maintenant une belle structure. » Les deux exploitants vont donc augmenter la sole de tournesol cette année. Ils comptent peut-être aussi s’orienter vers du désherbinage avec un désherbage chimique sur le rang et un binage de l’interrang. La réflexion est en cours puisqu’il s’agirait alors d’investir dans un nouveau semoir monograines, à la fois pour le tournesol mais aussi pour le colza. Pour le moment, ils fonctionnent avec deux semoirs : un Rapid de chez Väderstad,semoir à disques dont ils sont très satisfaits sauf en conditions humides où ils préfèrent leur semoir maison : un combiné de semoir avec herse rotative à l’avant et semoir à dents à l’arrière. « En conditions limites, les dents passent mieux »,admet Fabien.

Allonger par les couverts

L’orge de printemps marche relativement bien dans ce secteur. Chez les Balanche, son implantation est préparée, au début, comme l’escourgeon : un passage de canadien après moisson puis le déchaumeur à disques. Le plus tard possible avant l’hiver, un dernier passage de petites pattes d’oie est réalisé et au printemps, avant semis, ils utilisent le vibroculteur. Les semis sont systématiquement roulés, quelle que soit la culture. Si l’orge de printemps est correctement implantée, son potentiel atteint les 50 q/ha à 65 q/ha selon Lilian. En terres superficielles, le non-labour permet, au fil des ans, d’augmenter la réserve utile du sol et, comme l’indique le jeune céréalier : « 6 mm à 8 mm de réserve utile supplémentaire, c’est bien 5 q/ha à 6 q/ha de plus au final ! »

Une autre façon d’allonger la succession culturale a été, l’an passé, de commencer à implanter des couverts en interculture. Fabien et Lilian ont choisi de semer un couvert de vesce entre un escourgeon et un blé. « Nous avons choisi cette espèce car, déjà, c’est une légumineuse qui peut apporter de l’azote. Sa présence pourrait aussi diminuer le risque de piétin, en coupant une succession de pailles », indique Lilian.

Cet allongement de la rotation est payant. Les programmes herbicides sont moins chargés. Pour les graminées, en colza et en blé, la sécurité est assurée avec le Kerb et l’Atlantis, seule sulfonylurée utilisée dans la rotation. Les orges de printemps ne reçoivent jamais d’antigraminées et l’escourgeon très rarement ou uniquement sur les bordures. Sur colza, la napropamide (antidycotilédones) n’est plus utilisée que sur les bordures. Par ailleurs, aucun antibrome n’est employé. « Alors que nous aurions fini par avoir ce genre de problème si nous étions restés en rotation triennale  », admet Fabien. De plus, cet allongement de la rotation a d’autres avantages : il permet un meilleur étalement des travaux sur l’année.

Fabien et Lilian ne veulent pas en rester là. Ils songent à d’autres cultures et à d’autres couverts. Vouloir diminuer la charge en produits phytosanitaires tout en gérant efficacement le salissement des parcelles passe obligatoirement, selon eux, par l’adoption de nouvelles rotations, plus longues et plus diversifiées. Mais ils ne veulent rien précipiter. Ils veulent avancer étape par étape. Et puis, il faut aussi compter avec le marché.


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