Vendredi 3 avril 2020
Thierry Stokkermans

Originaire du Sud-Ouest de la France, Thierry STOKKERMANS a travaillé en Espagne, Nouvelle-Zélande et Australie avant de s’installer aux Pays-Bas. Convaincu par le semis direct à faible perturbation, il conçoit et développe aujourd’hui des machines agricoles (zip drill).

Méta-analyse et couverts végétaux : soyez attentif à la méthode

Une méta-analyse est une synthèse d’un grand nombre d’études qui permet de discerner des tendances générales et de valider (ou invalider) un consensus global. Il est possible de faire des méta-analyses sur n’importe quel sujet scientifique à la condition qu’il y ait assez d’informations publiées dans les journaux à comité de lecture. Dans la pratique, les méta-analyses utilisent souvent des logiciels et des ordinateurs pour faire le travail de synthèse. Comme vous le savez tous, avec un algorithme, la qualité du résultat dépend de la qualité des données en entrée. Cette condition est très bien illustrée par le proverbe anglais "shit in, shit out".

Dans les réseaux d’Agriculture de Conservation (AC), un Couvert Végétal (CV) est une culture semée entre 2 cultures de vente et/ou fourragère pour, entre autres, créer des tiges et des feuilles qui vont couvrir et protéger le sol pendant l’interculture et (le début de) la culture suivante. En dehors de la communauté AC, un CV peut avoir une définition plus large. Certains l’utilisent pour parler d’engrais vert ou de piège à nitrates (aussi appelé CIPAN). Ces utilisations de l’expression CV n’a rien d’illégal car le terme n’est pas protégé. Néanmoins il est possible de se demander si ce n’est pas une forme de détournement, voire de l’usurpation de vocabulaire.

JPEG - 275 ko Dans la communauté scientifique, certains chercheurs participent à ce détournement. Ces derniers le font le plus souvent en anglais en utilisant l’expression "cover crop" pour décrire, par exemple, CIPAN et autres engrais verts qui sont retournés à la charrue au cours de l’hiver. Tel est le cas du projet Néerlandais "Clever Cover Cropping" dont j’ai déjà parlé ici. Ce projet donne lieu à des articles dans des journaux scientifiques à comité de lecture. Ces articles participent aussi au détournement car ils donnent le nom de CV à des CIPAN. Ce projet n’est pas le seul à détourner le terme CV dans des publications scientifiques. Heureusement, dans la section "Méthode" de ces articles, la gestion de l’interculture est souvent expliquée et un esprit éclairé fera la différence entre un engrais vert retourné à la charrue et un CV de type AC. Certains auteurs donnent aussi des indices dans le résumé tel Elhakeem et al.(2019) qui y expliquent que les "CV" peuvent être incorporés au sol dans le but d’augmenter le taux de matière organique.

Jusqu’ici, rien de très grave, un lecteur qui cherche à bien comprendre les résultats lira au moins une fois en entier l’article et jugera par lui-même s’il est réellement question de CV ou si l’auteur a détourné le terme pour en réalité parler d’un autre type d’interculture. Là où le détournement du terme CV peut faire mal, c’est dans la méta-analyse. Comme expliqué ci-dessus, une méta-analyse est un travail d’algorithme. Ces derniers sont très forts pour gérer des grandes quantités de données mais ils sont rarement capables de comprendre les subtilités telle la différence entre un CIPAN et un CV. Bref, ils sont capables de calculer très vite et, à la fois, sont idiots. Par conséquent, il est possible de se poser la question : comment obtenir un résultat pertinent avec une méta-analyse ? La réponse est assez simple : il faut que l’utilisateur de l’algorithme soit vigilant avec les données en entrée pour obtenir un résultat cohérent. De plus, Il est souhaitable qu’il explique dans l’article comment les subtilités furent gérées pour arriver à un résultat cohérent. 

Par conséquent, s’il vous arrive de lire une méta-analyse traitant les CV, je vous conseille de lire avec intérêt la partie méthodologie pour savoir si l’auteur a pris le temps de bien gérer les subtiles différences qu’il y a entre les différentes intercultures semées et qu’il n’a pas tout mis dans le même pot. Si l’auteur n’a pas expliqué s’il a fait la différence entre les différentes subtilités et comment il a géré ces différences, prenez les mesures nécessaires pour protéger votre recherche d’une information probablement incomplète et potentiellement erronée.

Reference :
Elhakeem A, Bastiaans L, Houben S, Packbier P, Jongenelen P, Mader J, Schlathölter M, Scholte M, Bremer G, Hoffland E, Van der Werf W. (2018). Clever Cover Cropping : Cover Crop Diversity and Yield Stability. Conference : XVe European Society for Agronomy Congress (ESA), At Geneva.