Dimanche 29 juillet 2018
Philippe Pastoureau

Éleveur dans la Sarthe et ACiste reconnu, Philippe PASTOUREAU multiplie les essais, toujours à la recherche d’amélioration. Rédacteur de longue date sur A2C, il relate ses expériences : un véritable appui technique et un vrai régal à lire !

Bilan de récolte, plan de match à venir.

JPEG - 387.9 ko

Bilan de récolte 2018

1 an de travail avant de savoir ce que l’on va toucher, bien peu de professions connaissent ce stress qui fait le charme de notre métier. En effet, tous les matins on va au job en donnant le meilleur de nous même dans l’espoir que la nature soit généreuse ou conciliante avec nous, mais c’est en faisant abstraction des impacts de nos pratiques sur l’environnement, et parfois le revers de médaille fait mal, très mal.
Je ne me plains pas, au contraire j’ai comme l’impression que la nature m’a épargné. Je suis comme beaucoup déçu, mais je vais couvrir mes charges et je sors d’une année très compliquée avec des sols en parfait état qui continuent de stocker du carbone dès la sortie de la batteuse du champ, initiation au relay cropping.
Avant de choisir son assolement, un petit rappel des charges qui gravitent sur nos fermes. ( source Casea, 580 fermes du grand ouest)
-* Les charges fixes, variables d’une ferme à l’autre mais vous trouverez ici un ordre de grandeur :

JPEG - 84.8 ko

-* Le coût des intrants 2017 des cultures principales.

JPEG - 80 ko JPEG - 77.7 ko

- On remarque ici que le poste fertilisation est une charge importante. On peut donc espérer économiser de l’argent en mettant en route un Plan Epargne Azote

-* Produit à l’équilibre 2018

JPEG - 102.8 ko

- Ici, on reprend le total des charges que l’on divise par les prix de vente moyen espérés avant semis. Pour faire simple, on retombe quasiment toujours sur le fameux 1000 € de chiffre d’affaires à obtenir par ha pour couvrir l’ensemble des charges, MO comprise. Au passage, toutes les entreprises incluent la main d’oeuvre dans leurs coûts de revient, nous devons donc en faire de même.

Source Casea, document privatif à ne pas diffuser.

Sur les matrices ci-dessous, dans ma situation, je détermine le prix de vente que je doit atteindre en fonction du rendement potentiel de mes parcelles, puis le gain ou la perte en fonction du prix de vente réel et du rendement obtenu.
L’objectif est d’atteindre 200 € de marge nette, moyenne sur l’ensemble de l’exploitation sur plusieurs années.
Le métier de l’agriculteur ne s’arrête pas à la production, il faut ensuite vendre et bien vendre si possible. Je ne cherche pas le meilleur prix, mais un bon prix en contractualisant une partie des ventes avant moisson si les prix sont atteints, ou avec des partenaires fidèles qui cherchent une traçabilité de leurs approvisionnements avec des prix stables mais rémunérateurs.

JPEG - 158.7 ko JPEG - 156.8 ko JPEG - 144.2 ko JPEG - 163 ko

  • Tous ces chiffres sont issus des fermes qui adhèrent au conseil de la société CASEA. Je ne peux que vous inciter à vous rapprocher de groupe d’échange technique et surtout économique.
    « Le groupe rend plus fort, le groupe va plus loin. »

Rendement de la moisson 2018

Sur mon orge d’hiver, j’arrive à sortir 70 qtx vendus à 157 €/t malgré un PS catastrophique de 61. Cette culture ne sera probablement pas renouvelée en 2019. ( rdt du secteur allant de 50 à 80 qtx)

Sur le colza associé de CDI ( trêfle/luzerne ), j’atteint 38 qtx aux normes. Ce produit est en stock et malgré un rendement bien en deçà de mes objectifs, la marge sera correcte. ( rdt du secteur allant de 0 à 35 qtx, rares sont ceux passant la barre des 40 qtx)

Sur le blé, je pense sortir 76 qtx car tout est en stock à la ferme. Les 2/3 sont contractualisés sur un prix mini de 170 € base récolte. Les PS sont moyens de l’ordre de 76 . Il me manque 10 qtx , mais je suis dans la moyenne haute du secteur.
Les rendements en blé de mon secteur sont très variables, l’hydromorphie de certaines parcelles a fait très mal pour certains, le retard de fertilisation pour ceux qui ne pouvaient pas entrer dans leurs champs en mars a anéanti les potentiels. Des parcelles sont tombées à 60 qtx, voire moins quand le choix des variétés et la technicité ont pêché. Bref, je suis très heureux d’avoir des sols en santé, d’avoir choisi des variétés qui ont bien résisté à l’humidité de fin de cycle et aux fortes pressions maladie, sans pour autant avoir explosé mon budget phyto.

Plan de match à venir.

Petit à petit, j’enchaîne les modifications sur ma ferme pour rendre plus efficiente chaque intervention dans les champs. Après avoir pas mal bossé sur la logistique du stockage d’effluents, du traffic, du poids à l’essieu, voyons ce qui se met en place dans le sol cette fois-ci...
Pour la seconde année, j’ai semé mon colza associé à du trêfle violet et de la luzerne. Mon objectif est de mettre en place les légumineuses pour 1-2 ou 3 ans afin de créer un véritable réseau souterrain de racines, d’hyphes et ainsi booster la vie du sol non pas forcément en la nourrissant ( ce que je faisais déjà), mais en lui permettant de se déplacer via l’immense toile d’araignée qui se tisse autour des racines pérennes (TCS n°57 et TCS n°98).

JPEG - 408.7 ko
Sur la photo, on aperçoit le chaume de mon colza associé. Toute la parcelle était associée de légumineuse, mais aujourd’hui on voit très nettement que seule la partie de gauche est bien pourvue en luzerne et trèfle aujourdhui.
A gauche, la paille a été broyée et ramassée à droite. Pour moi, la croissance du colza a été plus lente dans la partie paille broyée, ce qui a permis aux légumineuses de mieux s’installer. A droite, les légumineuses étaient bien présentes à l’automne mais semblent avoir disparu au printemps, j’avais remarqué une présence impressionnante de limaces qui broutaient en permanence mes légumineuses à l’ombre du colza, ???
J’ignore si je vais pouvoir ramasser un peu de fourrage pour mes vaches, mais nous ne sommes que début août, on en reparlera plus tard. Quoi qu’il en soit, cette association me permet d’aller chercher un peu de prime PAC "Oléagineux en mélange".

JPEG - 398.9 ko
Ici, nous sommes sur un chaume de blé qui suit mon colza associé de l’année dernière. On retrouve quasiment plus de trêfle mais la luzerne est elle bien présente. La présence de la légumineuse n’a gêné en rien mon blé et m’a même permis de diminuer de 20 unités la fertilisation azotée via les mesures Jubil.
Mon couvert est donc en place et fonctionnel au 1er août, c’est extraordinaire et aujourd’hui la luzerne est en train d’assécher en profondeur un sol qui est très peu exploré par les racines annuelles. En pleine sécheresse, la luzerne pousse et je peux penser qu’elle va exploser dès le retour d’un peu de pluie.

JPEG - 119.6 ko

JPEG - 107.1 ko
Au cours de nos réunions d’hiver, il apparaît que les agris qui réalisent des apports de phosphore sur les parcelles limites ou déficitaires ont de bons résultats. A l’inverse, les décrochage de rendements vont souvent de paire avec des absences de fumure de fond de longue durée. Faire des impasses quelques années est possible, mais vider son sol n’est pas durable et se paie cash.
Maintenant, je n’ai pas le budget pour mettre beaucoup d’argent dans une fumure de fond, on va donc réduire les volumes d’engrais à base de phosphore ou souffre en localisant au maximum ceux-ci près de la ligne de semis. L’objectif est également d’avoir de beaux couverts qui vont remonter des éléments non disponibles par les cultures annuelles.

JPEG - 342.1 ko JPEG - 395.8 ko JPEG - 150.7 ko
Ma Cuma vient donc d’acheter ce semoir 100 % français, avec 0 €uros de subventions s’il vous plait, j’assume.
Ce semoir va venir compléter nos semis à la volée réalisés au Compil qui marche très bien. Le semoir à disque est privilégié pour les semis d’été et dans de faibles résidus, le Compil pour les semis dans les gros couverts ou derrière maïs grain.
Le choix d’un semoir muni d’une rangée de disques nous fait perdre le bénéfice d’une subvention PCAE, mais va peut être nous permettre dans certains cas de nous passer de glypho, cherchez l’erreur ???
Blague à part, les disques vont également nous servir à enfouir légèrement les effluents l’été mais aussi créer une rupture de capillarité étant donné que nous enlevons les pailles sur une partie des surfaces de blé. Comme on le voit sur la photo, un retour à un semis en ligne et l’usage du RTK me permet de semer le couvert entre les anciens rangs de blé, à voir si cela apporte un plus ou pas ?
Côté pratique, ce semoir dispose de 2 trémies de grande capacité, la 1ère alimente la 1ère tête de répartition qui descent dans la rasette semeuse. La second trémie alimente la seconde tête de répartition puis descent dans un petit tuyau qui dispose le produit plus ou moins profond. A cela vient s’ajouter une trémie petite graine que l’on envoie où l’on veut.

JPEG - 387.9 ko
Pour finir, nous voici sur un chaume de blé semé en direct dans un mélange luzerne-dactyle de 3 ans. J’ai réussi à calmer le dactyle dans le blé mais celui-ci a impacté de 4-5 qtx le rendement. La luzerne toujours présente a été régulé et explose aujourd’hui. Le fourrage que je devrais sortir de cette parcelle va probablement compenser la perte de rendement en blé qui je le rappelle, est dû principalement au dactyle. Je retrouve ici ce que faisaient nos grands parents, on appelle cela aujourd’hui le "relay cropping".

Et demain ???

JPEG - 275.6 ko
JPEG - 306.3 ko Nous venons de terminer la construction d’un nouveau hangar. Quasiment toute la paille que je vais utiliser pour l’élevage sera demain ramassée à l’autochargeuse et coupée en morceaux de 5 cm. Ceci va me permettre de diminuer un peu mes besoins mais facilitera grandement les épandages tout en améliorant la répartition. Cependant cette forme de paille nécessite un stockage adapté et si possible proche des lieux de consommation.
En réfléchissant à l’envers, nous avons transformé ce qui peut à 1 ère vue paraître un handicap en avantage. Si tout va bien, ce hangar produira de l’énergie solaire l’année prochaine. Son coût s’en trouve donc terriblement diminué, et cela remplit notre objectif d’être autonome en énergie.

Si tout va bien, nous produirons en 2020 autant de courant que nous en consommons

La mise en place des CDI ( couvert à durée indéterminée) dans mes colzas l’est pour un but économique dans un 1er temps. Mais avec les enchaînements que je fais par la suite et la présence de plantes pérennes au milieu de mes cultures, je découvre que la nature a horreur du vide. Là où mon CDI a disparu, les adventices germent spontanément alors que là où le CDI est bien en place, le sol reste "presque" propre !
Il y a des pistes à creuser, je vous laisse avec une nouvelle vidéo d’Opaline qui est allez visiter Sébastien Angers , agriculteur en ABC au Québec.

Plus de vidéos sur la page youtube des Agron’hommes