Les lombrics, c’est fantastique

Bérengère de Butler - Est agricole et viticole - 24 octobre 2008

Jeudi 16 octobre, l’Adar du Kochersberg organisait une journée de formation sur la qualité biologique des sols et les lombriciens. Mario Cannavacciuolo, spécialiste de ces animaux fouisseurs, parfois qualifiés d’ingénieurs du sol tant leur mode de vie a des répercussions sur des processus physiques, chimiques et biologiques du sol.

C’est Mario Cannavacciuolo, enseignant chercheur à l’Ecole supérieure d’agriculture d’Angers (Esa) en écologie et biologie du sol, qui a animé cette journée de formation. Elle a débuté par une matinée de présentation théorique en salle, consacrée à la faune du sol en général et aux lombrics en particulier. Car Mario Cannavacciuolo s’est fait une spécialité de ces animaux suite à une thèse de doctorat qu’il a réalisé avec une équipe de chercheurs de Rennes sur la faune du sol.

Le sol : un milieu complexe et interactif

Le décor a d’emblée été planté : le sol est un milieu complexe et interactif. Matières organiques, solutions du sol, flore et faune, structure, interagissent en permanence. Lorsqu’on modifie un de ces compartiments, on induit inévitablement des répercussions sur les autres. Le sol a en outre la particularité de réunir en son sein les trois phases possibles de la matière : solide, liquide et gaz, autant d’habitats différents pour la faune du sol, avec des zones aérobies, d’autres anaérobies... Et cette pédosphère interagit avec les autres “sphères” qui l’entourent : atmosphère (précipitation, radiations...), hydrosphère (ruissellement, érosion...), lithosphère (altération, sédimentation...), et biosphère (minéralisation, humification...) Si on s’attache à l’importance pondérale de la faune du sol, on s’aperçoit que, pour un sol de prairie tempérée, elle représente à peine 0,08 % de la masse du sol ! La totalité des organismes vivants du sol ne constitue en effet que 5 % des matières organiques totales. Ils se répartissent en moyenne entre 40 % de bactéries et d’actinomycètes, 30 % de champignons et d’algues, 33 % d’animaux, dont 23 % de vers de terre, 5 % de protozoaires et de nématodes et 5 % d’autres animaux. Et pourtant, la faune du sol est loin d’être négligeable car elle regroupe des centaines d’espèces. En moyenne, dans 1 m2 de sol prairial, on trouvera 150 g d’animaux soit quelque 260 millions d’individus. Les plus petits sont en général les plus nombreux mais leur biomasse est peu importante. La faune du sol est généralement classée selon la taille des organismes. On distingue :

- La micro-faune, d’une taille inférieure à 0,2 mm avec les protozoaires comme les amibes, les nématodes... Ce groupe est peu connu, on sait qu’ils sont très spécifiques d’un type de sol et que beaucoup sont des parasites.
- La mésofaune, qui comprend les organismes dont la taille est comprise entre 0,2 et 10 mm avec les collemboles, les acariens, les insectes primitifs... Ces derniers se déplacent très peu et ont donc peu d’impact sur la structure du sol, par contre, un grand nombre d’entre eux sont des consommateurs de litière qu’ils contribuent donc à fragmenter.
- L a m a c r o f a u n e regroupe les organismes de plus de 10 mm : diptères, lépidoptères, larves d’insectes, crustacés (cloporte), araignées, pseudoscorpions, myriapodes, gastéropodes, lombriciens... Tous les types de régimes alimentaires sont représentés : prédateurs, saprophytes, parasites...

Les lombriciens sont les plus importants en terme de biomasse. Ils sont eux-même classifiés en épigés, anéciques et endogés. Les épigés se cantonnent à la surface de la litière, ils sont donc sensibles aux variations de teneur en matière organique, et de climat. Les anéciques creusent des galeries verticales pérennes et font des allers-retours entre la surface où ils s’alimentent la nuit et la profondeur. Ils sont capables de casser la semelle de labour et présentent une intense activité fouisseuse. Les endogées eux, vivent constamment en profondeur (30 à 80 cm) et créent des galeries horizontales éphémères pour leurs déplacements. Ils jouent sur la stabilité structurale et l’aération du sol.

Les lombriciens : accélérateurs du recyclage de la matière organique

Les lombriciens jouent un rôle majeur dans la vitesse de recyclage de la litière. Une étude comparant deux sols au fonctionnement très différent a permis de mettre ce rôle en évidence. le premier sol est situé dans la région de Fougères (35) et présente un humus de type Moder soit avec des processus de décomposition-humification ralentis et une accumulation de litière. Le deuxième se situe dans la Saône et présente un humus de type Mull, soit une disparition rapide des débris organiques, une formation abondante de complexes argilo-humiques et une minéralisation rapide. Les deux principales différences mises en évidence sont un pH de 4,3 pour le sol de Fougères contre 6,5 dans la Saône. Et la biomasse lombricienne est significativement plus importante dans le sol saônois. En fait, la biomasse lombricienne augmente d’autant plus que le pH est proche de la neutralité, et le cycle de la matière organique s’en trouve accéléré. Mais quel impact sur la productivité végétale ? En Nouvelle-Zélande, des fermiers ont accéléré la colonisation lombricienne de sols qui en étaient jusqu’alors dépourvus en les “ensemençant” artificiellement. L’humus est effectivement passé de Moder à Mull et la production fourragère, après avoir fortement augmenté, s’est stabilisée à 6-7 tMS/ha, contre 4 tMS/ha avant l’introduction des lombriciens. En fait, ils sont des catalyseurs de la transformation de la matière organique. Les bactéries et les champignons en sont les agents mais grâce aux vers de terre, ils se déplacent à une plus grande échelle. Les broyeurs de litière eux, augmentent la surface de contact avec les micro-organismes. Tous les organismes du sol sont donc complémentaires et indispensables à son bon fonctionnement. On constate par ailleurs que l’apport d’amendement organique e t sa nature influent sur la population lombricienne : elle augmente avec l’apport de manière organique et de manière quasi prop o r t i o n n e l l e à s a richesse. Une expérience en laboratoire où de l’azote marqué radioactivement a été suivi a mo n t r é qu’après 85 jours, en absence de lombrics, 71 % de l’azote reste dans la litière, et 20 % se situe dans le sol superficiel. En présence de lomb r i c s , la l i t i è r e ne contient plus que 8 % d’azote et on ne trouve que 8 % de l’azote sans le sol superficiel, par contre, on en trouve 52 % dans les structures lombriciennes.

Galeries et turricules

Les galeries creusées par les vers de terre favorisent la pénétration racinaire, la redistribution du carbone, l’infiltrabilité et l’aération du sol. Par rapport à un sol témoin, la paroi des galeries est deux fois aussi plus riche en carbone et en biomasse microbienne, plus riche en azote, et avec un pH un peu plus élevé. Les vers de terre créent des turricules à la surface du sol : en ramenant à la surface, ils effectuent un tri granulométrique en remontant de préférence les particules les plus fines qu’ils mélangent à de la matière organique et à des sécrétions gastriques. Ces turricules présentent une plus grande stabilité et une meilleure capacité de rétention en eau.


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