Lundi 6 novembre 2017
Michel Lambotte

Électromécanicien à la retraite, Michel LAMBOTTE se voue à comprendre les rouages de la thermodynamique. Il écrit régulièrement sur le climat et son évolution. Fils d’agriculteur, il reste lié à l’agriculture et participe notamment à un jardin collectif où il tente de faire adopter les principes de l’AC.

L’AC, banc d’essais de la thermodynamique ?

Dépasser la crise ?

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Beaucoup s’interrogent sur ce qu’il faudrait faire pour sortir de cette crise qu’on a de plus en plus tendance à appeler de civilisation. On ne sort pas d’une crise de civilisation, on change de civilisation, on remplace les idées qui sous-tendent l’actuelle par de nouvelles plus adaptées aux défis qui nous attendent et ils sont nombreux. Avec humilité nous devons considérer que nous ne sommes pas au-dessus des lois physiques et biologiques qui gèrent l’univers et plus proche de nous la biosphère.
Aujourd’hui nos sociétés sont régies par une représentation du monde, une manière de voir les choses, un modèle cohérent du monde qu’on appelle paradigme. On peut dire que ce dernier est axé sur une croissance capitaliste industrielle illimitée. Un nouveau paradigme qui tient compte de l’épuisement des ressources en reliant économie et écologie prend naissance sous nos yeux et entre en opposition avec le premier. Tant que les deux paradigmes ne se parlent pas, ne coopèrent pas, on n’avancera pas.
Il semble que la réflexion doit partir d’un élément présent dans toutes les activités des hommes et dans le fonctionnement de la biosphère. Cet élément est l’énergie. La science qui étudie les manifestations de l’énergie à travers les transformations qu’elle opère s’appelle la thermodynamique.
Cet article sans prétention se veut une vulgarisation de cette science à travers l’AC et l’agro-écologie qui semblent être de merveilleux bancs d’essais pour cette compréhension.

Que vient faire un article sur la thermodynamique dans un site dédié à l’agriculture ?

Il faut savoir que les plantes sont de merveilleuses « machines thermodynamiques », mais n’anticipons pas ; voici quelques rappels à propos de cette science.
Sans entrer dans des détails qui sont très bien expliqués ici http://www.francois-roddier.fr/ pour ceux qui voudraient approfondir, on peut dire que la thermodynamique renferme trois principes.

Le premier étant celui dit de la conservation d’énergie, la quantité d’énergie contenue dans l’univers est une constante : rien ne se crée, rien ne se perd tout se transforme.
La question qui vient maintenant à l’esprit est de savoir comment elle se transforme ?

Jusqu’à la moitié du siècle dernier nous n’avions que le principe de Carnot qui dit que nous ne pouvons obtenir durablement de l’énergie utile que par des cycles de transformation qui extraient de l’énergie d’une source chaude pour en renvoyer une partie dans une source froide. C’est sur ce principe que fonctionnent le moteur de nos tracteurs ainsi que toutes les machines thermiques. C’est sur ce principe qu’est bâtie notre civilisation capitaliste industrielle.
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Qu’adviendra-t-il quand l’énergie non renouvelable sera épuisée ?
On parle alors d’un système fermé, il n’y a pas d’échanges avec l’univers. Pour imager ce concept, prenons une bouteille thermo dans laquelle on verse de l’eau bouillante et des glaçons. Chacun comprendra que les glaçons vont fondre et l’eau deviendra tiède ; l’échange calorifique occasionnera des courants de convection qu’on considérera comme l’énergie utile. Quand la température sera uniformisée, on arrivera à l’équilibre thermodynamique et à l’arrêt du système ; on dit aussi qu’il est arrivé à son maximum d’entropie interne. L’entropie étant la mesure de la grandeur statistique du désordre d’un système. Plus l’entropie est élevée, moins on peut obtenir d’énergie utile.
On peut se demander que deviendra l’humanité si nous restons dans le cadre actuel. Et bien c’est la mort, mais on passera d’abord par la case du monde impossible à vivre, de là pourrait venir le sursaut salutaire.
Et si nous y étions ?

Thermodynamique appliquée au vivant : structures dissipatives d’énergie La thermodynamique des systèmes dits hors équilibre

Tout agriculteur sait bien qu’une plante se structure en consommant de l’énergie solaire ; ceux qui pratiquent l’AC cherchent par tous les moyens à produire le plus de structure végétale possible le plus efficacement possible et le plus longtemps possible durant les cycles de l’année.
Une plante construit sa structure en auto-organisation par un flux d’énergie qui la traverse venant de la source chaude qu’est le soleil pour en rendre une partie vers une source froide qu’est la nuit  ; on dit que c’est une structure dissipative d’énergie ouverte sur l’univers https://www.francois-roddier.fr/?p=370
Pour une plante, il n’y a que de 3 à 6% d’énergie incidente qui est transformée en biomasse http://botarela.fr/Poaceae/Famille/Photosynthese-2.html mais contrairement aux sociétés humaines, tout le reste est utilisé pour établir un équilibre dynamique de l’écosystème ne serait-ce que par les exsudats racinaires qui nourrissent les micro-organismes du sol, par la couverture végétale qui permet l’entrée de l’azote dans le sol grâce aux fixateurs libres d’azote ou par l’évapotranspiration qui crée les cycles courts de l’eau dont les plantes ont besoin.
Ces 3 à 6 % d’énergie solaire qui créent la biomasse réalisent un merveilleux travail : ils nourrissent le sol en le couvrant et par les exsudats racinaires, nourrissent la vie du sol qui le travaille avec les racines sans oublier la production de nourriture de l’animal et de l’homme.
Pour réaliser maladroitement ce travail, l’homme est obligé de consommer une grande quantité d’énergie non renouvelable ; c’est pourquoi il devient impératif de s’inspirer du fonctionnement du système vivant pour améliorer l’efficacité et la résilience de nos systèmes techniques et socio-économiques.

Appliquons la thermodynamique à nos systèmes socio-économiques

Pourquoi pas !

À partir de 1h.05 https://www.youtube.com/watch?time_continue=1&v=5-qap1cQhGA
Il faut deux monnaies et deux revenus pour des usages différents ! (A écouter absolument, c’est la colonne vertébrale de cet article)
Chacun sait que si nous circulons en voiture ou si nous travaillons en tracteur sans source froide c’est à dire sans radiateur, il y a de forte chance que le moteur se détruise rapidement en quelques minutes.
Pour l’économie c’est pareil en peut-être plusieurs générations. Aujourd’hui il n’y a qu’une économie, celle du marché avec une seule monnaie et une seule espèce de revenu. Comment peut-on imaginer un instant que cela soit durable ?
Comme la chaleur du moteur sans radiateur (source froide) se concentre dans un endroit de celui-ci, sans « monnaie froide » dans notre économie capitaliste industrielle, il y a concentration monétaire dans les mains de quelques uns et les différences de revenu augmentent.
L’homme n’est pas fait que de logique, de concept à imaginer ou de rationnel, il est fait aussi de préjugés, de sentiments ou de ressentiments. Prises seulement sous l’angle des inégalités de revenus, ces considérations peuvent déboucher sur de sanglantes révolutions.
Cet article souligne également la nécessité de la réflexion thermodynamique qui permet d’éclairer l’esprit, de casser les cercles vicieux et peut-être de susciter un engouement chez le lecteur tout en sachant bien que le sujet est ardu et très peu enseigné, ce qui est une sévère lacune. On peut espérer que suite à la lecture de cet article, des lecteurs potentiels se mettent à l’étude de la thermodynamique des systèmes dit « hors équilibre ».

Comme le dit Konrad Schreiber : il faut les deux pieds (https://www.youtube.com/watch?v=WMT8CozX6wY dans les 11 premières minutes).
Au lieu d’évoquer les circuits courts et les circuits longs, nous pourrions parler d’économie de marché industriel avec l’euro (le dollar, le yen) comme « monnaie chaude » et d’économie solaire en autonomie individuelle avec les monnaies locales comme « monnaie froide ». Comme des opportunités se dégageront dans les deux types d’économie, il conviendra d’être actifs dans les deux types d’économie ; dès lors nous aurons besoin de deux revenus, l’un généré par les échanges de l’économie industrielle, l’autre un revenu d’autonomie (revenu de base) octroyé en monnaies locales qui permettra de construire l’autonomie individuelle (culturelle avant d’être matérielle) indispensable à ce nouveau paradigme (il y aura un prochain développement comprenant la composante agronomique).

L’AC, l’agro-écologie source d’inspiration pour ce nouveau paradigme

Et bien oui !

Quand Frédéric Thomas écrit un article comme celui-ci http://agriculture-de-conservation.com/Reprendre-la-main-sur-notre-communication.html il ne fait que l’apologie de notre autonomie culturelle.

Quand Cécile Waligora s’inquiétant de la disparition de la biodiversité nous dit de s’en remettre à notre conscience elle nous invite à participer à l’élaboration d’un système socio-économique plus résilient et plus efficace.

Quand Philippe Pastoureau s’inquiète à juste titre de la corrélation entre les performances printanières de ses PV et le cyclone Irma il met le doigt sur l’interdépendance de tous les systèmes qui gèrent notre monde . Soulignons aussi la « décompaction des cerveaux » qu’il met en évidence dans les débats,vidéos ou commentaires auxquels il participe.

On pourrait terminer en paraphrasant ce dernier qui disait :
"Rêvons d’un monde où l’agriculteur sera au cœur des équilibres naturels, vitaux à notre survie."
Redevenons tous des agriculteurs, de près ou de loin , en tout ou en partie au coeur de cette transformation socio-économique à venir en équilibre avec les lois de la biodiversité et de la thermodynamique.

Il est vrai que le sujet n’est pas digeste et n’est qu’au début de son développement, un prochain article tentera de mettre en évidence la présence déjà effective de certaines activités ou relations entre activités susceptibles d’entrer dans le canevas thermodynamique.
Je reste persuadé que même si le sujet n’est pas à la portée de monsieur et madame tout le monde, il reste néanmoins nécessaire et inévitable pour chacun d’entre nous de pouvoir l’appréhender si nous voulons que nos enfants et nos petits enfants puissent espérer un monde qui en vaut la peine.