Grand débat : les propositions des réseaux AC

Dans le contexte actuel amplifié par les débats à tous les étages où chacun peut s’exprimer, communiquer ses doléances mais aussi et surtout faire part de ses réflexions et idées, il nous semble opportun d’utiliser cette voie pour faire remonter nos positions et propositions. Notre information n’utilisant pas les canaux habituels, qui jouent souvent le rôle de filtres, aura peut-être plus de chance d’être entendue et même comprise. Ce « gentil bordel créatif », expression de Michel Griffon (CIRAD) et cofondateur avec Jean-Louis Borloo du concept d’AEI (Agriculture Écologiquement Intensive), peut déboucher sur de nouvelles orientations pertinentes si tout ce « remue-méninges » est bien valorisé !

L’AC, porteuse de solutions et de messages

Pour commencer, les enjeux sont multiples, divers et d’apparence pas forcément connectés. En premier, se place l’économie avec la recherche de revenu mais aussi et surtout d’un mieux vivre. L’attente environnementale suit avec les dossiers réchauffement climatique et biodiversité qui sont vite rejoints par les aspects sanitaires et qualité de l’alimentation. Enfin, les dimensions sociales et sociétales sont stratégiques afin de reconstruire une société apaisée où chacun, y compris les agriculteurs, trouve sa place et se sent respecté et impliqué. Le tout avec plus d’autonomie et moins de dépenses collectives afin de ne plus continuer à aggraver la pression fiscale.
Dans ce contexte compliqué, l’Agriculture de Conservation est certainement porteuse de solutions et messages intéressants tant au niveau agronomique, bien entendu, qu’environnemental, économique et sociétal. Autant d’atouts et bénéfices qui méritent d’être présentés et remontés par toutes les voies possibles lors de ce grand débat.

Un impact en matière de CO2 direct et mesurable

Commençons par la transition énergétique. Si la grande majorité de l’attention est concentrée sur les énergies renouvelables qui ne sont que de la substitution et souvent des solutions coûteuses pas moins polluantes à terme, les vraies réductions de la consommation sont malheureusement laissées de côté alors qu’elles sont à la fois plus efficaces et logiquement plus économes. Avec la suppression du travail du sol, ce sont en moyenne 50 l/ha/an qui sont économisés avec l’AC. Pour apporter une illustration, cela représente tout de même l’équivalent de 1000 km de déplacement avec une voiture par ha et chaque année. L’impact en matière de CO2 mais aussi de particules fines est donc direct, conséquent et facilement mesurable. Cette réduction des émissions est d’autant plus vertueuse qu’elle s’accompagne d’une réduction similaire de consommation « d’énergie grise » (énergie nécessaire à la fabrication et à l’entretien des équipements).
 En matière de transition énergétique, l’AC est donc une proposition très pertinente qui peut montrer la voie à beaucoup d’autres secteurs. D’ailleurs et pour être encore plus logique à ce niveau, il conviendrait d’évaluer les activités agricoles sur leurs bilans énergétiques (énergie solaire captée – énergie fossile utilisée) ; un critère d’autant plus stratégique que l’on demandera progressivement aux agriculteurs de fournir une part croissante de bio-énergie.

La santé s’enracine dans le sol

En complément, la minimisation voire la suppression du travail mécanique repose sur des sols biologiquement dynamiques. Ce sont en fait les vers de terre, non agressés dans leur milieu naturel par le passage des outils, associés à une myriade d’organismes qui construisent et organisent le sol. Ils améliorent l’infiltration et le stockage de l’eau mais surtout gèrent le recyclage des matières organiques et les flux de nutriments qui retournent vers les cultures. Résultats : beaucoup moins de fuites polluantes par lessivage, préservation du milieu le plus riche en biodiversité sur la planète mais aussi et surtout l’assurance de produits alimentaires de grande valeur nutritive et donc favorables à la santé.
 À ce niveau, l’AC répond parfaitement à l’idée que la santé s’enracine dans le sol puis transite par les plantes et les animaux jusque dans nos assiettes. Ne s’agit-il pas ici d’une attente forte et plus que respectable ?

Intensifier la photosynthèse

Si cette vie dans le sol, que nous considérons comme un milieu vivant, profite de la quiétude que nous lui offrons, elle ne peut s’épanouir que si nous augmentons drastiquement la production de biomasse à travers les cultures et les couverts pour l’alimenter. Même si cela semble paradoxal pour certains, seule l’intensification de la photosynthèse avec une diversité de plantes en continu permet de développer et maintenir des sols vivants. Cette végétation profite déjà aux relations symbiotiques que beaucoup d’acteurs souterrains entretiennent avec les plantes. Les exsudats racinaires en nourrissent d’autres tout aussi nombreux et la grande masse des décomposeurs et minéralisateurs recyclera la biomasse racinaire et aérienne. Cette augmentation de la production de biomasse ne profite pas seulement au sol mais aussi à tout un écosystème en surface lorsque celle-ci est conservée et recyclée sur le sol. À cet étage, ce sont les abeilles comme tous les pollinisateurs qui vont bénéficier de ressources alimentaires diverses à des périodes souvent critiques comme à l’automne. Il en va de même pour beaucoup d’autres insectes, des oiseaux, des petits mammifères ; toute une chaîne qui va pouvoir s’étoffer grâce à la fourniture d’un milieu protégé, plus stable et surtout plus riche en diversité et ressources alimentaires.
 En plus d’être très favorables aux vers de terres et globalement à la vie du sol, les approches AC ont aussi un impact positif fort sur les abeilles, beaucoup d’insectes mais également de nombreux oiseaux ainsi que le petit gibier qui retrouvent, avec le gîte et le couvert, un accueil très favorable dans nos champs. Encourager la biodiversité ne se décrète pas mais se cultive en développant des systèmes de production cohérents qui eux-mêmes en profitent déjà.

Encourager les pratiques qui infiltrent et stockent l’eau

La combinaison de la suppression du travail du sol avec une couverture végétale abondante et vivante le plus longtemps possible modifie par ailleurs drastiquement la gestion de l’eau. L’accueil et l’infiltration sont très largement améliorés en comparaison à des sols « nus » et exposés, même après implantation des cultures, ce qui permet de ralentir, de manière très conséquente, les flux d’eau. Celle-ci, captée dans le sol, pourra être ensuite valorisée (moins de besoin d’irrigation) et l’excès sera filtré et rendu « propre » et de manière plus diffuse à l’environnement. À ce niveau, il faut intégrer que 1 mm de pluie qui ruisselle ou qui s’infiltre représente tout de même 10 m3/ha : un volume d’eau qui devient très vite une catastrophe à l’échelle d’un bassin versant !
En plus de jouer sur les volumes, l’AC va fortement limiter l’érosion. C’est d’ailleurs cette fonction qui lui a valu sa dénomination (conservation des résidus à la surface pour préserver les sols) ; un effet largement documenté et reconnu. Dans un monde où le climat est de plus en plus soudain (comme nous avons pu le constater dans de nombreuses régions en 2018), freiner les flux d’eau et conserver les sols en place doit être une priorité. Cette stratégie d’assurance, en amont, est indispensable pour limiter les détresses et les pertes occasionnées mais aussi pour fortement limiter d’importantes dépenses collectives (assurances, État, collectivités locales), consenties en aval, pour nettoyer, réparer et même financer des solutions d’évitement et de protection.
 Il serait peut-être temps, à ce niveau, de sortir d’une politique « shadok » pour encourager des pratiques qui infiltrent et stockent l’eau qui sera souvent très utile plus tard, tout en tout en préservant le capital « sol » qui est aussi une ressource non renouvelable !

Un puissant levier face au changement climatique

En prenant un peu de hauteur, limiter le travail du sol et intensifier la photosynthèse auront également des effets plus globaux à moyen et long terme. Déjà, tout en consommant beaucoup moins d’énergie fossile, l’AC est une solution habile pour injecter du carbone dans le sol sous forme de matières organiques où il sera beaucoup plus utile. On retrouve ici le fameux projet 4/1000 où le déploiement de ces pratiques serait capable de contrebalancer une partie des émissions : un consensus qui fait progressivement écho dans les communautés scientifiques et internationales. La cohérence de l’approche ne s’arrête pas là car couvrir les sols avec de la végétation vivante et fortement productrice de biomasse les refroidit en été et augmente de fait la transpiration qui régule les cycles de l’eau atmosphérique. Résultat, les nuages montent moins haut et il pleut généralement plus et plus régulièrement (Cf. TCS 100).
 Vue sous cet angle, l’AC est un puissant levier pour à la fois augmenter la résilience de l’agriculture face au changement climatique mais aussi en atténuer l’ampleur à court et moyen terme en agissant de manière cohérente à des niveaux différents mais très stratégiques.

Adopter une posture positive

En complément, nous n’avons pas attendu de grandes mesures stratégiques, de soutiens médiatiques ni d’aides financières pour nous aventurer dans cette conversion profonde de nos pratiques. C’est l’analyse de la limite de nos pratiques « conventionnelles » qui nous a conduits, non sans difficultés et échecs, à ces changements radicaux. Cette proposition de projet pour la société, l’environnement et pour la planète a donc l’avantage d’être déjà largement validée et active sur des milliers de fermes « pilotes » dispersées sur le territoire. Ainsi, sa mise en œuvre et sa démultiplication afin d’en amplifier l’impact ne seraient pas très coûteuses. Par contre, il ne s’agit pas d’un panel de recettes qu’il suffit de vendre ou, au pire d’imposer, mais d’une approche globale différente et d’une dynamique qu’il faut promouvoir avec l’adoption d’une posture positive où la solution réside souvent dans le problème transformé en opportunité.
 Le coût collectif d’un tel changement profond est relativement faible avec, à la clé, des économies importantes, ne serait-ce qu’au niveau des inondations ou la potabilisation de l’eau, sans compter le renforcement de la compétitivité des exploitations agricoles.

Restituer une légitimité aux agriculteurs

Un autre atout majeur de ce changement de pratique, est qu’il est d’abord initié et conduit par les agriculteurs eux-mêmes avec leurs connaissances face aux contraintes du milieu, leur bon sens et leur clairvoyance. Il fait également appel à leur habileté à assembler des équipements, à concevoir des itinéraires inédits ou à essayer de nouvelles plantes ou cultures. Au cours des 20 dernières années, l’Agriculture de Conservation a été un véritable laboratoire de recherche agronomique et un incubateur d’innovation qui place aujourd’hui la France comme leader européen. Cette réussite nourrit l’enthousiasme qui dynamise encore plus la capacité à innover et à construire demain, grâce à des réseaux d’échange qui permettent en retour la diffusion rapide et une adaptation locale. En d’autres termes, notre projet AC est aussi être humainement et socialement cohérent.
 L’AC, tout en redonnant une place centrale dans ce débat à une profession assaillie de toutes parts, devrait permettre de restituer une légitimité et beaucoup plus de compréhension envers les agriculteurs et des filières stratégiques pour l’économie du pays, qui en ont urgemment besoin. Des modifications de pratiques agricoles peuvent aussi avoir un impact social et sociétal fort !

Un exemple pour d’autres secteurs

La difficulté des analyses réalisées aujourd’hui par le plus grand nombre vient de pensées linéaires et de raisonnements « causalité solution » simplistes alors que la base des relations en économie comme dans la nature est systémique. Il convient donc de changer d’angle et d’approcher les sujets de manière globale ou sous forme d’écosystèmes pour vraiment s’attaquer aux causes fondamentales et initier des solutions durables. Alors en matière d’agriculture, ne gâchons pas cette chance d’autant plus que l’approche, les concepts et la cohérence, qui sont développés avec l’Agriculture de Conservation aujourd’hui, peuvent certainement faire écho, servir de trames ou d’exemples pour aborder des mutations nécessaires dans beaucoup d’autres secteurs de notre société.
Faîtes confiance aux agriculteurs !


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