Lundi 7 novembre 2016
Thierry Stokkermans

Originaire du Sud-Ouest de la France, Thierry STOKKERMANS a travaillé en Espagne, Nouvelle-Zélande et Australie avant de s’installer aux Pays-Bas. Convaincu par le semis direct à faible perturbation, il conçoit et développe aujourd’hui des machines agricoles (zip drill).

Souhaits et croyances parmi les scientifiques du sol

Levée de tournesol en SD
Au mois de mai dernier, lorsque le Global Soil Biodiversity Atlas (ou Atlas Global de la Biodiversité des Sols en français) est sorti et que j’ai appris que la protection de la biodiversité du sol pourrait faire l’objet d’une directive européenne, j’étais enthousiaste et j’ai téléchargé l’atlas le jour même. En le lisant, j’ai beaucoup appris sur la vie du sol mais, en même temps, j’ai eu beaucoup de doutes par rapport à leur approche de l’agriculture. En effet, dans ce document écrit par des scientifiques du sol (121 au total), j’ai relevé des erreurs, en particulier dans les pages traitant de l’agriculture et j’ai écris 67 questions pour les auteurs. Mais plus que tout, ces questions donnent une idée assez précise de : où se situent ces scientifiques du sol par rapport à l’agriculture ?

Premier élément : le mont ignorance. En effet, lorsqu’ils écrivent sur l’agriculture, certains scientifiques du sol sont clairement ignorants. Le glossaire de l’atlas en est une illustration. Par exemple, les auteurs ne savent pas la différence entre travail du sol et labour. C’est embarrassant et plutôt effrayant si ces mêmes personnes viennent à participer à un quelconque texte de loi.

Second élément : un bateau gruyère. Les auteurs traitent de l’impact des pratiques agricoles sur la biodiversité du sol. Mais la liste est courte. Il manque un grand nombre de pratiques. En peu de temps, j’ai trouvé une liste de pratiques qui aurait dû être traitée. Par exemple, il est vrai que le travail du sol est une menace pour la biodiversité du sol mais qu’en est-il de la gestion du trafic ou de la gestion de l’interculture ? Ceci montre que les auteurs manquent de connaissance agricole et, peut-être aussi, d’une vue d’ensemble de l’agriculture. Cette partie de l’atlas est pleine de trous. Si c’était un bateau, il coulerait !

Troisième élément : la tronçonneuse sans chaine. Lorsqu’on considère la biodiversité d’un sol cultivé, il est évident que l’état de la biodiversité dépend du système agricole en place. C’est l’ensemble des actions qui impacte la biodiversité du sol. Mais ce n’est pas une simple addition ou la loi du minimum par exemple. La pratique nous enseigne que c’est une équation complexe car il y a un grand nombre de facteurs. Par exemple, si l’agriculteur cultive un beau couvert et qu’il le broye pour ensuite l’enfouir en labourant à 25 cm, que reste-t-il au final de l’effet « couvert végétal » ? C’est pourquoi, lorsqu’il est question de biodiversité dans un sol cultivé, à un certain moment, il est nécessaire d’aborder la problématique système/gestion. Les auteurs ne l’ont pas fait. Par conséquent, c’est comme avoir une tronçonneuse sans chaine : ça fait du bruit mais ça ne coupe rien !

Quatrième élément : « pendons la sorcière ! ». L’atlas annonce que l’agriculture intensive est mauvaise pour la biodiversité du sol. C’est peut-être vrai … mais faut-il d’abord définir l’agriculture intensive. C’est quoi exactement l’agriculture intensive ? Est-ce que c’est cibler un rendement supérieur à la moyenne locale ? Est-ce que c’est avoir des connaissances techniques à jour et s’en servir ? Est-ce que c’est le fait de posséder un pulvérisateur ? L’atlas ne définit pas l’expression Agriculture Intensive. Par conséquent, il est aussi précis et rigoureux qu’une page Facebook moyenne ou une horde moyenâgeuse : « Pendons la sorcière ! C’est sûrement sa faute ! ».

Cinquième élément : le paradis rêvé. L’atlas évoque et parle à plusieurs reprises de l’Agriculture Biologique sans que ce soit justifié ou constructif. L’Agriculture Biologique est abordée dans des sections sans réelles logiques avec le contenu de ces dernières. C’est même parfois hors sujet et, à l’occasion, servi avec des annonces dignes d’un commercial douteux. En résumé, l’atlas dit : « Vivez bio ». Ma réponse est « le bio c’est bien, mais ne le survendez pas car vous y perdez votre crédibilité ». Par exemple, l’atlas annonce que le semis direct est une pratique régulière en Agriculture Biologique sans donner aucune valeur ou surface. Lorsque j’ai lu ces passages, j’ai eu la sensation que les auteurs exprimaient leurs souhaits et croyances. Et cela m’a mis mal à l’aise … car … ce sont des scientifiques qui écrivent un document scientifique.

Sixième et dernier élément : le syndrome de la terre plate. C’est une situation qui se produit lorsque différents éléments pointent vers la même réponse mais qu’il est effrayant d’en parler. L’atlas explique l’importance du semis direct, des rotations/diversité-des-cultures et de la couverture de sol. Entre les lignes, l’atlas dit « l’Agriculture de Conservation est bonne pour la biodiversité des sols ». Cependant, les auteurs semblent effrayés à l’idée de l’écrire. « La terre est … plate avec des bords un peu arrondis ».

En résumé et de façon caricaturale, il est possible de dire que nous avons ici un groupe de personnes au sommet du mont ignorance, dans un bateau gruyère propulsé par une tronçonneuse sans chaine, essayant d’atteindre un paradis rêvé et de quitter une terre plate pleine de sorcières. Ce n’est pas glorieux. Mais c’est bien là où en sont les auteurs de l’atlas lorsqu’il parlent d’agriculture.

Par ailleurs, j’ai appris beaucoup de choses dans cet atlas à propos du sol, de la vie du sol. Les chapitres parlant de la science du sol sont formidables. Je souhaite que les gens connaissent plus et mieux la vie du sol et son importance. De plus, je suis totalement d’accord que la biodiversité du sol a besoin d’être protégée mais il faudra intégrer la réalité du champ ainsi que les accomplissements des agriculteurs et des agronomes.