Reprendre la main sur notre communication

Frédéric Thomas ; TCS n°93 - Juin/Juillet/Août 2017

La relation entre agriculture et grand public est des plus compliquées. Entre bribes de réalité, fausses affirmations, incompréhension des enjeux et vision idyllique voire passéiste, ce grand « bazar » offre suffisamment de clichés habilement utilisés en fonction des objectifs de communication et des messages à faire passer. Alors que l’image du béret, d’une belle campagne et de poules qui divaguent librement dans les champs sert ceux qui proposent des produits dits du « terroir », des pulvérisateurs en action, des bidons de phytos au bord des rivières, des abeilles sur le dos, des champs trop grands, des animaux entassés dans des bâtiments sont les images qui entretiennent facilement l’idée que l’agriculture est le pire ennemi de l’environnement, des animaux et même de la santé humaine. Loin de cet « agri-bashing » trop facile, la réalité est extrêmement diverse et c’est une chance. Comme partout, elle comporte, bien sûr, quelques dérives qui ne sont pas acceptables. Cependant, ce n’est pas la grande majorité des situations. Dans ce contexte compliqué et pour éviter de toujours se faire dicter nos pratiques par des spécialistes, des économistes et/ou des idéologues trop loin des champs et d’abord défenseurs de leurs propres intérêts, il faut absolument repenser notre manière de présenter notre activité et reprendre la main sur une partie de notre communication.
Comme avec les pratiques culturales, les vielles recettes sont à mettre de côté. Il faut oublier toute campagne publicitaire ou participation à des débats où notre argumentation technique, pourtant fondée, et nos justifications risquent d’être habilement et si facilement reprises contre nous. Il nous faut donc passer en mode direct, en communication horizontale ou en réseau et surtout sortir de l’enfermement médiatique. Pris individuellement, beaucoup sont prêts à entendre une vérité plus complexe qu’ils comprennent facilement avec des exemples simples qui les touchent personnellement dans leur quotidien. Sans plier sous leurs desiderata, ce sont ces graines de vérité, semées un peu partout, qui permettront d’ancrer des accroches afin de construire une nouvelle compréhension collective de l’agriculture et de restaurer une certaine forme de confiance.

Si la vente directe, l’accueil à la ferme sont des moyens formidables pour rentrer en contact, montrer et expliquer les enjeux de la production agricole et les compromis que doivent constamment faire les producteurs ; Internet et les réseaux sociaux deviennent des outils stratégiques à condition de décloisonner les réseaux.
Au-delà des moyens à utiliser, il est important de modifier la forme et de changer de posture. Même si cela semble difficile, il faut sortir de la justification et de la défense, stratégie dans laquelle beaucoup de nos détracteurs nous contraignent. Il faut passer en mode offensif et positif et expliquer avec des exemples accessibles comme le jardinage. Il faut montrer que la réalité n’est pas aussi simple et que la majorité des producteurs est profondément animée d’une logique de respect de la nature. Cependant, la nécessité de produire en quantité une alimentation de qualité, tout en préservant une rentabilité dans un contexte économique très exigeant et ouvert sur le monde, perturbe les choix stratégiques et techniques. De plus, en matière de support de communication, l’Agriculture de Conservation possède de nombreux atouts qu’il faut exploiter sans modération.
-  Un coup de bêche pour montrer des vers de terre bien nourris et heureux de travailler le sol et recycler la fertilité est capable de convaincre n’importe quel public. Il est alors plus facile d’ouvrir la discussion sur l’impact des pratiques culturales dans leur ensemble, sur l’érosion et la qualité de l’eau.
-  Un couvert Biomax bien fleuri en fin d’été (surtout avec un peu de tournesol et de lin) est aussi un super moyen de communication qui remplace facilement les panneaux publicitaires et les logos de toutes sortes. Pas besoin d’être spécialiste pour voir et comprendre que vous faites une agriculture différente, que vous verdissez le paysage et que vous encouragez la biodiversité et favorisez les abeilles.
-  Enfin, l’humus nous relie facilement au carbone, aux gaz à effet de serre, au changement climatique, à la photosynthèse et aux économies d’énergie. Ce sont des concepts, qui tant rabâchés par les médias, sont bien maîtrisés.
Bien qu’il faille séduire, il ne faut pas non plus sombrer dans la béatitude et faire rêver d’une nouvelle agriculture idyllique. Soit, l’AC dispose de nombreux avantages et elle est certainement aujourd’hui, au regard des grands enjeux, la forme d’agriculture qui possède le plus d’atouts et qui apporte le plus de solutions pragmatiques soutenues par un bon sens agro-écologique. En fait, il faut rester clair et toute production agricole, quelle qu’elle soit, a un impact sur le milieu.
Le sujet est beaucoup plus complexe que les formes de durabilités simplistes dans lesquelles le grand public se laisse enfermer. Si interdire et même bannir sont des solutions faciles qui séduisent les foules, elles n’apportent pas beaucoup de bénéfices. À ce titre, faisons le parallèle entre le nucléaire qui fait beaucoup couler d’encre en ce moment et les phytos. Annoncer que l’on va fermer des centrales comme interdire des molécules ne peut que recueillir l’approbation d’une grande majorité et en premier lieu des écologistes. Cependant, comment va-t-on faire pour alimenter les voitures électriques dont on fait tant la promotion, chauffer les appartements parisiens alors que le bois (pourtant une énergie verte) est interdit en ville et abreuver nos téléphones, ordinateurs et tablettes toujours plus connectés et plus gourmands ? Au-delà des aspects médiatiques, la vraie question que tout le monde fait mine d’ignorer est : comment pouvons-nous collectivement consommer moins d’électricité et globalement moins d’énergie ? C’est la même frénésie pour les phytos : prenons simplement l’exemple des communes, où l’on grille aujourd’hui des montagnes de gaz pour des efficacités ridicules : quel délire et quelle cohérence globale !
Là encore, l’AC, qui a progressivement dépassé le positionnement « anti » labour ou travail du sol pour une dynamique qui cherche à réduire l’ensemble des charges (carburant, mécanisation, fertilisation, phytos...) en s’appuyant sur des solutions agro-écologiques, est un bel exemple de réussite. Sans être parfaite sur un seul des critères, la dynamique mise en œuvre est certainement plus vertueuse globalement tout en continuant de progresser vers plus d’économies, d’environnement et d’épanouissement des acteurs. À ce niveau, l’Agriculture de Conservation pourrait même devenir une sacrée source d’inspiration pour ceux qui veulent réellement instaurer de vrais changements.
Avec ces bonnes pensées, je vous souhaite une bonne fin de moisson, des bons semis de couverts et de colza ou les deux associés, mais aussi de bons échanges et de solides argumentations avec les amis et estivants rencontrés pendant les quelques jours de repos bien mérité.

Des pancartes positionnées au bout de certaines parcelles et dans des couverts Biomax, avec comme inscription : « Ici on nourrit les vers de terre, on encourage la biodiversité et on accueille les abeilles » sont un excellent exemple de communication positive.


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