Orages, inondations, coulées de boue et érosion !

JPEG - 120.4 koAlors que l’agriculture fait souvent la Une, notamment avec le dossier des « pesticides » et du glyphosate, l’épisode orageux de mai dernier, qui a occasionné de nombreuses catastrophes et ravages dans tout le pays et même chez nos voisins belges et suisses, n’a fait bizarrement que quelques remous.
Ce différentiel de traitement de l’information est surprenant, alors que les images de terres inondées, de routes coupées, de talus arasés, de rivières charriant de la boue et d’estuaires engorgés par des marées marron sont des images suffisamment fortes pour faire écho et interpeler assez facilement l’opinion public. Idem au niveau de l’ensemble des ONG environnementalistes, habituellement si promptes à saisir toute opportunité de nuisances environnementales et de désastres écologiques pour communiquer, surtout lorsqu’elles sont d’origine agricole. Elles sont curieusement restées plutôt muettes et silencieuses alors que l’occasion était belle de ressortir les propagandes alarmistes classiques et bien rodées avec en tête, le réchauffement climatique, le maïs, l’agriculture intensive, les pesticides, les remembrements, la pollution des rivières… Rien de tout cela ! Soit les médias avaient d’autres sujets plus stratégiques et vendeurs au même moment, soit ils ont envisagé de ne pas agresser encore les agriculteurs, déjà trop sous pression ou, soit le plus grand nombre a fait le choix de la fatalité et commence à s’habituer à l’idée du dérèglement climatique.

Un silence suspect...

Ce silence est cependant suspect et il pourrait bien cacher une gêne générale : admettre que le travail du sol est une cause majeure d’agression sur les sols, leur activité biologique et même les écosystèmes environnants et que face à ce désastre, le semis direct et plus globalement l’AC sont des solutions très intéressantes déjà en action. Leur gros défaut, mis à part de continuer d’utiliser encore des intrants « chimiques » (même si c’est dans une moindre mesure), c’est qu’elles se sont développées et répandues sur le territoire à la seule volonté des agriculteurs pionniers et des réseaux qu’ils ont su organiser.
Même si un orage est un épisode climatique toujours violent, il faut admettre que l’étendue du phénomène, sa durée mais aussi son intensité étaient suffisamment remarquables pour interpeler. Sommes-nous en train de percevoir les premiers soubresauts du changement climatique ? Certainement, et si c’est le cas, l’avenir risque d’être plus compliqué pour nous, agriculteurs, qui sommes directement impactés mais aussi plus ou moins indirectement, toute la population. Il y a donc urgence à limiter les émissions de CO2 mais aussi stocker du carbone dans les sols.
Même si l’on peut blâmer la météo, du côté de l’agriculteur, ces orages à répétition sont très problématiques. Outre les perturbations et retards de chantiers et/ou de semis, la couleur marron des rivières, la boue sur les routes et dans les villages sont des révélateurs de l’étendue de l’érosion. Il faut être conscient que la terre qui quitte les champs est toujours la meilleure, la plus fine et la plus riche : seuls les cailloux restent ! En plus des risques pour l’aval, l’érosion est une perte de potentiel de productivité durable en amont. C’est également une augmentation progressive de l’hétérogénéité à l’intérieur même des parcelles, qu’il faudra essayer de compenser par plus de technologie et donc encore des coûts supplémentaires.

Gaspillage de ressource

En complément, cette eau qui ruisselle et s’échappe des parcelles est le gaspillage d’une ressource terriblement utile pour plus tard dans la saison. Enfin, l’érosion que nous avons pu observer pendant les orages du mois de mai n’était qu’une amplification d’un phénomène courant qui gangrène les sols français mais aussi ceux de nombreuses régions agricoles de la planète où la non-couverture du sol associée à l’agressivité du climat sont très bien inventoriées comme les deux facteurs principaux. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Brésil, par exemple, s’est fortement orienté vers le semis direct voilà 30 ans afin d’endiguer les pertes dramatiques de sol au point de devenir le leader de ces pratiques, avec plus de 90 % des surfaces en AC aujourd’hui.
En aval et au-delà des pertes et des catastrophes personnelles, ce type d’événement a un coût collectif énorme. Si le chiffre de 430 millions d’euros a été annoncé pour les seuls orages de mai, alors que le coût global des impacts climatiques s’élèverait annuellement à 3 milliards d’euros, il y de grandes chances pour que nous soyons loin du compte. Quoi qu’il en soit et au-delà des sinistrés eux-mêmes, ce sont les assurances, les collectivités et l’État qui vont couvrir les frais et indemnisations ; indirectement, c’est nous. Si l’on estime que seulement 10 % de la population paye une assurance, une redevance et/ou des impôts ; cela va encore faire entre 50 et 70 € de charges supplémentaires pour l’épisode de mai. À ce coût direct des dommages, il faudrait intégrer, afin d’être plus juste, la valeur de la pollution des rivières et des estuaires, du comblement des lacs et retenues qu’il faudra nettoyer un jour, sans compter les relargages de phosphore et d’azote accumulés avec les sédiments. En d’autres termes, ce type d’événement représente une dépense collective dont il serait souhaitable de se passer ou au moins de minimiser.

Pertinence de l’AC

Cet épisode a aussi permis à tous ceux qui observent et ouvrent les yeux, de constater que l’ancrage de la terre par des racines de cultures et/ou de couverts ou, à défaut, la conservation de leurs résidus à la surface du sol, associé à peu ou aucune perturbation mécanique, permettait de largement limiter l’impact des orages. Si pour certains agriculteurs, ce choix technique leur a permis de sauver la culture en place, chez beaucoup d’autres, l’Agriculture de Conservation a vraiment montré sa pertinence en matière de conservation de la terre dans les champs, tout en ralentissant les flux d’eau par une bien meilleure infiltration. À ce niveau et contrairement à la pensée commune, c’est rarement l’engorgement du sol en eau qui limite l’infiltration mais souvent une fine pellicule de boue et même seulement d’eau qui peut stopper la pénétration dans le profil et/ou bloquer le départ de l’air qui doit laisser sa place. En fait, l’infiltration de l’eau va s’arrêter lorsque le film qui se crée à la surface du sol atteint la moitié du diamètre des gouttes qui tombent. Cette règle simple de physique montre bien tout l’enjeu autour de cet épiderme fragile mais essentiel qui doit recouvrir les sols. Il doit amortir l’impact de la pluie par la protection physique de la végétation, résister à la dissolution grâce aux mycorhizes et colles organiques, tout en conservant une macroporosité biologique, verticale, efficace pour évacuer rapidement de l’air afin de permettre une infiltration rapide et profonde de l’eau. Ainsi et en fonction de la gestion du sol, le différentiel d’infiltration peut se chiffrer en dizaines de mm/heure. Cela semble peu, mais lorsque l’on imagine qu’un mm de pluie qui ne s’infiltre pas et donc ruisselle d’un seul hectare, représente tout de même 10 m3 d’eau, on imagine bien que quelques dizaines de mm non infiltrés lors de violents orages vont représenter des milliards de m3 au sein d’un petit bassin versant, poussant les ruisseaux et les rivières hors de leurs lits. Face à cette menace, tout le monde réfléchit, s’organise et s’équipe pour évacuer plus vite l’excès d’eau en aval, reportant et amplifiant de fait les risques sur les voisins au-dessous, alors que l’amélioration de la capacité d’accueil et d’infiltration des sols agricoles est l’un des principaux leviers efficaces et rapides à mettre en œuvre.

Favoriser les "petits" cycles de l’eau

Mieux infiltrer l’eau et conserver son sol en place, c’est aussi préserver une capacité de production future. L’approche est d’autant plus vertueuse qu’elle exige de limiter, voire de supprimer, le travail du sol, donc de brûler beaucoup moins d’énergie fossile et de fortement réduire les émissions de CO2. Elle vise aussi à enrichir le sol en matières organiques et à stocker du carbone, en maximisant la photosynthèse via des cultures et des couverts végétaux performants. En complément, l’augmentation de l’évaporation par les plantes, à l’instar des forêts, favorise les « petits » cycles de l’eau et fait pleuvoir plus souvent et moins violemment que les surfaces dévégétalisées. Ces dernières encouragent les « grands » cycles avec des nuages qui montent en altitude et se chargent lourdement avant de craquer et tout lâcher. Développer des modes de production/consommation qui émettent beaucoup moins de CO2 et qui en plus, peuvent même être des puits de carbone, n’est-ce pas là le principal objectif de la loi sur la transition énergétique ? Mieux encore, cette orientation accentue de fait la résilience de l’agriculture face au changement climatique tout en minimisant les risques collatéraux comme les inondations, coulées de boue et pollutions engendrées par ces évènements climatiques.
Vous l’avez compris, au-delà de la pérennité de votre exploitation agricole, de vos intérêts personnels et de vos engagements en matière d’environnement et de biodiversité, l’AC montre encore ici sa forte cohérence positive globale. En complément, cette troisième voie s’est imposée sans soutiens, ni aides, ni reconnaissance. Même si on peut déplorer cette ignorance, voire une certaine minimisation des externalités environnementales positives de l’AC, ces aspects ne font que renforcer son bien-fondé, sa résilience mais aussi son intérêt pour le plus grand nombre.
En fait, il faut constater que ce n’est pas la connaissance des enjeux ou des solutions potentielles, ni même les savoir-faire qui manquent aujourd’hui mais seulement du bon sens ou plus généralement, une vision globale. À force de trop considérer avec obstination, des éléments isolés, de s’affronter sur des questions idéologiques ou de créer des « Task-force » à grand renfort de communication, nous perdons un temps précieux alors qu’il y a urgence. À l’inverse, la sagesse devrait nous diriger avant tout vers des solutions de compromis qui sont validées qui fournissent rapidement des résultats probants et qui, de plus, nous mettent dans une dynamique positive de changement.
Si certains prétendent que nous avons 20 ans pour changer de monde et d’agriculture, les réseaux AC peuvent être fiers d’avoir commencé à changer de pratiques culturales depuis plus de 20 ans déjà, sans soutien technique, financier ni même médiatique. Même si cette approche n’a pas toutes les vertus, le recul de milliers d’exploitations sur l’ensemble du territoire atteste aujourd’hui de ses cohérences agro-environnementales, notamment au regard des orages de mai dernier, mais apporte aussi un savoir-faire immédiatement transférable et applicable à plus grande échelle. Face à l’urgence, il s’agit d’une marche assez facile à franchir pour un grand nombre d’agriculteurs mais aussi une ouverture vers plus d’agro-écologie au sens large. Il serait donc temps que ceux qui veulent nous expliquer comment faire de l’agriculture chaussent leurs bottes et viennent visiter nos champs lorsqu’il pleut !


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