Structure et matières organiques : fertilité des sols

Matthieu Archambeaud, TCS n°39 - Septembre / octobre 2006

Développer la fertilité naturelle des sols c’est, au-delà des avantages économiques directs, le moyen d’améliorer la production en termes de qualité environnementale et d’intrants nécessaires par quintal produit. Cette fertilité s’appuie en grande partie sur l’amélioration de la structure du sol mais également sur l’augmentation du stock de matières organiques et sa mise en « circulation » par l’activité biologique. Cela n’est possible qu’avec des systèmes en semis simplifié bien menés.

Fertilité physique des sols

Avec la réduction du travail du sol, on observe généralement une amélioration des propriétés physiques du sol. La présence de débris organiques et la concentration des matières organiques stables en surface protègent le sol contre les agressions (pluies, vent, trafic, piétinement…). La réduction des phénomènes de battance, de ruissellement et d’érosion permet à la surface du sol de jouer son rôle d’interface entre l’atmosphère et le profil, en étant à la fois perméable et résistante. Parallèlement, le développement d’une activité biologique non perturbée par des interventions mécaniques profondes et/ou répétées aboutit à l’établissement d’une porosité continue qui accueille et stocke l’eau et permet la circulation des gaz, des racines et des êtres vivants. La qualité structurale se répercute sur le développement des cultures et leur capacité de résistance au stress.

Cependant, cette « fertilité structurale » ne suffit pas si l’on ne considère pas la fertilité « chimique » de l’écosystème sol, tout particulièrement la dynamique de l’azote. Malgré des résultats corrects d’infiltration, de structure ou d’activité biologique, les pertes se mesurent parfois en quintaux et certains agriculteurs ne parviennent pas à pérenniser des systèmes en non-labour. Avouons-le : si l’on constate et apprécie les résultats du non-labour en termes de structure de sol, de matière organique ou d’activité biologique, il n’en est pas de même en termes de fertilisation et d’azote, y compris après les années de transition. Cet aspect reste l’un des principaux freins au développement de l’agriculture de conservation en France.

En effet, la base de la fertilité naturelle des sols repose d’une part sur la dégradation du substrat en éléments minéraux par le climat et la vie du sol, et d’autre part sur le recyclage des molécules organiques complexes en éléments minéraux simples accessibles aux plantes. À l’inverse, dans nos systèmes de culture, la fertilité repose quasi exclusivement sur le travail du sol (minéralisation de la matière organique par fragmentation et oxygénation) et sur une nutrition minérale carencée (on apporte principalement trois éléments là où il en faudrait une trentaine environ). Il subsiste donc un malentendu au sujet des matières organiques du sol, et l’on ne retient souvent d’elles que leur rôle d’agent agrégeant et structurant, sans tenir compte de leur rôle primordial dans les processus de fertilité.

Les sols ont besoin d’azote

Depuis la Deuxième Guerre mondiale, l’ensemble des pratiques agricoles concourt à la consommation de la matière organique, que ce soit avec l’intensification du travail du sol, avec l’abandon de l’élevage, des prairies et des légumineuses, ou encore avec l’irrigation estivale. Cette minéralisation excessive qui a libéré quantité d’éléments minéraux explique pour partie l’augmentation spectaculaire des rendements… et la pollution des eaux par les nitrates. Un petit calcul est toujours instructif : 1% de matière organique dans un sol correspond à environ 40 t/ha de matière organique pour les 4 000 t/ha de terre habituellement considérée comme arable. Si l’on considère qu’il y a 70 kg d’azote par tonne d’humus, on arrive à 2 800 kg d’azote par point de matière organique. Cela signifie qu’une variation positive ou négative d’un point de matière organique correspond au gain ou à la perte de 2,8 t d’azote par hectare. Par conséquent l’agriculteur qui cherche à augmenter (ou plutôt à retrouver) le taux de matières organiques de ses sols dans un but de structuration, provoque par ailleurs un problème de fertilité du sol que l’on retrouve essentiellement au printemps.

L’agriculture de conservation joue un rôle déterminant dans cette problématique globale de fertilité. D’une part en évitant la consommation excessive de matières organiques par une diminution, voire une suppression du travail du sol, et d’autre part en augmentant la production de matières organiques sur l’année avec les couverts végétaux. Cependant, et de la même manière qu’il existe une période de transition en termes de structure, il existe une période de transition durant laquelle le sol a besoin d’azote pour stocker du carbone (selon le bon vieux principe du C/N). Il s’agit plus d’un investissement que d’une perte, l’azote injecté étant transformé en matière organique, morte ou vivante. On rejoint ici la problématique des couverts végétaux : bien qu’ils captent de grandes quantités d’azote et d’autres éléments, ils ne restituent quasiment rien durant les premières années, engendrant des problèmes de faim d’azote pour les cultures de printemps.

Volant d’autofertilité

Il ne suffit pourtant pas de stocker de la matière organique pour augmenter la fertilité des sols : les sols de marais sont très riches en matières organiques immobilisées mais ne sont pas fertiles. Il faut parvenir à développer une structure biologique organisée et performante, capable d’assurer le recyclage de la biomasse produite afin que les cultures suivantes en bénéficient : c’est ce que nous appelons dans TCS le « volant d’autofertilité ». Ainsi, la fertilité « autonome » du sol est moins l’expression d’un stock important de matières organiques inertes que le résultat de sa circulation dans le réseau trophique (alimentaire) du sol. Ce sont la rapidité et le volume des échanges de matière organique et minérale entre les êtres vivants (par des relations de prédation mais également de coopération) qui déterminent le niveau de fertilité. La diversité de l’écosystème devient alors une garantie de fourniture de la totalité des éléments au moment opportun. Les éléments fournis par l’écosystème sont plus « efficaces » en termes de nutrition : la plante dispose de l’ensemble des éléments dont elle a besoin au moment où elle en a besoin, aidée en cela par sa rhizosphère et les mycorhizes qui sont acteurs et moteurs du « volant d’auto fertilité ». Les plantes résistent mieux aux stress, agressions et autres maladies, ce qui permet également une réduction de la protection phytosanitaire.

Les engrais qui sont apportés sont mieux valorisés et risquent moins d’être perdus (azote en hiver) ou rendus inaccessibles (phosphore). Les doses d’engrais peuvent ainsi être réduites sans risque pour les rendements. La consommation des matières organiques par les êtres vivants libère des éléments minéraux utiles aux cultures mais leur permet également de se déplacer et de se reproduire, garantissant ainsi une structuration active du sol.

Au-delà de la question de l’azote ou de la fertilisation des cultures, c’est la gestion du système entier qui repose sur le sol. Comme nous l’avons entendu dire « Dans la nature, l’usage de la puissance traduit un manque d’intelligence  » : la performance du sol traduit la performance du système agricole aussi bien en termes économiques par la réduction des charges et des intrants, qu’en termes de rendements ou de qualité. La performance devient également écologique et sociale avec des systèmes plus autonomes, qui consomment moins d’intrants grâce à un recyclage optimal des ressources dont ils disposent. Cette performance ne se décrète pas mais se développe au quotidien grâce aux outils de pilotage dont dispose l’agriculteur.


Télécharger le document
(PDF - 143.1 ko)