Colin Rosengren, Midale, Saskatchewan, associations de cultures, rencontre avec " le maître "

Maxime Barbier -Magazine TCS ; novembre / décembre 2016

Colin Rosengren produit 1 300 ha en cultures associées au centre du canada. des itinéraires techniques qu’il construit depuis 12 ans au gré des trouvailles mécaniques, logistiques et agronomiques. du semis au nettoyage du grain, chaque étape est optimisée et organisée pour placer l’association au cœur du système de production. Un raisonnement de chercheur-entrepreneur où agronomie rime toujours avec économie.

L’exploitation de 2000 ha de Colin Rosengren est un vaste champ d’expérimentation. Situé dans les grandes plaines canadiennes, au sud du Saskatchewan, l’agriculteur de
41 ans s’est très vite essayé aux associations de cultures pour valoriser au mieux les ressources de ses sols à bas potentiel. Une démarche initiée dès 2004 avec le duo pois-colza de printemps (voir TCS 83 de juin/juillet/août 2015), en partenariat avec
plusieurs instituts techniques locaux 1 . Depuis, une quinzaine de combinaisons ont été testées sur l’exploitation. Avec toujours en ligne de mire, de la diversité végétale dans les parcelles, qui se traduit par une variété de cultures très fournie (11), tranchant avec la traditionnelle succession soja-maïs, encore d’usage dans le secteur. Il faut dire que le climat continental qui baigne la région (cf. encadré ci-dessous) ne permet de cultiver qu’entre avril et septembre. Les cultures de printemps et d’été sont donc omniprésentes, avec l’arsenal chimique qui augmente d’année en année comme
seule solution pour faire face aux difficultés rencontrées. Pas de quoi inquiéter Colin, pour qui associer change complètement l’approche ; le système est considéré dans sa globalité. Par exemple « Les principes agronomiques de base comme ne pas se faire succéder plus d’un colza ou d’une légumineuse tous les quatre ans ne s’appliquent plus lorsque les cultures sont associées. Les ravageurs et maladies sont en effet, et
pour beaucoup, les conséquences de la monoculture. Il suffit d’observer les prairies naturelles où les espèces sont mélangées plusieurs années de suite sans être touchées
par les maladies. Il n’y a pas une espèce qui prend le dessus car ce système atteint un certain équilibre. Nos rotations comprennent d’ailleurs plusieurs légumineuses de suite, sans jamais rencontrer de problèmes particuliers. Dans la nature, la monoculture n’existe
pas, il faut donc s’inspirer de ce principe pour diminuer l’usage des produits phytosanitaires  », explique le céréalier.

Pois chiche - lin : protection sanitaire contre fourniture en phosphore

L’exemple le plus probant pour illustrer l’effet bénéfique de la synergie entre les plantes est le duo pois chiche – lin. C’est l’association la plus intéressante agronomiquement et économiquement selon le Canadien. En effet, les défauts de chaque culture sont très bien compensés biologiquement par l’autre. Le pois chiche est très sensible au champignon
Ascochyta, qui nécessite l’usage de trois à quatre fongicides en monoculture. En le cultivant alterné un rang sur deux avec du lin, l’oléagineux fait office de barrière physique contre le développement du parasite. La pression de la maladie diminue alors considérablement, à tel point qu’en 2015, le Canadien n’a appliqué aucun fongicide. « Il serait encore plus intéressant de les cultiver mélangés dans le même rang car il y aurait encore plus d’interactions entre les deux plantes. Mais le pois chiche est une culture à forte valeur ajoutée et en l’alternant un rang sur deux, la qualité de la graine est supérieure. C’est donc un compromis entre bénéfice agronomique – rendement - marge nette », décrit « l’intercroppiste » (intercropping = association de culture). Le lin bénéficie quant
à lui de l’extraordinaire pouvoir mycorhizien des racines de la légumineuse, dans un contexte de sols déficients en phosphore du fait de l’absence historique d’élevage dans la région. « Le lin a une faible capacité d’absorption racinaire mais en liant ses racines avec celles du pois chiche, il profite du phosphore que ce dernier va chercher grâce à son association avec le champignon », rajoute le spécialiste qui, en matière de fertilisation, en connaît un rayon.

Il a en effet été conseiller en nutrition des plantes pour une société de conseil privé indépendant pendant 15 années. « Nous avons mesuré les niveaux de phosphore assimilables pour chaque culture en fonction de la texture, des mouvements hydrographiques et de la topographie des parcelles. Ce qui est frappant c’est que le lin valorise très peu les apports de phosphore pourtant sous forme assimilable. L’associer est donc un moyen de répondre à cet enjeu de taille », précise l’expert. Concernant l’azote, les apports sont très réduits (de 0 à 10-20 kg/ha en fonction des zones des parcelles), l’objectif étant de contrôler le lin pour qu’il ne prenne pas le dessus sur la légumineuse. Il est en effet préférable de mettre ce duo en conditions « non favorisantes » afin de contraindre les deux plantes à collaborer et « agrafer » leurs racines.

Fertilisation et proportion des mélanges varient au sein des parcelles

La maîtrise de la fertilisation est un aspect important du système de production de Colin. Chaque parcelle de ses 2000 ha est numérisée et des cartes de texture et de topographie sont réalisées. Des distinctions sont faites entre les zones plus en haut ou plus en bas des pentes. Ces dernières, plus humides, recevront ainsi en général moins d’azote. Par exemple, pour le duo pois chiche - lin, elles n’en recevront aucun contre plus de 20 kg/ha pour les zones supérieures plus sableuses. Phosphore et soufre sont aussi modulés de la même manière (bien que pour ce duo, aucun apport ne soit réalisé), mais pas que. Les proportions des mélanges et la population des cultures varient elles aussi en fonction de l’hétérogénéité parcellaire. Dans cet exemple, la proportion du pois chiche dans le mélange augmente ainsi dans les parties les plus sèches de la parcelle (100 % de la densité de semis normale pour le pois chiche contre 20 % pour le lin) où le sol est plus léger, alors que la densité de lin augmente dans les parties les plus basses (75 % de la densité normale de l’oléagineux contre 50 % pour le pois chiche), plus humides donc plus à risque pour la légumineuse.

Cette performance est possible grâce à son semoir CX 6 Smart Seeder, outil qu’il a contribué à concevoir avec la compagnie Cleanseed (cf. encadré ci-dessus). Ce semoir de semis direct hybride (disque + dent) que nous avions déjà présenté dans
nos colonnes (voir TCS 81 de janvier/février 2015) peut semer et moduler jusqu’à six produits différents séparément. Il est un élément important de son système car il facilite grandement la mise en place des associations. Combiner lin et pois chiche permet au global de diminuer en moyenne de 70 % la densité de semis de lin tout en obtenant les
mêmes rendements qu’en monoculture (17 q/ha), avec quasiment aucun apport de fertilisant. Il faut ajouter aussi une récolte de pois chiche correspondant aux deux tiers des rendements habituels en monoculture. La SEA (surface équivalente assolée
ou LED, Land Equivalent Ratio, cf. encadré page suivante) pour ce duo atteint donc 1,7 en
moyenne, soit un gain de 70 % de productivité nette à l’hectare. Un bénéfice encore plus parlant quand traduit en dollars. En se passant de quatre passages de fongicides, le gain économique net est en effet de 250 dollars canadiens 2 /ha. Ramené dans le contexte agro-économique de cette région du Canada, c’est 3 à 5 fois la marge nette des agriculteurs voisins en cultures classiques et non associées.

La séparation des grains, une étape clef

Pour couronner le tout, la récolte se réalise très facilement car la densité de population au
m² des deux espèces est supérieure aux références en monoculture. Les plantes se développent plus en hauteur et sont donc plus faciles à ramasser. « C’est particulièrement le cas pour le dernier étage du pois chiche qui peut parfois être très bas. La paille du lin peut aussi être un challenge en monoculture, mais associée, elle se broie et se répand mieux derrière la machine, ce qui facilite la gestion des résidus », décrit le spécialiste. Les deux graines sont aussi très faciles à battre car celles de la
légumineuse sont très larges et dures, ce qui fait que le pois chiche bat le lin. « Les réglages de la machine sont calés sur la légumineuse, nous ralentissons juste légèrement le ventilateur pour ne pas éclater le lin », rajoute C. Rosengren. L’étape de séparation est
ensuite très rapide du fait de la grosse différence de taille entre les deux graines. L’agriculteur dispose pour cela d’un séparateur à haute capacité importé des États-Unis (cf. encadré page suivante). Il s’agit d’un autre point fondamental de son système. Sans cet outil, l’ensemble des associations ne serait pas possible ou alors plus limité. Il lui permet de séparer les deux graines en un seul passage dès la sortie du champ, sans perte de temps du fait de son débit élevé, supérieur à celui des deux moissonneuses-batteuses (CIH 7230 class 7 de 12 m de coupe) qui couvrent chacune 8 ha/heure.

Pois – colza de printemps avec ou sans lentille : une valeur sûre

Une autre association facile à gérer à la récolte est le mélange pois-colza de printemps, accompagné ou non de lentille. Les deux (ou trois) types de grains sont aussi séparés en un seul passage. Du fait de la grande quantité de produit à trier, Colin observe en revanche un léger ralentissement du nettoyeur, qui ne limite cependant pas le débit global du chantier. Ici aussi, les cultures sont très complémentaires (voir TCS 83). La SEA moyenne est de 1,3. Lorsque la lentille est rajoutée au mix, elle monte à 1,5. C’est la quatrième année que le Canadien en rajoute au mélange. En 2016, du fait du prix mondial élevé de la légumineuse, l’ensemble des surfaces en pois-colza de printemps a même été emblavé avec la lentille. « C’est une association très facile à conduire du fait des herbicides communs aux trois cultures. De plus, c’est un mélange très couvrant. C’est d’ailleurs un des autres avantages de cultiver en associations. À plusieurs, les cultures sont plus compétitives vis-à-vis des adventices, ce qui rend les produits plus efficaces et aussi moins nécessaires », commente le céréalier. Pour ce mélange, l’agriculteur met environ en moyenne 50 % de pois, 30 % de colza et 20 % de lentille ; bien que cette année, il ait augmenté la part de cette dernière à 30 % du fait de son prix élevé (40 %
pour le pois). « La proportion de légumineuses dans les mélanges varie en fonction de la topographie mais aussi du type de sol. Dans les situations de faible teneur en matière organique, leur part devrait être plus importante. Cela permet d’augmenter la fixation d’azote et l’activité biologique du sol pour libérer les nutriments pour l’autre culture. En sol riche, il est possible de réduire leur proportion. Mais un autre critère important est le
prix du marché. Ainsi, depuis 4 ou 5 ans, les prix des légumineuses sont élevés donc nous conservons des ratios importants, quel que soit le type de sol. C’est particulièrement vrai pour la lentille. Si ces prix venaient à baisser, nous savons déjà dans quelles parcelles nous pourrions les diminuer  », raconte le gestionnaire.

Le prix du marché, un critère important

Cette évolution du prix des commodités tient donc une importance capitale dans la stratégie de Colin. C’est le marché qui dicte la présence ou non de telle ou telle association. C’est ainsi que le mélange moutarde – pois a totalement disparu dans la rotation du Canadien depuis dix ans, à cause du prix de la brassicacée qui a diminué. Pourtant, ce duo présentait une très bonne complémentarité, avec une SEA estimée de 1,4. « Le pois-moutarde est même un peu plus adapté que le pois-colza de printemps. En effet, les mélanges constitués d’une culture possédant un rapport haute valeur ajoutée/
faible volume de production sont ceux où il y a le plus à gagner avec les associations. La cause de cette valeur vient en effet fréquemment des faibles potentiels de rendement.
Ceux-ci sont souvent dus à des défauts spécifiques de la culture (maladies, sensibilité à un stress abiotique…) que la génétique n’a pas encore résolus et qui empêchent
de valoriser au mieux les ressources. Associer est souvent une manière de résoudre ce problème. Il ne reste plus ensuite qu’à maintenir une certaine qualité du produit final
en gérant le timing entre les deux espèces », explique l’agriculteur. D’autant que l’adéquation entre les cycles des deux plantes est particulièrement bonne, avec
des variétés de moutarde jaunes tardives et une capacité des cultures à pouvoir rester dans le champ sans que leur qualité se dégrade, avec cependant une vigilance à avoir sur les risques d’égrenage pour la moutarde.

Maïs – soja : un duo très prometteur

Malgré un prix du marché plutôt défavorable, maïs et soja, incontournables des assolements nord-américains, sont en revanche toujours bien présents chez C. Rosengren. Ce mélange prend même de plus en plus de place dans sa rotation. Pourtant, ce n’est pas le plus facile à conduire. L’étape du semis nécessite en effet beaucoup de soin. Au fil des essais, Colin a remarqué qu’il était préférable d’implanter ces cultures de manière décalée dans le temps car le maïs n’aime pas la compétition de départ. Il est semé en premier, puis, au bout de 3 à 4 semaines, lorsqu’il a une taille de 20 cm environ, l’agriculteur implante le soja en rangs perpendiculaires. « Il y a environ
10 % des pieds de maïs qui sont détruits lors du semis de soja. C’est cependant la meilleure façon d’optimiser les rendements de la céréale dans mon système où je n’ai pas
de signal RTK. Si c’était le cas, je sèmerais probablement le soja en parallèle en m’approchant le plus proche possible des rangs de maïs. Il est certain qu’il serait préférable de les avoir sur le même rang pour avoir le maximum d’interactions entre les deux plantes, mais c’est impossible du fait du semis décalé. La perpendicularité des rangs permet quand même d’avoir un bon niveau d’interactions du fait que certains plants sont entre les rangs et d’autres sont sur le rang. C’est un compromis entre garder le potentiel de rendement du maïs tout en bénéficiant de la synergie entre les deux plantes », explique « l’intercroppiste ». La conduite de la fertilisation est d’ailleurs très différente selon que le duo est implanté en même temps ou de manière décalée. Semés ensemble, les apports azotés sont réduits à 50-60 kg/ha, afin de permettre au soja de bien s’inoculer. Lorsque le maïs est implanté en premier, il est possible de lui apporter plus d’engrais : 80 à 90 kg/ha d’azote. « Si la graminée est semée tôt, elle va absorber beaucoup de cet azote. L’objectif est qu’elle en prélève le maximum jusqu’au stade premier nœud, avant même que le soja n’émerge et que les processus d’inoculation ne soient mis en route », décrit l’expert. La fertilisation du soja elle, ne varie pas des normes
utilisées en monoculture (30 kg de P, pas d’azote). Il en est de même pour la densité de semis (450 000 plants par hectare). Colin a déjà expérimenté plusieurs proportions de mélanges mais en est venu à la conclusion qu’il fallait garder une certaine dose de la légumineuse. La densité du maïs est quant à elle diminuée de 30 % des doses normales en vigueur (47000 plants/ha au lieu de 70000 plants/ha).

Le coup de pouce du glyphosate

Enfin, un autre avantage de cette association est la maîtrise des adventices, facilitée par l’utilisa-tion de variétés Roundup Ready, les seules présentes dans son assolement. Après le traditionnel nettoyage d’avril au glyphosate réalisé avant toute culture, l’agriculteur arrive à bien gérer l’implantation et le salissement des cultures suivantes. « Après ce tandem puissant au niveau nettoyage, la culture suivante est très propre. J’enchaîne souvent par le mélange pois-colza-lentille. À sa date d’implantation, il y a peu de problèmes de repousses de maïs et de soja. Celles plus tardives de maïs sont de toute façon très faciles à contrôler avec le programme anti-graminées qui suit, et celles de soja ne sont pas assez compétitives vis-à-vis des plantes de cette association », détaille le Canadien. Le résultat final est encore optimisé, avec des rendements de soja identiques à ceux obtenus en monoculture, soit 17 q/ha (sans traitements de semences
mais avec inoculants), tout comme ceux du maïs (30 q/ha) pour une population de 70 % de pieds à l’ha, soit une SEA finale de 1,6 à 1,7. « Cette association est très prometteuse et il est encore possible d’en améliorer les rendements car ces deux cultures sont assez récentes dans la région donc nous manquons un peu de recul. En tout cas, elles semblent
présenter une bonne synergie. Comme avec le lin - pois chiche, je pense que c’est encore une histoire d’accès au phosphore. Le soja permettrait-il au maïs d’en
absorber plus ? », s’interroge l’intercroppiste. Il faut aussi souligner l’adaptation du com-
portement des deux espèces ensemble. Le soja se développe beaucoup plus en hauteur pour aller chercher la lumière et est soutenu par les cannes de maïs
ce qui l’empêche de verser. « L’architecture du soja change. Sa taille peut aller jusqu’à 1,80 m lorsqu’il fleurit en fin de saison, à une période où il a besoin de beaucoup de lumière. Il l’intercepte de manière plus verticale ce qui fait qu’il en reçoit moins entre les nœuds ; le premier est d’ailleurs situé plus haut ce qui fait que l’accessibilité aux gousses est meilleure, il y a moins de pertes à la récolte. La végétation à maturité est impressionnante. Lorsqu’on marche dedans, on se croirait dans une jungle, le soja vous accroche et une fois mis au sol, il est impossible de revenir sur ses pas du fait de la quantité de biomasse par terre. Ce phénomène n’a lieu qu’en cas de semis décalé. Ma théorie pour expliquer une telle synergie est que le soja est très sensible au vent. C’est une plante grimpante qui semble apprécier de s’étendre et de s’agripper. L’encourager à s’étaler crée donc un environnement moins favorable au développement des maladies. Le maïs fournit de plus un abri efficace contre le vent fort que l’on rencontre dans les prairies. J’ai d’ailleurs observé dans une de mes parcelles de soja en monoculture que
les rendements étaient très supérieurs dans une zone protégée des vents », explique le spécialiste.

Des itinéraires techniques à repenser

Comme les deux cultures sont récentes dans la région, il faut signaler qu’elles ne sont encore que peu touchées par les maladies et ravageurs, excepté la pyrale. Colin suspecte cependant que les cultiver ensemble permettrait de limiter l’impact du dangereux papillon. « Le maïs soutient le soja mais inversement le soja soutient aussi le maïs, donc en cas d’attaque, il est probable qu’il y ait moins de plants de maïs touchés qui restent dans le champ. Aussi, nous ramassons les deux plantes avec une coupe à céréale classique et non pas au cueilleur à maïs. L’ensemble de la plante est donc
récolté et il y a beaucoup moins de résidus non broyés qui restent et qui peuvent donc préserver le cycle de vie du ravageur », précise le céréalier. La récolte ne pose pas de problème particulier, les deux types de graines étant peu susceptibles de subir des dommages de la part de la moissonneuse. Les réglages de la machine sont calés sur ceux du maïs, puis affinés pour le soja. La légumineuse se bat particulièrement bien grâce au frottement des épis de la céréale. Le Canadien ne trouve d’ailleurs jamais de cosse pleine dans les échantillons. Avec le volume important de marchandise « avalée » par la machine, la plus grande ouverture des contre-batteurs et la vitesse du rotor réduite, il n’y
a aucun dommage sur les grains. Après récolte, l’étape de séparation constitue en revanche un challenge du fait de la taille similaire des deux graines. Cependant, Colin a trouvé un moyen simple de les nettoyer en jouant sur leur différence d’humidité à la récolte. Le diamètre de celles de soja varie en effet considérablement en fonction de ce paramètre. « En 2014 nous avions fait l’erreur de nettoyer après récolte mais la graine de soja avait aspiré l’humidité du maïs dans la cellule et avait grossi. Il était impossible de
les séparer. Mais quand le soja est ramassé très sec, à un taux d’humidité inférieur à 14 % et le maïs très humide, à une humidité supérieure à 20 %, la différence de taille entre les deux rend la séparation aisée à la sortie du champ », décrit l’agriculteur. Mais il est possible que cette étape ne soit plus nécessaire dans l’avenir. Colin recherche en effet un marché qui donnerait la possibilité de valoriser les deux graines mélangées. Dans ce cas, il n’y aura alors même plus besoin de sécher le maïs, les deux grains seraient stockés en même temps à 15 % d’humidité, rendant le binôme encore plus intéressant à conduire. Pour le moment, une partie de la production reste d’ailleurs non triée afin de nourrir l’élevage de bœufs (une centaine de têtes) que l’agriculteur a réintroduit en 2014 (cf. encadré ci-dessus). Complémentée avec de l’orge, la ration est bien équilibrée pour nourrir les bouvillons.

Cameline-lentille : objectif prophylaxie

Un autre mélange qui fonctionne bien est le duo cameline-lentille. Ici aussi, l’association
apporte un bénéfice en termes de prophylaxie contre les maladies. La cameline est en effet très sensible à l’oïdium qui peut affecter sévèrement les rendements ainsi que la qualité de l’huile. Or, l’agriculteur est très concerné par ce paramètre car il commercialise cette huile au sein d’une société qu’il a créée avec deux autres collègues intercroppistes.
La seule fois où Colin a cultivé la cameline seule, les rendements étaient de 8 q/ha à cause de la maladie contre 20 q/ha en associé, soit une SEA démentielle de 4. Cette année-là, la lentille en monoculture était aussi victime d’un champignon, ce qui n’était
pas le cas en associé. « Ce chiffre n’est cependant pas représentatif d’une année normale, où je pense qu’il faut plutôt tabler sur une SEA de 1,7. Associée, la cameline fait
le même rendement qu’en pur, et pour la lentille, il faut tabler sur 75 % de la production normale », rajoute le Canadien qui, dorénavant, ne cultive la cameline qu’associée. Il préfère n’utiliser pour cela que des variétés de lentilles rouges qui ont la capacité de mieux attendre que l’oléagineux devienne mature, et de ne pas diminuer en qualité.

Un timing de plantation à bien appréhender

Ce mélange tourne déjà depuis plusieurs années ; or la répétabilité et la constance dans le temps sont fondamentales pour valider la pertinence d’une association. Il peut en effet exister dans certains cas une grande variabilité de résultats. Certaines qui sont intéressantes une année peuvent obtenir un résultat totalement différent la campagne d’après. C’est le cas du mélange lin-maïs. En 2014, le duo avait été marqué par une SEA significative de 1,5. En 2015, le même indicateur est devenu négatif. La différence entre ces deux campagnes est le timing d’implantation. En 2014, le lin avait été semé un mois plus tard que le maïs, et ce dernier s’était très bien développé. En 2015, implantée en même temps, la céréale s’est fait complètement dominer par l’oléagineux. « La parcelle ressemblait plus à une parcelle de lin. Lorsqu’il fleurissait, le maïs était en dessous en train de lutter. Quand le lin a terminé sa floraison, au stade de remplissage des grains, le maïs est passé par-dessus, ombrageant l’oléagineux. Les capsules de lin se sont mal remplies. Les épis de maïs étaient petits aussi, avec une récolte de seulement 6 q/ha de lin soit 40% des rendements normaux, et 13 q/ha pour le maïs, soit 20 % du rendement moyen », décrit l’agriculteur. Comme souvent, le timing d’implantation a fait la différence. Il est indispensable que le maïs garde toujours un temps d’avance, d’autant que le lin semble bien supporter l’ombrage de ce dernier. Colin pense néanmoins ne pas conserver ce duo comme tel car il préfère privilégier des mélanges avec des légumineuses. Le maïs-soja plaisant beaucoup à l’intercroppiste, il garde sa préférence. Cependant, en fonction du prix des commodités, il ne s’interdit pas la possibilité de faire un trio avec
du lin. Si l’an prochain, le prix de ce dernier est deux fois supérieur à celui du soja, il y sera intégré en décalé, en même temps que la légumineuse et trois semaines après le semis de la graminée.

Des espèces qui ne sont pas toutes bonnes à être associées

Les essais d’associations ne répondent donc pas toujours de manière positive. C’est ainsi qu’avec l’expérience, C. Rosengren a décidé de ne plus faire de mélange avec une base céréale (sauf maïs). L’agriculteur pense en effet que la sélection réalisée depuis plus d’un siècle sur les variétés cultivées dans sa région a su répondre à de nombreux défis vis-à-vis des maladies, ravageurs ou autre stress abiotique, et que cette famille de plante gagne moins à être associée. « Les céréales ont peu de points faibles
dans nos conditions, donc on ne peut pas avoir de symbiose très bénéfique avec une autre plante. Celle-ci se comportera souvent comme une compétitrice. Cela ne
veut pas dire qu’on ne gagne pas toujours à les associer. C’est juste que dans notre système, il n’y a pas eu de gains économiques aussi nets qu’avec d’autres associations. J’ai des voisins en culture biologique qui cultivent du lin avec du blé dur car le lin est très difficile à conduire seul en bio. Dans ce cas, la céréale aide à contrôler les adventices. Dans leur système, où le prix du lin est quatre fois supérieur à celui du blé, cultiver avec une céréale comme plante compagne a du sens. En conventionnel, où le prix du marché
du lin est seulement 1,2 à 1,3 fois supérieur, la situation n’est plus du tout la même », explique le gestionnaire. En effet, les multiples associations avec des céréales qui
ont été tentées sur l’exploitation (pois-orge, pois-blé et pois-canola-orge) ont toujours obtenu des SEA peu significatives, autour de 1,1 à 1,15. Pas suffisant pour le chef d’exploitation, qui traduit toujours les SEA en marge nette. Selon lui, pour être rentable, cet
indice doit être supérieur à 1,15 dans le but de compenser les surcoûts engendrés par le système association : extra-logistique, sacrifices de rotation et réduction de la gamme de produits phytosanitaires disponibles. « Les herbicides du groupe deux sont les seuls
que nous pouvons utiliser sur le pois et la lentille et les phénomènes de résistance pour ce groupe sont déjà un problème. Je préfère donc conserver une période de quatre ans avant d’avoir à les réutiliser. Raccourcir la rotation avec du pois, de la lentille et du colza de printemps signifie plus d’utilisations de ce type d’herbicide, donc plus de risques d’apparition de résistances sur l’exploitation », précise le céréalier. Ainsi, blé,
orge et avoine restent en solo, mais pas que. Une autre culture est dans ce cas : le chanvre. Cette plante ne rencontre en effet pas de challenges agronomiques particuliers : aucun problème de maladies, de ravageurs ou de gestion d’adventices. C’est de plus une culture à forte valeur ajoutée, ce qui enlève l’intérêt de l’associer à une légumineuse pour réduire les coûts en azote. Aussi , sa récolte est délicate, et pourrait l’être encore plus associée à une autre plante. « À maturité, si le chanvre est trop sec, il peut s’égrener facilement et la fibre peut devenir trop dure à passer dans la machine. C’est pourquoi nous le récoltons souvent après une pluie alors que tous les autres chantiers sont arrêtés. Avec une culture associée, notre fenêtre de tir serait plus petite et il faudrait baisser la auteur de coupe. Or, en faisant cela, nous avons observé que la machine avait du mal à "digérer" toute cette matière », explique l’expert. Il tentera quand même un essai d’association avec une légumineuse en 017 sur 80 ha, sa surface d’essai standard pour valider ou non la pertinence d’un mélange.

Les « fausses bonnes » idées

Une expérience qui a aussi apporté son lot de difficultés est celle du mélange lin-lentille. Ces plantes présentent pourtant une bonne complémentarité, la lentille trouvant ici un compagnon idéal en termes d’adéquation de cycle de développement et de morphologie. Mais peut-être un peu trop car la similitude de taille des graines semble être un critère rédhibitoire. « Ce fut un véritable challenge de récolter ces deux cultures ensemble en 2015. Les réglages de la moissonneuse sont difficiles, il faut pouvoir battre
le lin sans abîmer la lentille, ce qui est compliqué. C’est aussi un mélange plus lent à séparer du fait de la petite taille des deux graines », raconte C. Rosengren. Du fait
du prix élevé de la lentille cette année, Colin a quand même retenté l’expérience « à la dernière minute », et avoue avoir eu plus de chance à la récolte. L’achat de nouvelles grilles plus adaptées, la possibilité de récolter le grain à une humidité suffisamment élevée (11 % pour le lin et 14 % pour la lentille), des conditions ensoleillées, et une paille sèche rendant l’opération de récolte plus simple. Mais pour l’agriculteur, les deux compagnons privilégiés de la lentille restent le pois et le colza de printemps. « Il n’y a rien d’insensé économiquement à cultiver du lin avec de la lentille. Le trio lentille pois colza est juste un peu plus facile à gérer et a connu un peu plus de succès. J’aime beaucoup ce
trio car la lentille se développe dans une strate supérieure », décrit Colin. Autre insatisfaction, le duo pois chiche-soja. Il a été réalisé par un de ses deux autres collègues du collectif « The three farmers », entreprise via laquelle il transforme et commercialise ne
partie de sa production (la totalité de la cameline et bientôt du pois chiche). Il faut noter que ses deux autres collègues produisent aussi en associant, principalement la lentille-cameline, mais à moins grande échelle, notamment du fait qu’ils ne possèdent pas la même logistique. « Ils n’ont pas la même capacité de triage. Leur parcellaire est aussi plus loin de leur lieu de stockage, alors que mes parcelles sont assez proches de mon corps de ferme », précise le Canadien. Ce qui ne les empêche pas de tester eux aussi quelques mélanges. L’essai pois chiche-soja en un est, avec un échec à relativiser du fait qu’il n’a été réalisé qu’une seule saison, et que la parcelle présentait un état de salissement élevé. Colin pense cependant que ce duo n’est pas des plus complémentaires car les deux cultures possèdent des périodes de remplissage similaires. « Ce sont toutes les deux des consommatrices d’humidité de fin de saison. De plus, ce sont des légumineuses qui utilisent deux espèces de rhizobiums distinctes. peut-être existe-t-il une compétition entre les deux souches ou s’associent-elles avec la mauvaise plante, ce qui diminuerait l’absorption d’azote. Ce tandem fonctionnerait sans doute mieux en variant les proportions selon la topographie, en privilégiant le soja dans les parties plus humides et le pois chiche dans les parties plus sèches. De toute manière, nos plus grands succès ont toujours été les mélanges de deux types de plantes différents comme les légumineuses et les oléagineux  », témoigne l’intercroppiste. Enfin, un dernier essai qui ne s’est pas soldé par une réussite est le duo lin-soja. Le type de soja utilisé, une variété possédant des grains moins volumineux que ceux des variétés traditionnelles dans le but de trouver un marché plus valorisant, n’a en effet jamais
vraiment développé de nodules. La population de lin est quant à elle restée très faible. « Je me pose encore des questions sur cet échec. Est-ce que la qualité des semences était aléatoire ? Je suspecte aussi que les deux plantes aient leur pic d’assimilation de nutriments au même moment, et donc qu’elles ne soient pas si complémentaires »,
s’interroge l’expérimentateur. Il prévoit cependant de réessayer avec une variété de soja plus traditionnelle. Mais l’agriculteur a eu tellement de résultats prometteurs avec le maïs-soja que la légumineuse n’est pour l’instant cultivée qu’avec ce compagnon. Ainsi, l’expérience de Colin montre que les associations de cultures sont possibles à très grande échelle. Comme lui, il va falloir apprendre cependant à sortir des formulations
classiques (graminées/légumineuses) et être plus créatif et innovant en la matière. C’est une nouvelle dimension qu’il nous faut aujourd’hui vraiment travailler et intégrer dans nos systèmes déjà évolués.

L’objectif est de mieux appréhender des flux de fertilité pas toujours facilement prédictibles, faire encore plus pression sur le salissement et limiter le recours aux insecticides et fongicides. Bien sûr, cette approche s’accompagne de nouvelles contraintes et surtout celle d’investir dans du triage mais l’enjeu est suffisamment important et rentable pour considérer cette ouverture très positivement.


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