Vendredi 4 mai 2018
Frédéric Thomas

Après des séjours aux États-Unis et en Australie, Frédéric THOMAS débute son activité de conseil de terrain et, en 1999, il crée la revue TCS. Il s’appuie aussi sur sa ferme, en Sologne, des terres sableuses hydromorphes à faible potentiel, où il met en œuvre l’AC avec réussite. Il est aujourd’hui l’un des acteurs majeurs du développement de l’AC en France.

Les vers de terre migrent

Ver de terre migrant
Ver de terre migrant
Crédits : Pixabay / catarina132

Avec le printemps plutôt humide et la végétation qui démarre, les vers de terre reprennent leurs activités après un long hiver à l’abri du froid et des intempéries.

Normalement nos sympathiques collaborateurs sont très prudents et on les trouve rarement à la surface pendant la journée. Ils sont sensibles aux ultra-violet et leur peau perd rapidement son humidité sous le soleil. A la surface, ils s’exposent également à toute une cohorte de prédateurs alors pourquoi en retrouve-t-on après une grosse pluie ou un orage dans les chemins, sur la route et même au beau milieu de la cour ?

Ils souffrent plus du manque que de trop d’eau

Plusieurs théories tentent d’expliquer pourquoi les vers de terre sortent de leur galerie protectrice et s’exposent aux éléments et prédateurs. La plus courante est que les vers de terre fuient leur galerie emplie d’eau pour éviter la noyade. Cependant les chercheurs ont repoussé cette idée en montrant que nos lombrics peuvent vivre plusieurs jours immergés dans l’eau. En fait, ils souffrent plus du manque que de trop d’eau car leur peau doit rester humide pour assurer leur respiration.
Une autre version populaire est que le « tambourinage » des gouttes de pluie sur le sol déclenche des vibrations similaires à celles de prédateurs comme les taupes. Les vers fuiraient donc vers la surface pour s’échapper. C’est d’ailleurs un moyen utilisé par certains oiseaux mais aussi les pêcheurs pour en capturer quelques-uns.
Les vers remontent en surface également pour s’accoupler mais ils préfèrent une couverture végétale et l’obscurité. Il y a donc autre chose qui les pousse à de tels agissements lors des fortes pluies.

C’est la contrainte qui pousse à s’exiler

Les scientifiques arrivent aujourd’hui avec une explication plus plausible : ils pensent que cet environnement humide apporte un terrain idéal pour la migration des vers de terre. Ces conditions leur permettent de tenter de changer d’endroit contrebalançant les risques de croiser le bec d’un oiseau affamé ou de se retrouver grillé par le soleil revenu au milieu de la cour.
Cette hypothèse soulève donc une question de fond : pourquoi les vers de terre migrent-ils quitte à prendre tous ces risques ? Sont-ils à la recherche d’aventure, explorent-ils de nouveaux terrains de jeux ou fuient-ils des conditions de vie trop compliquées chez des agriculteurs travaillant leur sol ? La réponse semble assez facile et c’est toujours la contrainte qui pousse à s’exiler et entre autres, surtout le manque de ressource alimentaire. Ces vers de terre sont donc des individus affamés et sans avenir là où ils sont qui tentent leur chance, au grand péril de leur vie, de trouver un nouveau lieu et environnement pour survivre.

Plusieurs enseignements s’imposent donc ici :
- La nature possède une forte capacité de dispersion ce qui lui permet de recoloniser assez rapidement des milieux où elle avait été repoussée. C’est certainement par ce type de migration que les vers de terre ont progressivement réinvesti vos parcelles en AC.
- La préservation d’une couverture végétale vivante et/ou morte à la surface est aussi très stratégique afin de leur permettre de se déplacer avec beaucoup moins de risques.
- Le travail du sol à cette époque de migration peut être très impactant.
- Enfin et si le travail du sol est le plus gros « prédateur » des vers de terre devant toutes les autres pratiques culturales, la ressource alimentaire sera le facteur limitant principal. Le niveau de biomasse produit et laissé au champ, sa qualité (C/N et sucres) et sa continuité (régularité dans le temps) déterminent l’énergie disponible d’un milieu et donc le potentiel global de vie. Même dans une parcelle conduite en AC depuis de nombreuses années, la régulation et la dispersion de l’activité biologique s’établi par une compétition âpre entre les différents étages et les individus. Les plus faibles finiront par mourir de faim, être consommés par d’autres ou s’ils en ont la possibilité et encore la force, ils tenteront leur dernière chance en prenant leur baluchon comme ces vers de terre et fuir lorsque les conditions leur semblent favorables.
Cependant il ne faudrait pas croire que ce type de migration est moins présent chez vous sous prétexte que vous être en SD avec beaucoup de couverts Biomax et des pratiques phytos réduites. C’est plutôt le contraire, vous êtes tellement bons à les accueillir, les nourrir et les préserver qu’ils se multiplient très bien avec un « surplus » de population important qui obligera plus de tentatives de migration. C’est une sélection sans pitié qui règne dans nos champs et ce ne sont pas les plus forts et les mieux adaptés qui restent. Par contre, une grande partie de ceux qui tentent l’aventure périra mais ce ne sera que leur juste contribution aux écosystèmes environnants. Il faut savoir partager un peu de ses vers de terre et de ses carabes pour encourager les oiseaux par exemple. La nature est peut-être « belle » mais terriblement « cruelle » et génialement bien « organisée ».

Hérisson mangeant un ver de terre (vidéo)
Hérisson mangeant un ver de terre (vidéo)
Source : http://footage.framepool.com/mov/639-321-467.mp4