Mercredi 24 avril 2019
Opaline LYSIAK

Après 5 années d’enseignement en lycée agricole, Opaline réalise un Tour du Monde et parcourt 12 pays en 12 mois : « Enseigner autrement l’Agroécologie". Elle crée l’Ecole d’Agroécologie Voyageuse, qui a accompagné 42 personnes à apprendre l’agroécologie en voyageant dans les fermes et trouver leur place dans le monde paysan et du Vivant.

Un écosystème s’est créé autour de Sébastien Angers

" L’agriculteur doit-être un chef d’orchestre des relations".
Quelle définition serait mieux placée pour imaginer l’agroécologie demain ?
C’est avec ces mots que le québécois Sébastien Angers a démarré les 4 conférences qu’il a données en février 2019, le tout organisé par Les Agron’Hommes et dans l’écosystème de BASE.

Parce qu’on sait tous que l’agriculture de demain doit fonctionner en écosystème, et que sans relations il n’y a pas de système, j’ai construit cet article sous la forme d’une succession de relations, celles qui se sont construites autour de Sébastien.

J’ai choisi de le faire intervenir dans le cadre du projet Les Agron’Hommes, que j’ai démarré par un tour du monde, au cours duquel j’ai atterri - sans vraiment l’avoir prévu - dans sa ferme située à Sainte Monique de Nicolet près de Trois Rivières (relation 1). Et j’ai tout de suite compris qu’au delà de sa passion pour le végétal, Sébastien a beaucoup travaillé sur l’Humain, en commençant par lui-même, et que son expérience pouvait inspirer beaucoup de (futurs) paysans en France. J’ai même fait un petit article pour l’occasion.

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« Vivre et créer l’agroécologie par l’expérience »

C’est la mission du projet Les Agron’Hommes. La tournée de Sébastien en France s’est inscrite dans ce projet. Ce n’était pas juste un cycle de conférences, mais une création de fertilité pour construire une plateforme d’apprentissage de l’agroécologie et catalyser le partage d’expériences entre la France et le Québec.

Les jeunes (qui sont des graines) sont au coeur de cette plateforme et tous les autres acteurs doivent créer la fertilité pour les aider à créer le monde de demain : agriculteurs, enseignants, conseillers, chercheurs, mangeurs (oui, parce qu’au final le but c’est de manger quand même), décideurs.

D’ailleurs, Sébastien a senti qu’il pouvait contribuer au projet Les Agron’Hommes :

Tous ces acteurs ont gravité autour de Sébastien pendant sa tournée, et moi j’étais là pour récolter les fruits de ces connexions.

A Paris : amortir le jet lag et rencontrer Landfiles

Prendre soin des agriculteurs, la base de l’agroécologie non ? Alors en arrivant à Paris Sébastien a pu se reposer chez Agnès Poirier, qui réalise un film documentaire sur l’installation agricole. L’occasion d’échanger sur la vision de l’agriculture outre atlantique (relation 2).

Puis j’ai connecté Sébastien et Nicolas Minary, créateur d’une application pour partager l’agroécologie : Landfiles. "Les agriculteurs doivent partager leur algorithme agroécologique. On est dans une guerre où le premier qui siphonne les données des agriculteurs gagne. Nous, on veut valoriser a créativité des agriculteurs pour qu’au final ils soient plus autonomes" explique Sébastien, qui a lancé une start-up au Québec, InfloWrescence, pour partager les expériences des agriculteurs : quels mélanges de plantes sont nécessaires dans quelles situations ? Comment les chercheurs peuvent aider les agriculteurs à apprendre de leurs expériences sur le terrain ? Avec Landfiles, Nicolas propose un outil- portfolio qui répertorie les pratiques agricoles et qui permettra à l’agriculteur d’y trouver des pratiques adaptées à son contexte (relation 3).

Un Québecois chez les Bretons (relation 4)

Superbe deal pour la tournée de Sébastien : les cotisations des agriculteurs de BASE ont permis aux agriculteurs ET aux étudiants des lycées agricoles de rencontrer Sébastien et bénéficier de son expérience. Les agriculteurs d’aujourd’hui investissent dans la boîte à outils agroécologiques de ceux de demain.

La ferme de la famille Le Callonec, en bio depuis 50 ans, nous accueille pour la première étape BASE. Près de 130 personnes sont venues écouter Sébastien, bien serrées dans le petit hangar prévu pour l’accueil du public. J’ai ici recueilli le ressenti à chaud de Patrice Le Callonec, Sébastien et Philippe Pastoureau :

Les BTS APV contribuent au projet agroécologique de Sébastien (relation 5)

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Lorsque j’ai présenté mon voyage en Agroécologie aux BTS APV du lycée agricole de Chambray, les étudiants ont eu un mini coup de coeur pour Sébastien. Ils ont donc étudié la ferme avec quelques vidéos.

Dans cette vidéo, Sébastien présente un schéma, issu d’un livre « Plants of the World ». Encore des relations à orchestrer, celles entre les plantes et avec le sol (relation 6). (Ecoutez Sébastien en podcast, parler de la relation Sol-Plante).

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Alors naturellement, quand Jean Robert Moronval, le super prof d’Agron’Hommie, a su que Sébastien venait, il a proposé d’accueillir Sébastien pour une conférence. Ver de terre production était là pour capturer la conférence et qu’elle soit accessible à tous (relation 7)

L’après-midi, les étudiants ont pu travailler sur le thème de l’Agriculture Biologique de Conservation en croisant les contextes Normandie / Québec. A la demande de Sébastien, et pour compléter le travail réalisé par un groupe d’étudiantes de Bordeaux Sciences Agro (relation 8) sur la présentation de la ferme de Sébastien sur l’application Landfiles, un groupe d’étudiants a construit le schéma décisionnel de Sébastien, concernant la gestion des adventices.

Sébastien démarre un projet de recherche participative sur le maïs implanté à 154 cm ; il a proposé aux étudiants d’explorer la possibilité de faire la même chose avec le tournesol. Voici un extrait de l’article écrit par les étudiants :

La culture du tournesol à 154 cm d’écartement

Article rédigé par : Alexis Loisel, Pierre Sellier, Rémi Piedeleu et Thimoté Delabarre

Pour le tournesol il faut viser une densité de 50 000 à 60 000 plantes levées/ha, semées avec un écartement entre rang ≤ 60 cm, ce qui donne au mètre linéaire une quantité de 4 plantes.

Sébastien Angers souhaite expérimenter le semis du tournesol avec un écartement de 154cm tout en gardant la même densité de plantes levées par hectare (50 000 à 60 000), ce qui donne 10 plantes/m, 6 de plus qu’avec l’écartement standard. Cette implantation à 154 cm permettrait :
- de lutter contre les adventices de la famille des Asteracées et en particulier l’ambroisie, adventice très présente sur son exploitation.
- de diminuer la transmission des maladies
- d’améliorer l’efficience du rayonnement lumineux
- de diminuer les pertes à la récolte
- d’améliorer la structure du sol par un système en SCV
- de créer un refuge pour la biodiversité sur le sol et dans le sol entre les lignes

Attendus :
Améliorer sa gestion de flore adventice en implantant des cultures de la même famille que les adventices qui posent problème (tournesol ambroisie, appartenant tout deux à la famille des astéracées).
Améliorer la structure de sol
Gestion de la fertilité en bio : l’apport d’intrants de synthèse est interdit, il faut donc trouver des leviers à mettre en œuvre pour apporter tous les éléments nécessaire à un bon développement de la culture. La culture du tournesol à 154 cm permet d’introduire un couvert élaboré entre rangs qui apporterait de l’azote, de la potasse et du phosphore. Ce couvert pourrait être utilisé comme support de semis pour la prochaine culture (SCV).

Les points à réfléchir :
Dans la destruction ou dans la régulation du couvert, il faudrait un matériel adapté comme un système de guidage RTK. Quelle largeur de couvert entre les lignes de tournesol ? Quelles espèces ? Quelle date de semis ? Débouché du couvert ?
L’implantation à 154 cm nécessiterai du matériel de précision et pourrai engendrer un baisse de rendement jusqu’à 20% qui serai entre autre compensée par l’absence d’apports d’azote de synthèse. Quelles variétés de tournesol ? Quelle date de semis ?

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Semis en quinconce :
Pour garder la même dose hectare, un semis en quinconce pourrait être utilisé comme en maïs avec un semoir mono-graine. Lemken propose aujourd’hui une semoir monograine Azurit 9 qui permet de semer du maïs en quinconce avec le concept Lemken DeltaRow avec une largeur de 4, 6 et 8 rangs à une largeur de 75 cm, ce qui devrait être modifié pour un semis à 154 cm, il suffirait de retirer un élément semeur sur deux (un semoir 6 rangs en 75 cm serait remplacé par un semoir 3 rangs en 154 cm).

Le DeltaRow se compose de deux rangs décalés distants de 12,5 cm. Grâce à la synchronisation des rangs il est possible de déposer très précisément les semences en formant un triangle (d’où DELTArow). En comparaison des semis à un seul rang le DeltaRow procure 70 % d’espace supplémentaire ce qui signifie davantage d’eau, de nutriments et de lumière. Une seule ligne d’engrais starter est déposée en localisé entre les 2 rangs DeltaRow ce qui permet l’implantation symétrique des unités de semis. Sur les sols menacés par l’érosion la technique se révèle supérieure au rang unique car elle favorise un meilleur enracinement dans le sol. La couverture du sol plus rapide au début de la période de développement ce qui engendre une meilleure lutte contre les adventices au début de la période de développement.
Plus d’informationsici.
Quelle place du tournesol dans le système de culture de Sébastien ?
Le tournesol est une culture d’été à croissance rapide et cycle court qui est en adéquation avec la faible durée de végétation au Québec.
Le tournesol permet de diversifier les cultures présentes. Pour le moment Sébastien a 4 espèces différentes mais 2 familles de plantes présentes (poacées et fabacées). Le tournesol est une Astéracée, ce qui diversifie le système, permettant de lutter contre l’ambroisie présente abondamment dans les parcelles de la ferme. L’ambroisie n’aime pas la concurrence ; on doit implanter le tournesol pour le rendre compétitif et le tournesol doit être compétitif avec le couvert. Il faut interdire le développement de l’ambroisie par couverture du sol, le couvert doit être compétitif avec l’ambroisie.
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Sébastien, accueilli chez Vincent, découvre le contexte charentais (relation 9)

J’ai pris la liberté de résumer l’article écris par Corinne Guerlesquin, enseignante d’agronomie et référante Enseigner à Produire Autrement au LEGTA de l’Oisellerie.

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Corinne écrit : « Quelle chance pour les étudiants d’avoir été invités à participer le 12 Février à une journée BASE à Dignac, organisée par un jeune agriculteur Vincent Dupoux (…) Chacun avec Sébastien a pu s’enrichir des multiples expériences (…) afin de pouvoir guider et mieux accompagner l’agriculteur de demain en cohérence avec ses valeurs et afin de relever les défis qui se présentent.
Rompre l’isolement, décloisonner les échanges, recréer du lien entre les générations et les « types d’agricultures » tel a été le fruit de cette très belle journée sous un soleil discret mais bienfaisant pour nos terres et pour chacun des participants ! Je pense que pour ces jeunes futurs professionnels ce fut une démonstration parfaite que ce qui compte c’est « l’envie de créer » comme l’a répété plusieurs fois Sébastien
 »

Sébastien et Vincent ont pu discuter autour du projet de rotation (ci-dessous) de Vincent : même si on est pas dans le même contexte, les idées dans la tête d’un agriculteur créatif québécois sont toujours utiles !

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Ecoutez Sébastien parler de la relation Homme-Humus.

« L’agriculture est une question d’équilibre » : quand un Québécois rencontre un Basque (relation 10)

Dans la famille des agriculteurs qui ont le cerveau qui fume en permanence et que j’ai du mal à suivre, il y a Félix Noblia, que Sébastien devait absolument rencontrer.

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Comment résumer les aspects techniques rapidement ? Bingo ! J’ai récupéré les notes prises par Félix Noblia lorsqu’on a été chez lui avec Sébastien.

Et si on créait une asso BASE au Québec ? Quand Sébastien écoute Frédéric (relation 11)

Sébastien, moi et Frédéric Thomas sommes intervenus pour les 10 ans de l’Association Occitane de Conservation des Sols, au lycée agricole d’Ondes. Sébastien me dit que son algorithme a "pris un coup, a été ultra-boosté" pendant la présentation de Frédéric, qui a bien duré 3 heures. Un élan d’inspiration pour Sébastien, séduit par la technique et aussi les valeurs de BASE : respect, tolérance, passion, partage. Au Québec, une "gueguerre" existe dans le milieu de l’AC, et Sébastien a envie de créer une antenne de BASE au Québec. Une idée qui séduit pas mal Odette Ménard et Jocelyn Michon.

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Bouquet final de l’inspiration : Franck Baechler sur les terres de Sologne (relation 12)

Eleveur de brebis Solognotes et de vaches Angus sur couverts végétaux et pâturage tournant dynamique, Franck Baechler travaille en partenariat étroit avec Frédéric. Sa passion, sa patience, son envie de partager notamment à travers Icosystème et la structure Holisticom qu’il a créée, ont achevé de séduire Sébastien, qui pour le moment valorise peu ses couverts par l’élevage. Observer l’impact du travail de régénération effectué par Frédéric sur ses terres sableuses de Sologne, a confirmé à Sébastien son chemin de l’AB à l’AC.

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Expérimenter, créer des situations à risque où l’on peut échouer, observer, s’observer, partager. L’agriculture est une question d’équilibre. La clé pour que les jeunes apprennent l’agroécologie demain ?

> Vous souhaitez participer à l’organisation du voyage pédago-agroécologique d’un agriculteur étranger en France ? Contactez opaline : opalinelysiak chez gmail.com.

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Opaline Lysiak, article publié depuis le Brésil le 24 avril 2019