Glyphosate : gardera ou gardera pas ?

Glyphosate : gardera ou gardera pas ?Voici l’édito du prochain TCS, le n° 94 qui est en route vers vos boîtes aux lettres. Vue la semaine cruciale qui s’annonce, nous avons décidé de vous livrer cet édito dès aujourd’hui...

Si au milieu de divers événements majeurs et même de catastrophes naturelles presque sans précédent, un dossier a fait la Une et concentré les débats, c’est bien celui du glyphosate. Sans vouloir rajouter d’éléments supplémentaires alors que l’issue n’est pas encore claire au moment du bouclage de ce magazine, nous avons pensé salutaire de réfléchir à l’avenir.

De la nécessité d’une véritable réflexion

C’est l’annonce de Nicolas Hulot de voter contre sa réhomologation prochaine au niveau de l’Europe qui a vraiment mis le feu aux poudres. Les ONG « anti » et les médias, comme d’habitude, ont ensuite rapidement surfé sur l’affaire et entretenu l’intoxication informationnelle du grand public avec des surenchères douteuses. D’une certaine manière, il n’y a pas vraiment eu de « débat »  ; le dossier est à charge tout simplement et le glyphosate sur l’échafaud. Le dernier sondage Internet étant la preuve la plus criarde de cette manipulation collective. Au contraire, la presse, les associations environnementales, beaucoup d’élus de tout bord et même le ministère de l’Agriculture et le ministère de la Transition écologique sont restés sourds face aux multiples invitations à venir sur nos fermes afin de constater ce que nous sommes capables de faire en termes de couverts végétaux, d’encouragement de la biodiversité, de biologie du sol, de qualité de l’eau et même de stockage du carbone avec seulement un litre de désherbant contenant 1/3 de glyphosate par hectare.

Ce véritable arbitrage en amont, plus que la peur de la complexité du sujet, ne laisse rien présager de bon que ce soit pour le glyphosate, pour l’agriculture mais aussi pour le reste des décisions collectives difficiles, bien que nécessaires.

Cette campagne anti glyphosate et plus largement de dénigrement de l’agriculture a cependant obligé les agriculteurs pratiquant l’AC mais aussi beaucoup d’autres et presque tous les acteurs de la profession à essayer de défendre positivement le dossier. Même si c’était en ordre dispersé et quelquefois avec un discours en demi-teinte, nous avons assisté à une certaine solidarité démontrant bien les enjeux de ce bras de fer qui dépassent largement la seule interdiction de cet herbicide « maudit ». Nous tenons à saluer ici l’engagement et le courage de ceux qui ont osé affronter ce raz de marée médiatique et la tenue des communications plutôt positives.

À qui profite vraiment tout ce remue-ménage : à préserver la population d’un grand péril ?
Peut-être ! Mais il y a beaucoup d’autres problèmes majeurs à affronter avant. Malheureusement, ils sont souvent plus complexes, touchent plus de monde et l’angle d’attaque n’est pas aussi tranché et facile que pour le glyphosate : risque sanitaire, chimie de synthèse, multinationale américaine au passé chargé, OGM, lobbies s’attaquant à une Europe soit disant corrompue sont les bons ingrédients de ce cocktail. Risque oui il y a et il y aura toujours ! C’est vrai avec tout ce que l’on fait et avec tout ce que l’on mange. Cependant, le peu de cas avérés de problèmes réels au regard du volume de glyphosate utilisé ces vingt dernières années par une grande masse de la population (agriculteurs, jardiniers, particuliers mais aussi espaces verts, SNCF, etc.) est presque rassurant. Même constat avec les très nombreuses études en France et de par le monde cherchant à montrer sa toxicité aiguë : elle est plutôt rare et très relative. En complément, supprimer le glyphosate des champs en France et même en Europe ne changera pas grand-chose pour la qualité de la nourriture à partir du moment où nous continuerons d’importer beaucoup de produits de pays étrangers (USA, Canada, Amérique du Sud, Océanie, Inde, Chine...) qui utilisent beaucoup plus de glyphosate que nous avec les cultures Roundup Ready ou simplement comme dessiccant. Non, le glyphosate est avant tout un dossier facile pour beaucoup d’ONG et d’associations environnementalistes. Il leur permet de faire du « buzz » et développer une crédibilité auprès de la population en lui faisant croire qu’elles sont indispensables pour la protéger. Ces groupes sont utiles et ont leur place dans la diversité du paysage médiatique mais leur rôle est avant tout de lancer des alertes et non d’imposer leur dictat et leurs visions réductrices à ceux qui gèrent au quotidien des compromis avec l’attention de faire le mieux possible.

Face à cette pression médiatique qui va crescendo, les responsables politiques et l’Europe sont coupables de ne pas avoir pris rapidement la décision de reconduire l’homologation pour 10 ans. Le dossier ressemble à une patate chaude que l’on se refile en essayant de repousser l’échéance et la décision sur d’autres. Compliqué de dire « oui » et risqué de déplaire alors que l’on va se retrouver face à un scrutin ; la majorité de la population étant contre. Cependant ce suspens est aussi rassurant sur les risques du glyphosate. S’il y en avait de sérieux et d’avérés, la décision serait facile et aurait certainement été prise depuis longtemps de ne pas renouveler l’homologation. Cela a été le cas pour moult produits et molécules supprimés à partir du moment où il y avait des risques. Non, beaucoup font confiance aux experts et quoique nous en pensions, nos représentants comprennent souvent très bien les enjeux globaux et sont prêts à dire « oui ». Cependant comment expliquer cette position courageuse de retour chez soi sous une salve de critiques et un risque de dégringolade de popularité. Qu’on ne se leurre plus : le glyphosate est devenu, avant tout, un dossier politique et espérons que l’Europe ou plutôt nos élus fassent preuve de courage et sortent de ces consensus mous qui les enlisent toujours plus et nous avec.

Se donner le temps d’une transition réussie

Quelle que soit l’issue de cette comédie « haletante », la demande pour plus de verdissement est forte et ne va pas se relâcher. C’est d’une certaine manière une chance si elle reste ouverte et se nourrit de la réalité agricole ; qu’elle accepte les compromis et les recherches de cohérences développées par ceux qui travaillent au quotidien, dans leurs champs et leurs étables. Au mieux, l’emploi du glyphosate devrait être reconduit pour un certain nombre d’années avec des encadrements d’usages : une position et une proposition qui a toujours été la nôtre, et qui seraient l’issue logique et habile pour beaucoup. Se donner du temps Ce scénario nous donnerait, en parallèle, le temps pour montrer encore plus ce que le non-travail du sol et plus largement l’agro-écologie peuvent apporter en matière de qualité des produits et bénéfices environnementaux au niveau local mais aussi global tout en continuant de trouver et valider des alternatives afin de minimiser les quantités de glyphosate utilisées. Ainsi et avec des possibilités d’utilisations plus spécifiques et localisées où il n’existe pas encore d’alternatives sérieuses et/ou globalement moins impactantes, il serait possible de poursuivre notre conversion vers l’agroécologie et convaincre un nombre croissant d’agriculteurs de s’engager dans cette profonde mutation. La forte diminution des utilisations non justifiées (particuliers, espaces verts et même agricoles) réduirait de fait sa présence dans l’eau et même les aliments (attention aux importations !)

Si par contre, le couperet tombe avec une décision brutale et sans aménagements, c’est une grande majorité de la profession qui va se sentir, une fois de plus, flouée et complètement abandonnée. C’est également tout l’engouement et la dynamique qui se sont construits autour de l’agro-écologie qui vont être fortement ébranlés sans réels bénéfices pour les consommateurs, ni pour l’environnement d’ailleurs.

Une décision de non homologation ne favorisera pas le développement du Bio, même si de plus en plus de chevronnés de l’AC lorgnent sur cette possibilité de label et de prix plus rémunérateurs. Cette conversion se fait souvent avec un retour à du travail du sol permettant d’en redécouvrir les avantages mais également tout le panel d’inconvénients qui vient avec et de nouvelles sources de difficultés.

Si le glyphosate doit disparaître, la grande partie des non-laboureurs ne va pas non plus jeter l’éponge et revenir aux pratiques d’avant. Si certains vont accepter de remettre un peu de travail du sol (dans certaines conditions), d’autres et même beaucoup risquent d’avoir moins recours aux couverts végétaux et plus à la chimie. Ce sera plus coûteux, plus compliqué et certainement beaucoup moins écologique. Cependant, cela permettra de tenir sans travail du sol, tout en cherchant des substitutions agronomiques certainement possibles mais qui ne seront jamais totales en attendant d’autres solutions « chimiques » qui arriveront certainement. On le sait bien, « la nature a horreur du vide » et un besoin aussi important que du désherbant total, avec en plus une possibilité de profit pour le lauréat, ne restera pas longtemps sans propositions. C’est peut-être le second souci réel du glyphosate aujourd’hui : son prix non rémunérateur. À 3 € du litre, en provenance principalement de Chine (95 %), personne ne peut gagner de l’argent et surtout plus Monsanto !

Enfin une grande majorité d’agriculteurs qui commençaient à s’intéresser au non-labour et à l’agriculture de conservation (porte vers l’agroécologie), vont faire marche arrière et attendre que la tempête passe.

Si d’aventure c’était le cas, laver plus blanc que blanc serait globalement contreproductif et surtout ne remplirait pas les objectifs pourtant annoncés et visés. Pire, l’agriculture resterait cantonnée comme source de tous les maux alors qu’elle est au cœur de beaucoup de solutions et notamment la qualité de l’eau, la biodiversité et le réchauffement climatique. Ce serait également gâcher cette formidable opportunité de transition vers une agriculture moins impactante, beaucoup plus diversifiée, fournissant des produits de qualité mais aussi une agriculture tournée vers l’avenir, consciente de ses limites mais dans une démarche de progrès, avec des agriculteurs enthousiastes et bien dans leurs bottes.
Dans l’attente d’un vrai courage politique…