INITIATIVE 4 POUR 1 000 « DU VERT PARTOUT ET TOUT LE TEMPS ! »

Cécile Waligora ; TCS n°88 - juin / juillet / août 2016

La France est à l’origine de l’initiative 4 pour 1000, présentée officiellement lors de la COP 21, fin 2015. 4 pour 1 000 ça parle de sol, de stockage de carbone et même de sécurité alimentaire. Si cela concerne le sol et le carbone, l’agriculture de conservation ne doit pas être loin… Voyons plus en détail en quoi consiste cette initiative et quelle est sa portée, aidés par Claire Chenu, professeur en sciences du sol à AgroParisTech.

« En mars 2015, lorsque Stéphane Le Foll évoque pour la première fois l’initiative 4 pour 1000, la surprise est totale, nous explique d’emblée Claire Chenu. Le ministre de l’Agriculture venait d’entendre ce chiffre dans une présentation scientifique, cela lui a parlé, nous étions à quelques mois de la COP 21 et c’était l’occasion (politique) d’y introduire habilement l’agriculture. L’initiative 4 pour 1000 était alors officiellement présentée fin 2015. » Plus précisément, le titre complet est : « 4 pour 1000 : les sols pour la sécurité alimentaire et le climat ». Présentée au niveau international, une quarantaine de pays, à ce jour, a signé cette initiative qui, dans les grandes lignes, les engage à :
- favoriser un développement agricole qui intègre la mise en place de pratiques maintenant ou améliorant la teneur en carbone des sols agricoles ;
- évaluer la performance de ces pratiques et favoriser le lancement de programmes de recherche ;
- soutenir des programmes de formation et d’éducation ;
- partager enfin, tout ce qui est mis en œuvre par chacun au sein d’une plate-forme commune d’échanges.

4 pour 1 000… Signification

Mais d’où vient cette référence 4 pour 1000 ? C. Chenu nous propose le schéma ci-contre Le carbone des sols à l’échelle planétaire, en partie repris d’après Balesdent, 1996 avec les chiffres de 2013 - 2014 (Le Quéré et al., 2014). Ces estimations sont calculées tous les ans. Grosso modo, dans l’atmosphère, nous avons 829 gigatonnes de carbone (l’élément C) c’est-à-dire 829 milliards de tonnes de C. Par ailleurs, dans les sols de la planète, sur une profondeur d’un mètre,
nous en avons entre 1 500 et 2 400 Gt, dont 800 Gt sur les 30 premiers centimètres, soit l’équivalent du contenu atmosphérique. La végétation, dans son intégralité, contient entre 350 et 550 Gt de C. Les activités humaines (utilisation
de C fossile + C dégagé par la déforestation) représentent 8,9 + 0,9 Gt de C, qui part chaque année vers l’atmosphère. Il existe aussi des transferts de carbone, dans les deux sens, entre l’atmosphère et les océans, à raison de 90 Gt par an et avec la végétation et les sols, représentant un peu plus : 120 Gt par an. C’est le résultat de la photosynthèse et de la respiration. Enfin, en réponse à l’augmentation de la teneur en CO2 de l’atmosphère, le plancton marin réagit en activant un peu plus sa photosynthèse, soit 2,6 Gt de C absorbés par an. Au niveau terrestre, la végétation fait de même, ce qui représente 2,9 Gt de C absorbés en plus. Le bilan final de tout cela, c’est un accroissement de la partie dans l’atmosphère de 4,3 Gt de C ! Les voilà nos 4 pour 1 000… « Cela signifie que si, annuellement, on augmentait de 4 pour 1000 les stocks de carbone organique des sols des seuls 30 premiers centimètres de sol (800 x 4/1 000 = 3,2 Gt), cela permettrait pratiquement de compenser les émissions annuelles de CO2vers l’atmosphère (les 4,3 Gt). »

4 pour 1 000… Les volants d’action

D’accord mais comment faire ? Comment augmenter chaque année de 3,2 Gt le carbone dans les sols de la planète ? Rappelez-vous : le carbone est l’un des éléments constitutifs de la matière organique. À l’instar de l’azote (N), c’est un élément non pas figé mais très dynamique à travers toutes les formes de matières organiques qu’il prend et qui évoluent au sein du sol en se dégradant ou en étant assimilé par des organismes vivants. Il faut imaginer le sol comme une boîte avec des entrées d’éléments comme le carbone et des sorties. À l’intérieur, des tas de formes carbonées diverses, plus ou moins évoluées, plus ou moins stables, sont entraînés dans des flux permanents de matières. Pour augmenter tout ce contenu carboné des sols, il y a, en fait, deux volants d’actions :
- augmenter les entrées de carbone ;
- diminuer, voire éviter les sorties (pertes).
« Diminuer les pertes de matières organiques par érosion ou biodégradation, ce peut être fait par du non-labour », indique le professeur en sciences du sol. C’est aussi arrêter le brûlage des résidus, ce qui peut encore concerner certaines parties du monde mais plus la France. « Pour augmenter les entrées de carbone au sol, le plus simple c’est de mettre du vert partout et tout le temps. J’en profite pour signaler qu’augmenter le carbone des sols de 4 pour 1000 tous les ans, cela correspond pour un sol qui contient 50 tonnes de C par ha dans ses 30 premiers centimètres (une moyenne pour les sols cultivés en France) à 0,2 tonne supplémentaire de C/ha/
an », indique C. Chenu. L’étude ci-contre réalisée par l’Inra, qui s’appuie sur des
synthèses bibliographiques, compare l’effet sur le stockage additionnel de carbone dans les sols de différentes pratiques agricoles. Pour aboutir à cet histogramme, chaque pratique a été comparée à sa propre référence. Exemples : le semis direct qui obtient un stockage additionnel de moins de 0,2 t avait comme référence comparative le labour ; les bandes enherbées étaient comparées à un système sans bandes enherbées, etc.

Cette synthèse est vraiment très intéressante, même s’il y a, pour certaines pratiques, des niveaux d’incertitude importants (traits verticaux noirs) et si toutes les pratiques n’ont pas été renseignées (par exemple, épandre des composts apporte du C au sol et peut permettre d’augmenter les stocks). Déjà, les pratiques qui stockent le plus de C sont les enherbements : bandes enherbées, enherbement en vergers « En bref, tout ce qui se rapproche de la prairie permanente avec un effet positif à la fois sur les entrées et sur les pertes de carbone », précise C. Chenu. On notera aussi que les enherbements au sens large sont nettement au-dessus des 4 pour 1000 (+ 0,2 t C/ha/an). Les cultures intermédiaires, qui nous renseignent sur l’effet des couverts, ne sont pas si mal placées, au-dessus des 4 pour 1 000. Dans les faits, les résultats présentés ici rassemblent différentes espèces et des couverts mono-espèces (surtout) ou pluri-espèces.

Le semis direct maintenant… La pratique a ici, été analysée seule c’est-à-dire qu’on a pris en compte que l’effet du non-travail de sol. Logiquement, le SD limite les pertes de C mais, de toute évidence dans cette analyse, il ne stocke pas l’élément. Est-ce vraiment surprenant ? Souvenez-vous, notre dossier de synthèse sur l’essai de longue durée d’Oberacker, en Suisse (TCS n° 85 de novembre/décembre 2015). L’essai suisse ne montre pas un avantage du SD par rapport au labour en accumulation d’humus sur la totalité du profil de sol (l’interprétation en fonction de la profondeur analysée est en effet importante). C’est l’ensemble des pratiques mises en place (SD + couverts + rotation) qui apporte les bénéfices en matière de « gestion du carbone. La synthèse Inra en est aussi le reflet, même si, concrètement, l’AC n’y est représentée que par « petits bouts ». Pour finir sur cet histogramme, voyez également le positionnement très correct de l’agroforesterie. Ce résultat est d’ailleurs conforté par un autre, celui du projet AgripSol (Agroof, Inra, IRD, AgroParisTech, financement Ademe) qui, après analyse d’un réseau national de parcelles en agroforesterie, en tire le résultat suivant de stockage additionnel moyen : + 0,24 t
C /ha/an sur 0-30 centimètres.

4 pour 1 000… Est-ce envisageable ?

En résumé, augmenter annuellement le stock de C dans les sols de 4 pour 1000, c’est faisable puisque beaucoup de modes de culture (dont l’AC qui regroupe plusieurs pratiques positives) vont au-delà des + 0,2 t C/ha/an. Mais, « il faut être réaliste, analyse C. Chenu. Si nous pouvons y arriver localement sans problème, cela ne peut pas avoir une portée mondiale, ni même nationale. Regardez où l’effort doit porter : sur quelques pourcents de terres agricoles qui diminuent chaque année. Les prairies permanentes et les forêts ? Elles sont déjà à leur optimum en surface. Ce qui n’enlève en rien à ce qu’il faut faire : éviter de déstocker et maximiser les entrées de biomasse. Mais au-delà, cela ne doit pas être l’alibi pour ne pas faire l’effort de réduire nos émissions de gaz à effet de serre ». En résumé, l’effort ne doit pas (et ne peut pas) être porté par l’agriculture seule ; il doit l’être dans les secteurs de notre activité et de l’économie.


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