Mercredi 21 novembre 2018
Thierry Stokkermans

Originaire du Sud-Ouest de la France, Thierry STOKKERMANS a travaillé en Espagne, Nouvelle-Zélande et Australie avant de s’installer aux Pays-Bas. Convaincu par le semis direct à faible perturbation, il conçoit et développe aujourd’hui des machines agricoles (zip drill).

Lutter contre le changement climatique en Europe avec l’Agriculture de Conservation

Mercredi 7 novembre, il y avait la présentation officielle des résultats du projet Climagri au parlement Européen à Bruxelles. L’évènement était organisé par la European Conservation Agriculture Federation (ECAF) ou en français : Fédération Européenne de l’Agriculture de Conservation. L’entrée était gratuite. La demi-journée était chargée avec 21 intervenants. C’était très intéressant. Ci-dessous se trouve une synthèse de mes notes.
La demi-journée commença avec une introduction, suivie par, dans l’ordre chronologique : une section science, une science politique, des témoignages d’agriculteurs et une section sur les réseaux en agriculture. Le tout conclu par un discours du président de l’ECAF.
La première personne à prendre la parole fut l’Eurodéputée Clara E. Aguilera-García. C’était dynamique et visionnaire. J’ai été impressionné de voir à quel point elle comprend le besoin global pour des sols en bonne santé et la nécessité d’une approche pragmatique pour atteindre les résultats désirés. Madame Aguilera-García comprend bien l’Agriculture de Conservation (AC). Le président de l’ECAF, Gottlieb Basch prit la parole à deux reprises durant l’évènement. Une fois au moment de l’introduction. Il a présenté le projet Climagri et le souhait de protéger les sols pour les générations futures. Sa seconde intervention fut la conclusion de la demi-journée. Il a insisté sur le fait que l’AC est le piège à carbone le plus efficace que nous connaissions aujourd’hui et que, si nous décidions de l’adapter à grande échelle, cette agriculture vertueuse aurait un grand impact sur le changement climatique en cours.

182 millions d’ha en AC dans le monde

Amir Kassan, professeur à l’université de Reading en Angleterre, fut le premier scientifique à prendre la parole. Il commença par présenter les effets négatifs du travail mécanique du sol, en partant du local avec la perte de Matières Organiques du Sol (MOS) jusqu’au global avec les zones mortes dans les océans. Il expliqua le coût économique de la perte de fertilité des sols : les rendements stagnent et les coûts de production augmentent. Mais les agriculteurs réagissent face à cette situation. L’AC est pratiquée sur toujours plus de surface avec 180 millions d’hectare de cultures annuelles à la surface du globe. Il y a également des vergers et vignes en AC : 2 millions d’hectares en Europe. L’AC est également reconnue par la FAO des Nations Unies pour être une forme de Climate Smart Agriculture ou, en français : Agriculture Intelligente face au Climat (AIC). En résumé, monsieur Kassan a expliqué pourquoi des agriculteurs arrêtent le travail du sol traditionnel pour se mettre à imiter la nature en appliquant les 3 principes clés de l’AC : 1) couvrir le sol, 2) ne pas bouleverser le sol et 3) stimuler la biodiversité. De plus, dans une diapositive, il y avait un clin d’œil au livre Dirt : The Erosion Of Civilization écrit par David Montgomery. L’intervenant suivant fut Emilio J. González-Sánchez. Il a expliqué le lien entre CO2 et MOS. Si un agriculteur stocke 100 tonnes de carbone dans son sol grâce à des cultures et des couverts, il a soustrait 367 tonnes de CO2 à l’atmosphère. Concernant le projet Climagri, il a souligné le fait que les agriculteurs participant au projet ont, en moyenne, augmenté les MOS de 10% et réduit les émissions de CO2 de 78%.

Moins d’obligation de moyens mais plus d’obligation de résultats

Le secrétaire général de COPA-COGECA, Pekka Pesoneen, a introduit la section politique. Il a expliqué que “You can’t go green if you are in the red” ou, en français : vous ne pouvez pas être vert si vous êtes dans le rouge. Il a ajouté que, sur sa ferme finlandaise, il voit aussi les bénéfices de l’AC et, en particulier, en matière de stockage de carbone. Il est satisfait des résultats. Peter Wehrheim, un des économistes agricoles de la Commission Européenne (CE), a expliqué que la PAC actuelle avait plusieurs aides/subventions qui peuvent être mises à profit par un projet AC et que, par conséquent, le budget Européen soutient déjà l’AC et ses capabilités de lutte contre le réchauffement climatique. Il a également expliqué que, dans la future PAC, la CE va donner plus de liberté aux états membres dans l’utilisation de leur enveloppe budgétaire. En retour, les pays membres devront montrer que les résultats obtenus sont en accord avec les objectifs fixés par la CE. En d’autres mots, il y aura moins d’obligation de moyen et plus d’obligation de résultat. Christian Holzleitner, responsable d’unité travaillant sur le climat à la CE, a expliqué que la filière agricole doit réduire de 40% ses émissions de Gaz à Effet de Serres (GES) à l’horizon 2030. Pour les sols agricoles, il n’y a pas d’objectif mais le souhait que le taux de MOS soit stable dans le temps. Pour un agriculteur céréalier, cela signifie qu’en 2030, son tracteur devra émettre 40% de GES de moins qu’en 2005 et que l’Europe espère que ses taux de MOS restent identiques à ce qu’ils sont aujourd’hui. Comme vous le savez l’Europe ne prend pas part à l’initiative 4pour1000. Les états membres peuvent la mettre en place de façon individuelle mais le plan climat européen n’a pas retenu cette initiative. Christian Holzleitner a expliqué que le point de départ pour une action de lutte contre le réchauffement climatique est la mesure de la situation actuelle en Europe. En ce qui concerne les MOS, L’Union Européenne (UE) n’a pas la connaissance des MOS à l’échelle des parcelles. Ils ont ce savoir à l’échelle régionale mais ne l’ont pas au niveau de la parcelle. Sans ce savoir, l’UE est incapable de rémunérer les agriculteurs pour le stockage du carbone dans les sols. Ils n’ont pas les données pour démarrer un programme de stockage du carbone basé sur les résultats.
Cependant, je souhaite ajouter que, depuis quelques années, des scanner de sol tel que le Veris MSP existent et permettent de cartographier les MOS jusqu’au centiare près (1/10000 ha). Si, dans les années à venir, les autorités demandent de cartographier les MOS, il est possible que ce soit le signe que l’UE soit en train de s’organiser pour stocker le carbone dans le sol pour lutter contre le réchauffement climatique.

La pression adventice est moindre en AC qu’en sol travaillé à l’acier

Les agriculteurs témoignant de leur expérience venaient de 6 pays différents. Certains étaient du sud de l’Europe allant de la Grèce au Portugal et d’autres du nord de l’UE avec l’Allemagne et le Danemark. Ils ont tous montré des photos de couverts végétaux, de semis direct et de sol en bonne santé. Rafael Calleja, venu d’Espagne, a mis en avant les effets positifs de l’AC dans la lutte contre l’érosion. Il insista sur le fait que le sol ne ruisselle pas dans les pentes, même après un gros orage. Pedro d’Orey, chef de culture au Portugal, expliqua qu’en 14 ans d’AC, les MOS sont passées de 0,2 à 2%. Giusseppe Elias, venu d’Italie, montra qu’en combinant AC et Agriculture de Précision, la ferme Casani a augmenté ses rendements en maïs de 20%. Christos Cavalaris présenta un essai Hellénique avec 5 traitements allant de labour jusqu’à l’AC « full package ». C’est cette dernière qui a donné les meilleurs rendements (aussi bien dans la benne que dans le compte en banque). Olivier Martin, venu d’Allemagne, montra qu’il repoussait les limites d’absorption de l’énergie solaire avec des techniques tel que le relay-cropping. Frederik Larsen, un Danois qu’on ne présente plus, a invité la foule à le suivre sur Twitter car il ne pouvait expliquer tout ce qui se passait sur sa ferme dans les 5 minutes de temps qui lui était imparti. Il montra des photos de couverts végétaux expliquant que, même dans un pays froid tel que le Danemark, il est possible de faire pousser des couverts. Il expliqua qu’il avait plusieurs cultures très sensibles sur la ferme telles que des cultures de semences de fourrages sous contrat avec des entreprises semencières, et que l’AC a rendu la gestion de ces cultures beaucoup plus facile car la pression adventice est beaucoup moindre en AC qu’en sol travaillé à l’acier.
Globalement, c’était un évènement très intéressant et c’était agréable de voir toute cette énergie positive autour de l’AC en Europe. C’était ma première participation à un évènement organisé par ECAF et je suis très heureux d’avoir pris le temps d’y aller.

Colloque de l'ECAF à Bruxelles en novembre 2018
Colloque de l’ECAF à Bruxelles en novembre 2018
Thierry Stokkermans à droite, en mode selfie !