Lundi 7 novembre 2016
Frédéric Thomas

Après des séjours aux États-Unis et en Australie, Frédéric THOMAS débute son activité de conseil de terrain et, en 1999, il crée la revue TCS. Il s’appuie aussi sur sa ferme, en Sologne, des terres sableuses hydromorphes à faible potentiel, où il met en œuvre l’AC avec réussite. Il est aujourd’hui l’un des acteurs majeurs du développement de l’AC en France.

Propagande et exagération

Chili pollution
Nuage de particules fines au dessus de la ville de Santiago du Chili. Comme elle se trouve dans une cuvette entourée de montagnes, le phénomène est amplifié. Difficile de nier cette pollution et son impact potentiel sur la santé, mais ce n’est pas en fermant quelques voies ou en stigmatisant la voiture que le problème va être nettement amélioré. Il faut avant tout développer une expertise ouverte et globale et élaborer un vrai projet collectif pour jouer sur toutes les causes.

Pour comprendre comment fonctionnent la désinformation et l’amplification de fausses vérités relayées par des responsables politiques, certains « experts », des associations, les médias et les réseaux sociaux, prenons un exemple non agricole.
La piétonisation des voies sur berge à Paris, voulue par la Mairie, aurait pour effet de réduire les embouteillages et surtout d’améliorer la qualité de l’air.

La fermeture ce ces voies n’est pas logiquement de l’évaporation lourde de particules fines puisque les véhicules chassés de cet axe se répandent un peu partout dans la ville à la recherche d’itinéraires de contournement tout en augmentant et diffusant la pollution ailleurs. En matière d’enfumage, le pire est toutefois atteint par l’épouvantable chiffre de 2 500 décès annuels que les particules fines provoqueraient à Paris. Il y en aurait même 6 500 dans le Grand Paris, selon certains spécialistes.
Cependant, en considérant ces affirmations de plus près, on constate qu’il ne s’agit que de décès qui surviendraient avec une prématurité de deux ans. Le chiffre est d’ailleurs donné au conditionnel par l’organisme qui le mentionne, alors qu’il est présenté à l’indicatif. En réalité, ces statistiques et ces chiffres proviennent d’une étude ancienne, conduite par la Commission européenne au début des années 2000.
« On ne peut pas comptabiliser directement le nombre de décès dus à la pollution atmosphérique car les affections respiratoires, cancers du poumon ou accidents vasculaires cérébraux peuvent être provoqués par de nombreux facteurs. Il n’y a pas de pathologie traceuse mais un faisceau d’éléments convergents », avouait au Monde en mars 2013 Agnès Lefranc, adjointe au directeur du département santé et environnement de l’Institut de veille sanitaire (InVS). « Il s’agit donc de se baser sur des études épidémiologiques qui ont établi une corrélation statistique entre les niveaux de pollution aux particules fines et des risques pour la santé. En mesurant les niveaux de pollution à un moment donné et le nombre de personnes exposées, on peut ensuite réaliser une modélisation pour obtenir le nombre d’années de vie perdues et de décès. Toutefois, les chiffres sont toujours entourés d’une marge d’incertitude. »

Rien qu’une grosse exagération que peu de gens relèvent

Figurez-vous que le nombre moyen de décès annuels à Paris est de 14 000 ces dernières années. Si l’on prêtait foi à ces dires, ce serait donc près de 20 % des morts parisiens qui seraient victimes des particules fines ! Les affections cardio-vasculaires, Alzheimer et le grand âge ne sont rien face à cet épouvantable fléau. L’exagération est aussi au niveau de la cause : la voiture et le diesel. Lorsque l’on sait que plus de 70% de ces fameuses particules fines proviennent de beaucoup d’autres sources et essentiellement les dispositifs de chauffage sans parler du trafic aérien qui survole quotidiennement la capitale.
Même s’il est logique qu’il faille limiter la place de l’automobile en ville, cette fermeture autoritaire n’est justifiée que par des chiffres approximatifs, hypothétiques et fondés sur d’autres facteurs que ceux évoqués pour une pure raison de propagande, sans vraiment de proposition d’alternative ni de vrai projet global.

Transférons cette même histoire et reprise médiatique à l’agriculture, aux « pesticides », et allons-y, au glyphosate !

On constate beaucoup de similitudes. C’est en début 2015 que les publications de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur les présumés risques cancérogènes du glyphosate ont fait la une et déclenché beaucoup d’agitations. En fait c’est le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), organisme indépendant, qui a annoncé avoir classé trois pesticides dans la catégorie 2A : c’est-à-dire « cancérogènes probables » (dernier échelon avant la qualification de « cancérogène certain »). Parmi les trois molécules réévaluées par le CIRC se trouvent deux insecticides, le diazinon et le malathion, dont l’utilisation est restreinte en Europe et le glyphosate. Dans la conclusion du rapport, le CIRC affirme que l’examen de l’ensemble de la littérature scientifique ne permet pas de conclure avec une totale certitude à la cancérogénicité du glyphosate mais permet d’identifier des risques.
Il n’en fallait pas plus pour que ce type d’annonce, repris en chaîne par les médias, qui s’engouffrent comme toujours dans le sensationnel, titrant facilement « le Roundup classé cancérigène » soit vite repris et activement relayé par de nombreuses associations et ONG, injectant souvent leur propre lecture réductrice et militante. Comme pour les particules fines, la cible était claire et les impacts conséquents devenaient une certitude « scientifiquement » prouvée.
Ensuite, comme Monsanto, les phytos et même la majorité des agriculteurs ont mauvaise presse en matière d’environnement, il est facile d’asséner des contre vérités et même d’aller jusqu’à demander le retrait du glyphosate. A la différence des voitures qui touchent plus de gens sur Paris, la suppression d’un produit chimique, dont ne se servent à priori que des agriculteurs non respectueux de la nature, récolte évidemment l’unanimité.
L’objectif ici n’est pas de nier les risques du glyphosate ni de défendre Monsanto mais de montrer avec un exemple simple et hors agricole et cette comparaison, comment fonctionnent les chaînes de communication. Dans ce monde où l’obscurantisme et la désinformation font recettes. Elles arrivent somme toute assez facilement à faire passer des amalgames rapides pour des vérités.

Rester en éveil

Face à ces bulldozers médiatiques constamment utilisés, il convient donc de rester en éveil et il est urgent de varier les sources et les points de vue. Évidemment, l’information la plus juste et la plus pertinente ne viendra jamais directement à vous. Elle sera souvent plus complexe et pas toujours celle que vous pourriez attendre. Ce n’est cependant que par ce biais mais aussi ce changement d’attitude que l’on pourra sortir des débats bipolaires et passionnels pour élever les échanges et la compréhension. En agriculture comme dans de nombreux secteurs, aucune action n’est jamais totalement neutre et sans risques. Toute orientation est donc un arbitrage entre des choix de risques, une histoire de sensibilité, de compromis et de hiérarchisation.