Rémunérer la qualité du sol agricole - Utopie ou nouveau paradigme pour concilier agriculture et fonctions environnementales

Pascal Boivin ; TCS n° 93 juin/juillet/août 2017

Introduites depuis au moins deux décennies en Europe, les mesures agro-environnementales ont mauvaise presse auprès des agriculteurs. Elles sont en outre largement considérées comme inefficaces et génératrices de lourdeur : leur modèle est donc remis en cause et des alternatives sont recherchées. Lorsqu’il s’agit du sol, premier outil de production de l’agriculteur, la résistance aux mesures agro-environnementales est un paradoxe choquant puisqu’il est clair qu’un sol de bonne qualité assure à l’agriculteur un travail mieux rémunéré, plus facile et plus gratifiant. Or malgré les incitations, la qualité des sols décline partout sous l’effet des pratiques agricoles (Virto et al., 2014). Un tel paradoxe renvoi d’une part au modèle agro-économique et aux conditions de production qu’il impose, d’autre part à la forme des mesures d’incitation et à leur perception. Sur le premier point, l’agriculture de conservation apporte des réponses probantes. Sur le second, un débat est effectivement ouvert.

Les mesures agro-environnementales dans leur très large majorité font obligation d’action (ou de moyen). Les baser sur des résultats serait potentiellement beaucoup plus pertinent. Encore faut-il que cela soit techniquement faisable et accepté par les parties prenantes. Ci-dessous nous revenons sur le débat entre mesures basées sur obligation de moyen ou sur obligation de résultat, avant de présenter des résultats et perspectives dégagés par des recherches conduites en Suisse. Un schéma de travail basé sur le résultat présente des avantages : simplification administrative, abandon des dogmatismes et libération des initiatives et esprit d’entreprise, meilleure technicité du conseil, efficience et acceptabilité publique de la subvention, y seront discutés.
Le format de cet article oblige à des formulations concises, qui pourraient appeler de nombreuses précisions ou nuances dans un débat scientifique. Je reste à la disposition du lecteur qu’un passage interpellerait ou laisserait sur sa faim.

Subventions agro environnementales : pour des actions ou pour des résultats ?

Dans une récente synthèse bibliographique, (Burton & Schwarz, 2013) font le point sur cette question à partir des cas concrets analysés. Nous n’en reprenons ici que les grandes lignes.
Les subventions agro-environnementales sont quasi toutes délivrées sur la base du recours (déclaré) à des actions ou moyens (par exemple : « installer des plantes de couverture hivernale »). Les auteurs dressent le constat général d’une absence d’effet probant et en relèvent les causes. En particulier ces mesures prennent un caractère contraignant ce qui engendre une perception négative et un manque d’adhésion – d’autant plus que les mesures deviennent nombreuses et fluctuantes. L’application standardisée et contrainte de recettes ne permet pas de lier efficacement action et résultat. Elles négligent la complexité (pédologique, climatique, technique) dans laquelle le paysan travaille et peuvent s’avérer contreproductives ou à l’envers du bon sens. De ce fait, les producteurs ne s’approprient pas l’objectif et la mesure, qui disparaîtront dès qu’obligation et rémunération seront levées. Cette situation conflictuelle entre acteurs, le défaut de résultats, se répercutent au plan social : tandis que l’agriculteur a une mauvaise perception de la mesure, le contribuable en a une mauvaise de la somme dépensée.
En contraste, des mesures de subvention conditionnées par des résultats apparaissent. La diversité et l’historique de ces initiatives permettent à Burton & Schwartz d’en tirer des leçons et des perspectives en raison des bénéfices écologiques, sociaux et économiques réels qui se dégagent. Les mesures orientées résultat créent des dynamiques positives au rang desquelles : intérêt et motivation des agriculteurs, développement autonome du savoir, libération des initiatives et de la créativité pour parvenir aux résultats (la méthode n’est pas imposée) et résultats positifs mesurables (par définition), soit un rapport coût / efficacité accru et objectivé. Ce dernier point est fondamental : la subvention agricole est nettement mieux perçue et comprise des contribuables, des décideurs et de la société.
Les développements de savoir et de technicité pour atteindre l’objectif environnemental renforcent l’exploitation. La libération des initiatives et la pesée des intérêts (entre par exemple maximiser la subvention ou la production) offrent une flexibilité également facteur de sécurité contrairement aux systèmes par obligation d’action, rigides et normatifs au risque d’être dogmatiques. De plus la ressource ainsi collectée représente une diversification des ressources, et donc une réduction des risques, pour l’agriculteur.
Ces progrès sont susceptibles d’estomper les conflits latents entre les producteurs et les autres parties prenantes et d’engendrer une synergie entre les impératifs économiques, de production, et de préservation de l’environnement. On le voit à ce bref résumé, les arguments avancés méritent de se pencher sur la méthode.

Conditions pour une subvention aux résultats

L’expérience acquise permet également d’esquisser les conditions à respecter et les difficultés à résoudre (Burton & Schwarz, 2013). Là encore nous n’en rappelons que les lignes essentielles à notre propos.
Une subvention au résultat suppose la définition de résultats atteignables, représentés par des indicateurs simples et fiables, pour lesquels une échelle de valeur est reconnue. Les résultats visés ne doivent pas être contradictoires avec les objectifs de production. Les indicateurs doivent être pertinents. Simples et économiques à mesurer par les agriculteurs eux-mêmes, ils doivent représenter de façon fiable l’objectif à atteindre. Enfin, ils doivent répondre aux efforts d’amélioration. En outre, les risques non maîtrisables par les agriculteurs (par exemple climatiques) et mettant en danger la stratégie d’amélioration doivent être évités, pris en compte ou compensés. Les résultats visés ne doivent pas pouvoir être obtenus de manière biaisée, faussée ou contraire à l’intérêt général de l’agriculteur ni de la mesure. Nous ne détaillerons pas davantage ces principes et résultats mais renvoyons à l’excellent travail de synthèse de Burton & Schwartz pour une lecture détaillée.
Une stratégie de subvention au résultat n’a pas encore été – à notre connaissance, testée pour la qualité des sols. Les résultats ci-après permettent d’en faire une proposition puis d’en discuter la faisabilité et la pertinence.

Qualité des sols : quelques précisions

On appelle qualité des sols l’aptitude du sol à remplir ses fonctions. Outre la production de biomasse (dont la production agricole), les sols assurent de multiples fonctions. Par exemple la régulation du cycle de l’eau ou du climat, dont les enjeux planétaires sont sous les feux de la rampe, avec les objectifs 4/1000 de la Cop21. Les agriculteurs sont, à leur corps défendant, dépositaires et acteurs de ces enjeux. Heureusement ces derniers ne sont a priori pas contradictoires avec la production agricole, au contraire, à moins que des mesures mal pesées n’introduisent d’effet pervers.
Si l’agriculture détermine la qualité des sols, l’agriculteur n’est rémunéré, en capital comme en rente, que pour une partie d’une seule des fonctions dont il assure la réalisation : la production de biomasse commercialisable. La valeur du sol ne prend pas en compte la qualité des services qu’il peut rendre, ce qui est tout à fait paradoxal à l’heure de la marchandisation. La monétarisation des éco-services est une tendance moderne de la néo-économie qui vise partiellement à pallier ce pro-blème. Son application (controversée) est proposée à large échelle, au niveau des processus de décision. A l’échelle de l’exploitation agricole, les subventions rémunèrent partiellement des services environnementaux (pas le capital), avec le succès que l’on sait. Des indicateurs de la qualité des sols sont proposés et développés. Ils utilisent des volumes d’information (analyses) conséquents et couteux, et leur usage reste l’apanage des structures institutionnelles. Mais leur démocratisation et leur simplification est en cours comme on va le voir, ce qui ouvre grandement la porte aux applications.
La teneur en matière organique est unanimement reconnue comme l’indicateur principal. En effet, toutes les fonctions de sols lui sont proportionnelles. Les indicateurs de qualité visent le plus souvent à évaluer des évolutions temporelles plutôt que comparer des sols différents et distants. Or la teneur en matière organique évolue fortement avec les pratiques agricoles. Cet indicateur est donc central. Il évolue relativement lentement : sur quelques années à dizaines d’années.
La structure du sol détermine les fonctions hydriques, l’aération, et la qualité du sol comme habitat pour faune et flore. Si la teneur en matière organique influence fortement la structure (forme, qualité, capacité à résister aux agressions et capacité à se reformer ou résilience), la structure varie aussi au gré des saisons, des actes culturaux et des contraintes subies. L’évaluation de la qualité de la structure devient de ce fait un outil de suivi de la qualité des sols très complémentaire de la teneur en matière organique. Et ce d’autant que de récentes améliorations du test à la bêche, portant le nom de VESS pour « Visual Evaluation of Soil Structure », permettent en quelques minutes de donner un score à la qualité de la structure, de façon fiable et accessible à tous (Ball et al., 2007).

Qualité des sols Suisses et relation avec les pratiques culturales

Suite de l’article avec ses figures à retrouver dans le document PDF ci-joint.


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