Vendredi 26 août 2016
Philippe Pastoureau

Éleveur dans la Sarthe et ACiste reconnu, Philippe PASTOUREAU multiplie les essais, toujours à la recherche d’amélioration. Rédacteur de longue date sur A2C, il relate ses expériences : un véritable appui technique et un vrai régal à lire !

Consolider un système durable

2016 : à oublier ou à garder en mémoire...

JPEG - 167.6 koJe pense que chacun de nous en a pris pour son grade : grêle, inondation, écoulement de terrain, géomiza, gel à la méïose, manque d’ensoleillement à la floraison, fusariose, froid, canicule, ....
La liste est longue, et il devient de plus en plus compliqué pour nous qui vivons de la nature de dompter ces amplitudes de plus en plus fortes.
On ne peut lutter, il faut donc s’adapter.

Sur ce, une nouvelle année commence, et dès que la batteuse aura fait son travail, une armada d’interventions vont s’enchaîner dans mes champs pour préparer la prochaine récolte. Il va falloir construire un réseau de racines pour consolider la charpente du sol, fabriquer de la biomasse pour nourrir nos amis laboureurs, recycler les éléments nutritifs (très nombreux cette année) qui n’auront pas été puisés par la culture précédente, tapisser d’hyphes le sous-sol pour accélérer les échanges nutritifs et créer cette fameuse glomaline qui nous rendra le sol en santé. Un peu de boulot avant les vacances, mais les enfants m’expliquent ce que je dois faire.

Moi et mon épouse travaillons sur la ferme, c’est super pour la vie de famille, c’est dangereux pour la stabilité financière du foyer. Voici pourquoi, depuis toujours nous avons choisi de diversifier nos sources de revenus, un peu comme on diversifie dans nos champs afin d’atténuer les aléas.

4 productions sur la ferme, de plus en plus complémentaires.

JPEG - 153.6 koNotre EBE se situe entre 30 et 35% du PB (produit brut) selon les années, c’est un peu trop juste pour dégager un bon revenu qui lui se situe seulement entre 5 et 10 % de PB. Certes, les investissements sont conséquents (bâtiment, robot, matériel, foncier, PEE ( ma femme est salarié de la ferme)), et nous avons des pistes de progrès qui, je l’espère, vont nous permettre d’effacer la récolte catastrophique que nous venons de subir et le prix du lait plus qu’en berne ( - 20 % en 1 an).
Avec un revenu de 5 % du PB, vous imaginez que la moindre fluctuation de prix ou de volume nous oblige à entamer les réserves, à condition d’en avoir...

- Année à Noisette, Année de Disette.
Depuis 3 ans, j’ai fait de bonnes récoltes de céréales et bizarrement, je remarquais que les noisetiers présents sur la ferme donnaient très peu de noisettes. À aucun moment, je me suis demandé comment allait survivre l’écureuil.
Cette année, les noisetiers sont bondés de fruits, je ne sais pas si l’écureuil va revenir ou s’il est mort de faim.
J’ironise, mais cette petite leçon que me donne la nature est une très belle leçon de vie, je dois me comporter en écureuil et savoir faire des réserves pour les années moins généreuses.

1 > Le Solaire

La coopérative des Fermiers de Loué nous a encouragé il y a quelques années à chercher à être autonome en énergie sur nos fermes qui comptent de nombreux bâtiments de stockage. Les premiers éleveurs ont monté des projet à 20 ou 30 Kw il y a maintenant presque 10 ans. Ceci nous a incité à regarder de plus près cette source de revenu potentiel. Il y a 5 ans, nous avons investi plus de 400 000 € dans la construction d’un hangar matériel et un stockage paille, recouvert tous les 2 de panneaux pour une production estimée à 88 Kw à l’année. Avec un prix de revente à 60 cts, la revente d’électricité rembourse tout l’investissement, je profite donc de 2 hangars "gratuits". Si tout se passe bien, il y aura un boni les dernières années puisque nous avons un contrat de rachat de 20 ans. Nous avons renégocié dernièrement le taux de l’emprunt qui, lui, est de 14 ans, de ce coté, le soleil brille.
Au terme du contrat, le tarif de rachat sera bien moindre, probablement équivalent au prix de l’énergie que nous consommons, et c’est là que nous serons autonomes et protégés des fluctuations de prix de l’énergie. Un pari à long terme, un placement pour la retraite...
Cette production est pour nous une forme de diversification comme de la vente directe, un gite, ...
Il n’y a pas grand chose à faire pour cette production, le plus dur a été de signer ce gros chèque, maintenant il nous reste à nettoyer 1 fois par an les panneaux et surveiller tous les jours le bon fonctionnement de ceux-ci (les mois d’été rapportent 250 €/jour en moyenne)

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Ce 1er graphique nous donne la production annuelle.

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Sur ce 2ème graphique, j’enregistre tous les mois la production de mes panneaux sur le site BDPV afin de la comparer avec des installations proches de ma ferme. Ceci me permet de déceler très vite un soucis de fonctionnement ou d’encrassement de mes panneaux.

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Tous les jours, une box m’envoie la production de la veille ou m’alerte si les panneaux sont arrêtés. Ce graphique est très marrant, les rendements de mes blés sont directement liés à l’ensoleillement que nous avons sur le mois de mai-juin, dès début juillet, j’aurais dû comprendre que le pire nous attendait.

Album photo de la construction


2>Les volailles de Loué

La production de Mme. 3 bâtiments renouvelés tous les 30 ans, afin d’essayer de n’en avoir qu’un en phase de remboursement sur le global. Une partie des 6 ha de parcours à volailles a été plantée en agroforesterie, pour favoriser l’ombrage et apporter une production de bois de chauffage ou bois d’œuvre dans quelques années.
Nous faisons partie d’une coopérative à taille humaine : 1000 éleveurs réunis dans un rayon d’environ 80 km autour de la commune de Loué. Nous possédons nos reproducteurs, notre accouvoir et notre firme d’aliment ainsi qu’un centre de conditionnement d’œufs.
Nous sommes maintenant la 1ère filière autonome en énergie électrique grâce à Eoloué
Ainsi, nous maîtrisons toute la filière et ceci permet à chacun d’assurer une rémunération à chaque niveau de la chaine de production. Une coopérative de paysans gérée par des paysans.
Les Fermiers de Loué“ installe 50 à 80 jeunes par an, pour cela nous participons à la transmission d’exploitation en validant ou pas le montant de la transaction. Ainsi, un cédant ne peut pas vendre sa ferme à un prix qui laisserait aucune marge de manœuvre pour le jeune qui démarre. Nous limitons ainsi la spéculation des exploitations.

La production de volaille de Loué nous assure un revenu stable puisque le prix de la volaille rendu à l’étalage de la grande distribution est indexé sur le prix des céréales et des charges variables. Quand le prix du blé monte, le prix du poulet monte pour le consommateur, mais il rebaisse lorsque le prix du blé redescend. L’effet cliquet n’existe pas à Loué.
Nos 3 bâtiments consomment environ 200 tonnes de blé et maïs par an soit 30 ha. Nous avons l’obligation de livrer à Alifel (notre usine d’aliment) 50 % de nos consommations de céréales, à un prix déterminé par les administrateurs afin de limiter la spéculation au sein même de notre filière (je ne peux pas spéculer sur le prix de vente de mon blé et au même moment exiger de ma coopérative un prix d’aliment faible). J’ai donc 15 ha de mes céréales qui sont vendus d’office à l’usine d’aliment, à un prix qui, quoi qu’il en soit, sera toujours au dessus de mon coût de production, telle est la devise des Fermiers de Loué.
Je garde la liberté d’arbitrer le reste de mes ventes, soit directement à Alifel, soit à mon négoce ou courtier.

Si vous avez des amis policiers ou gendarmes, signalez leur que nous pouvons leur expédier des affiches plus vite qu’un PV, et si vous êtes fan de poulet, c’est par ici


3> Les cultures de ventes :

JPEG - 103.6 koCe n’était pas l’année où il fallait miser sur le blé, ce n’était pas l’année pour bien des choses... Comme tous mes voisins, je doit arriver à 50 qx en blé ( PS de 65 à 72), 68 en orge et 35 en colza.
Presque 50 % de perte de rendement en blé, uniquement due au gel à la méiose et au manque d’ensoleillement en mai-juin, aggravé par une humidité ambiante en fin de cycle. Cela fait mal mais je reste optimiste car ce ne sont pas mes pratiques qui sont en cause, nous allons analyser tout cela à tête reposée et intégrer dans nos ITK ce risque climatique qui peut se reproduire à tout moment. La diversité de l’assolement, des variétés (mélange), des dates de semis ainsi que les plantes compagnes ou pérennes vont probablement voir le jour.

2016 est une année de crise, mais aussi pour moi une année de mutation pour espérer durer dans la crise.

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Avec 15 voisins, nous avons une cuma "battage" qui regroupe 450 ha de céréales (7 adhérents) plus 2 à 300 ha de maïs grain (15 adhérents). Depuis 2 ans maintenant, nous avons investi dans une seconde moissonneuse "low cost" afin de travailler dans de bonnes conditions et limiter le stress. La moisson nous est facturée 90 €/ha pour les céréales et 110 €/ha pour les pois et le maïs (chauffeur et fioul inclus).
2 chauffeurs assurent la conduite et 3 adhérents gèrent les remplacements du midi ou du soir, tous ces temps sont indemnisés par la cuma. Par contre, pour "souder" notre groupe céréale et avoir une bonne cohésion lors des chantiers de récolte, chaque adhérent assure un matin d’entretien des 2 batteuses, qui consiste à souffler les batteuses avec un compresseur de chantier et nettoyer les vitres des cabines. En général, l’adhérent est de "corvée" de nettoyage le jour où il moissonne, ainsi, s’il arrive en retard pour l’entretien, la moissonneuse arrivera en retard chez lui. Ce petit règlement permet à chaque adhérent de se sentir responsable, mais aussi d’être acteur de la vie de la cuma. Rapidement, ce qui semblait être une corvée devient un moment intense d’échange et facilite l’entraide qui disparait peu à peu dans nos campagnes. Nous avons fait le choix d’avoir une seconde machine plutôt que d’en acheter une plus grosse afin de ne pas tomber dans un sur-équipement de logistique de transport, nous réalisons une bourse d’échange pour les bennes afin de valoriser au mieux le matériel présent sur chaque ferme.

JPEG - 143 koPour le planning, chacun s’inscrit auprès d’un responsable qui actualise le planning sur Google agenda, ainsi chacun sait qui fait quoi.
Cette agenda totalement gratuit est visible par tous les adhérents, et chaque outil a son propre calque de couleur ainsi chacun sait ce que fait le matériel sur lequel il a des parts, il est possible d’afficher plusieurs cuma sur une même page.

Qu’avez vous choisi comme chapeau pour votre sol ?

Comme je suis éleveur avec des besoins de paille, le "semis direct" de couvert ou dérobée fonctionne mal dans mon système car dès que la paille va être ramassée, le sol va se retrouver exposé au soleil et s’assécher très rapidement. Si je sème avec un semoir à disques, la levée va se faire uniquement là où les graines auront trouvé suffisamment d’humidité. Pour parer à ce problème, je réalise un 1er déchaumage le plus superficiel possible dès que la paille est ramassée : cette rupture de capillarité aura le même effet que le broyage de la paille qui permet de conserver l’eau résiduelle dans le sol.
Éleveur, toujours, je profite des semis de dérobées pour épandre une partie de mes effluents, le semis par recouvrement (compil) me permet donc d’enfouir quelque peu ceux-ci tout en positionnant dans un lit de semence mes petites graines.

Voici en quelques étapes comment je planifie mes travaux :

  • 1> Moisson de l’orge et des blé précoce. Idéalement, ces parcelles vont être semées début août en dérobé puis un maïs épis suivra.
    • 18 Juillet : Avant la moisson, passage au stand de la batteuse pour vérifier la pression optimale des pneus, 2 kg pour la monte de pneus que nous avons, c’est sans doute encore trop.
      Comme je stocke à la ferme et que peu de distance sépare mes champs du lieu de stockage, je ne cherche pas à remplir à 100 % la benne, je privilégie 1 ou 2 vidanges en roulant au champ et la dernière à l’arrêt. Je vide la trémie lorsque celle-ci est à 80 % de remplissage en roulant au champ (pour limiter le poids de la batteuse ), seule la dernière trémie vidée à l’arrêt peut monter à 100 % pour optimiser le chantier.
      Le chaume est ici de 10-15 cm car je ne veux pas trop de résidus au sol qui pourraient me gêner sur les récoltes de fourrage à l’automne qui vient.
    • 20 Juillet : Je ramasse ma paille avec une autochargeuse qui coupe ma paille en morceau de 4 cm. Celle-ci est ensuite stockée en vrac sous un hangar, je l’entasse avec une rallonge montée sur un télescopique afin de ne pas perdre de place. Ainsi, l’encombrement est similaire à des round-ballers . Ce broyage de paille va me permettre de limiter ma consommation de paille pour les litières, et obtenir un fumier beaucoup plus facile à épandre nécessitant moins de puissance sur l’épandeur.
    • 21 Juillet : 1er déchaumage le plus light possible afin de faire germer un maximum d’adventices. Mon meilleur réglage se situe à 5 l/ha avec le compil. Si je consomme plus, je suis trop creux, à vos compteurs !

Orge et blé précoce


  • 2> Moisson du reste, blé ou colza
    • 20 Août : Parcelles de blé qui seront semées en blé ou orge :
      La moisson se déroule comme le chantier précédent, mais on va faucher un peu plus haut, 20 cm minimum. Dès que la paille est ramassée, on déchaume pour réaliser un faux-semis et conserver l’humidité.
      Dès qu’il pleut, je sème au centrifuge 80 kg de féverole puis un mélange de 6 kg de trèfle d’alexandrie, 1 kg de moutarde, 1 kg de phacélie, + les restes de sacs.

moisson

Sur les parcelles qui vont en maïs, la paille est broyée. Courant septembre, je vais épandre mes effluents solides et semis dans la foulée d’un couvert de féverole/phacélie ou d’un méteil d’hiver.


Parcelles de colza qui seront semées en Blé :
Il devient de plus en plus fréquent de battre les colzas avec les derniers blés, c’est bon signe. Rien de particulier pour la récolte.
Nous attendons toujours 15 jours après la récolte du colza avant de déchaumer, ceci permet d’avoir déjà beaucoup de repousses au sol et limite le risque de mise en dormance des graines par un déchaumage trop précoce. Ce 1er déchaumage permet d’éclaircir les repousses de colza mais aussi détruire les quelques tiges de colza qui chercheraient à repartir, car ce sont celles-ci qui bouchent les drains. Ensuite, on ne fait rien jusqu’au semis du blé qui intervient fin octobre toujours au compil, un passage de glyphosate (1.5 l/ha) est réalisé dans ce cas la veille du semis, afin de laisser le plus longtemps possible des résidus verts pour les limaces qui auront mémorisé cette denrée et délaisseront le blé qui pousse au milieu de cette verdure. Cette technique permet de réduire de façon drastique l’utilisation d’anti-limace, mais ne l’interdit pas si les limaces venaient à toucher au blé, surtout si le germe du grain n’est pas enfoui dans un vrai lit de semences (ligne mal fermée)

- Semis de colza avec des plantes compagnes.
J’ai craqué quand mon technico m’a envoyé cela :
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J’avais bien en tête 2 ou 3 agris qui pratiquaient le semis de plantes pérennes sous couvert, mais je n’osais franchir le pas. Ce soutien de la part de mon technico a suffit à me convaincre, et pour aller plus loin et faire plaisir à mon mentor Québécois, j’ai volontairement oublié d’utiliser le strip till...
Ceci est un essai que je ne maîtrise pas encore, une autre parcelle sur ma cuma va recevoir des comparaisons d’implantation ( ST à 20 cm, 10 cm, STL, semis solo) ainsi que différentes plantes compagnes afin de vérifier si les racines peuvent remplacer l’acier. L’idée est également d’implanter le couvert dans la culture qui précède afin d’optimiser les bénéfices de celui-ci. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il devient compliqué de semer les couverts l’été, il est donc tentant de réfléchir à une autre manière de les implanter.

Pour aller plus loin :
Blé associé
Colza associé d’un couvert permanent :

Il est temps de passer au CDI, les Couverts à Duré Indéterminée que Jérôme Labreuche nous présente dans ce magnifique PdF
Frédéric Thomas y associe des témoignages dans le TCS n°88 avec un dossier spécial Couvert permanent.

- Retour dans mes champs

Précédent blé paille enlevé, épandage de lisier, déchaumage.
20 août
Semis d’un mélange de 7 kg/ha de luzerne + 7 kg de trèfle violet + 1.5 kg de trèfle blancs.
Semis dans la foulée de 15 gr/m2 de colza Mambo.
Irrigation pour assurer la levée.
Pour ceux qui vont vers le RTK et désirent localiser de façon permanente les passages de pulvé (28 m dans mon cas ) , nous avons réglé le semoir à 62 cm d’écartements. Notre semoir de 7 rangs est enregistré dans la console du RTK pour 4 m 356 afin que tous les passages de pulvé tombent bien entre les rangs du colza.

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4>La production laitière

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Tout a changé, mes vaches sont redevenues des ruminants alimentées avec un fourrage le plus équilibré possible, tout un récit en préparation.
Les explications vont être longues tellement les changements ont été importants, mais la comptabilité m’encourage dans la voie que j’ai pris il y a maintenant 2 ans.
Suite au prochain article.

En attendant, si un politique me lit et est en manque d’inspiration pour sa campagne présidentielle, après le "mangez des pommes", on pourrait dire "mangez du fromage"

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