GLYPHOSATE : 18 MOIS POUR CONVAINCRE !

Frédéric Thomas ; TCS n°88 - juin / juillet / août 2016

La saga glyphosate s’est en partie terminée en juin par une extension d’homologation par la Commission européenne jusqu’à la fin 2017. Elle a tranché et pris une décision là où les responsables des États membres avaient échoué à deux reprises le 6 et le 24 juin. Au terme de cette période, une évaluation complémentaire sur la
matière active est attendue de l’ECHA (European Chemical Agency), l’autorité compétente pour le classement des substances chimiques. Son avis sera très important dans les étapes et les décisions suivantes. En complément, la commission a également proposé à chaque État membre de restreindre les
conditions d’utilisation du glyphosate. Celles-ci incluent l’interdiction du co-formulant (POE-tallowamine), un examen minutieux des utilisations en pré-récolte et une réduction des utilisations non agricoles (parcs et jardins). La commission regrette enfin que les États membres n’aient pas réussi à se mettre
d’accord sur ces restrictions d’usage et elle souhaite qu’elles soient mises en vigueur aussi rapidement que possible.

Il est assez affligeant d’utiliser en dernier recours l’entité supérieure, et en l’occurrence la Commission européenne, pour un tel dossier. Avec cette décision, qu’il est trop facile de lui reprocher, elle abrite les responsables politiques qui peuvent rester campés sur leurs positions dogmatiques et leur clientélisme national.

Cependant, c’est aussi très rassurant de savoir qu’il existe une commission et qu’elle a pu prendre cette décision compliquée malgré l’agitation autour de ce dossier. Cela montre qu’il existe encore de l’analyse, du discernement et du bon sens au niveau
européen au-delà des effets d’annonces, des récupérations partisanes et de la pression des lobbys. Plus que l’Europe, trop souvent la responsable de beaucoup de maux, comme l’agriculture d’ailleurs, ne serait-ce pas nos propres États et même nos représentants les vraies limites et les blocages ?

Cette décision laisse également entrevoir que l’affaire a certainement été finalement évaluée en termes de bilan (risques vs bénéfices) comme nous le revendiquons depuis le début. L’utilisation du glyphosate n’est pas sans risques et nous l’avons toujours accepté mais c’est avant tout un symbole qui rassemble
facilement beaucoup de crispations et « d’anti ». Il ne faudrait pas que les campagnes de communication agressives que nous avons connues exagèrent ce risque et en occultent beaucoup d’autres. Il ne faudrait pas qu’elles oublient de présenter les bénéfices induits et les solutions que cette matière active apporte notamment en
matière de gestion des vivaces. Il est logique que la pression sociétale pousse à une réduction de l’utilisation globale de la chimie en agriculture et ailleurs, mais de là à aboutir à des interdictions brutales sans réelles solutions de replis, c’est
inadmissible. Il semble donc, et il serait souhaitable, qu’une fois le soufflet médiatique retombé, on se dirige vers un encadrement d’usage qui serait la position intermédiaire la plus judicieuse pour tous mais aussi pour l’environnement.

Cet épisode houleux a aussi montré que l’agriculture de conservation trouve peu d’alliés, comme d’habitude. La pression médiatique étant si forte et agressive, rares sont les entreprises, les coopératives, les responsables agricoles, les représentants politiques et même les chercheurs ou les écologistes qui ont osé venir appuyer le dossier positivement. Si certains ont fait le choix de ne pas s’exposer avec ce sujet sensible et presque perdu d’avance, d’autres, plus insidieux, y voient même la possibilité de juguler le développement jugé parfois insolent de l’AC en France. Ces
réseaux d’agriculteurs autonomes, qui innovent et mettent en œuvre des solutions économes, tout en s’appuyant sur des approches écologiques, dérangent. Ils ruinent des opportunités d’affaires tout en proposant des solutions cohérentes et positives au niveau de l’environnement. Vu sous cet angle, on comprend
pourquoi beaucoup cherchent même à nous coller l’étiquette « glyphosate » : un moyen facile pour minimiser notre action et nier ce que nous avons apporté à l’agriculture ces 20 dernières années. Il semble tout de même de mauvaise foi de nous rendre coupable de toutes les pollutions alors qu’un tiers des utilisations actuelles de glyphosate est sur des surfaces non agricoles et les utilisations en AC, même si elles sont assez systématisées, ne représentent pas la majorité des
surfaces et sont souvent sur des sols couverts et biologiquement actifs.

A notre niveau, et même si beaucoup d’efforts ont déjà été réalisés, il convient de continuer de travailler pour réduire les doses utilisées mais aussi les fréquences des traitements. Un printemps et un début d’été humides comme cette année ne vont certainement pas faciliter les impasses. Par ailleurs, nous avons déjà repéré des enchaînements, comme colza/blé ou même blé/sarrasin-colza, où le glyphosate n’est
plus obligatoirement nécessaire. Les couverts végétaux et les couverts permanents ouvrent également sur de nouvelles opportunités d’impasse dans cette direction. Il faut continuer à travailler et réfléchir à d’autres solutions pour limiter encore plus
cette « dépendance ». Aujourd’hui, au vu de nos connaissances, et même si cela est possible, il n’est pas encore envisageable de pouvoir supprimer durablement tout travail du sol ni le recours, même ponctuel, à la chimie pour contrôler le salissement à
l’implantation ou dans la culture en place. Pour encore longtemps, et parce que c’est logique avec l’agriculture, tout est question de compromis et de sensibilité.

Par ailleurs, et comme nous sommes assez seuls sur ce dossier épineux, il va falloir apprendre à communiquer et expliquer ouvertement à notre entourage, nos voisins et nos élus les enjeux. C’est vrai qu’il est difficile, à première vue, de faire comprendre que l’on peut utiliser de temps à autre du glyphosate censé tout détruire tout en développant l’activité biologique du sol, que l’on peut utiliser ponctuellement des insecticides tout en encourageant les abeilles et l’ensemble de la biodiversité, que l’on peut fertiliser des couverts végétaux pour développer l’auto-fertilité ou même stocker
du carbone en utilisant un tracteur puissant. Mais avec des exemples concrets et des images simples, beaucoup de personnes comprennent très vite. Sans rentrer dans des considérations trop techniques, les gens apprécient souvent une vérité tout en nuances plutôt que des positions vindicatrices et idéologiques. Sans
s’opposer à d’autres approches, il faut user de pédagogie et démontrer avec nos champs que l’agriculture de conservation est une troisième voie intéressante. Sans vraiment de soutien, seulement par la cohérence des solutions qu’elle propose, ses bénéfices agronomiques, économiques mais aussi
environnementaux, ses résultats incontournables sur le terrain mais aussi par la dynamisation et les perspectives qu’elle apporte aux agriculteurs, elle a même réussi à s’imposer. Enfin, n’étant pas une approche extrême, ce mouvement de fond a apporté du contenu au concept d’agroécologie et donne envie, aujourd’hui, à
un nombre croissant d’agriculteurs d’aborder différemment la production agricole.
Il est certain que l’agriculture doit continuer à « verdir ». C’est bien entendu dans l’intérêt de tous mais aussi des agriculteurs eux-mêmes. La grande majorité des producteurs, quelles que soient les productions, a déjà réalisé énormément d’efforts et l’agriculture de conservation apporte aujourd’hui un nouvel élan dans cette transition vers l’agroécologie avec non seulement beaucoup de solutions, une cohérence d’ensemble et surtout des perspectives encore plus intéressantes. Les réseaux d’agriculture de conservation regroupent également beaucoup d’agriculteurs
qui anticipent et n’attendent ni des réglementations ni des aides pour agir et s’investir. Il aurait été vraiment dommage de couper les racines de ce mouvement qui est en train de bouleverser en douceur l’agriculture française et même européenne.

Souhaitons que les prochaines étapes de cette saga intègrent mieux cette dimension : nous avons 18 mois pour convaincre !


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