Mercredi 22 juin 2016
Guillaume Bodovillé

Passionné d’agronomie, je contribue au site agriculture-de-conservation.com et au magazine TCS. Je m’intéresse aux pratiques agricoles innovantes permettant la conservation du sol et l’amélioration de sa fertilité.

En semis direct, la rotation est une arme pour lutter contre les graminées résistantes

Infestation de ray-grass
Les évolutions des populations de ray-grass sont extrêmement rapides et peuvent coloniser la parcelle entière. Dans ces conditions, pour sauver la parcelle et éviter la dissémination par la moissonneuse-batteuse, une destruction au glyphosate, puis une
alternance des cultures, des dates de semis et des modes d’action anti-graminées sont la seule solution.

Agriculteur de la belle région de Vertus, en plein cœur de la Champagne crayeuse, Bertrand Ravillion a remisé sa charrue voilà déjà 20 ans ! Après des années de TCS et quelques essais de strip-till, il pratique de plus en plus le semis direct sous couvert pour l’ensemble de ses cultures. Confronté comme tous ses voisins à des graminées résistantes aux fops, dimes (groupe A de l’HRAC [1]) et aux sulfonylurées (groupe B de l’HRAC), Bertrand a mis en place une rotation des cultures et des modes d’action antigraminées qui semblent particulièrement efficaces.

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Une rotation sur 11 ans, alternant cultures d’hiver et cultures de printemps

Rotation chez Bertrand Ravillion

La rotation commence par des betteraves sucrières. Une fois les betteraves récoltées, des pois protéagineux d’hiver sont implantés. Ils sont semés avec du blé tendre d’hiver afin de couvrir davantage le sol pour concurrencer les adventices, créer un microclimat plus favorable et lutter contre le gel mécanique qui est souvent néfaste aux pois d’hiver en terre de craie. En sortie d’hiver, le blé est détruit par le désherbage du pois.
En troisième année de rotation, du colza succède aux pois. Le colza profite d’un bon précédent (reliquats azotés, peu de résidus) et il est associé à des légumineuses gélives (féveroles de printemps, pois fourrager, fenugrec).

Colza associé à des féveroles et pois fourragers chez B. Ravillion
Colza associé à des féveroles et pois fourragers

Les repousses de colza forment un couvert d’été, dans lequel Bertrand sursème des féveroles.
En quatrième année de rotation, le blé tendre d’hiver profite d’un bon précédent et d’un champ quasiment indemne de graminées adventices. Il peut cependant être pénalisé par la présence de campagnols, que la longueur de la culture de colza favorise, et qui constitue finalement la plus grande problématique en semis direct, l’autre problème étant sans doute la rémanence de certains herbicides, typiquement, le metsulfuron-méthyl appliqué sur céréales qui peut affecter les couvert suivant, ainsi que les dérives de désherbage à l’Atlantis qui peuvent encore causer des dégâts sur les betteraves de l’année suivante.

Après le blé, un gros couvert, style Biomax, est implanté, avec une base de légumineuses (féverole, pois fourrager ou vesce, mélilot…) et de crucifères (radis fourrager, radis chinois, moutarde...) complété par de la phacélie. Bertrand n’est satisfait que si le couvert produit au-moins 5 t MS/ha. L’objectif est de redonner de la vie au sol en l’enrichissant en matière organique, de recycler les éléments nutritifs (le phosphore est bloqué par la craie), et d’augmenter la fertilité du sol.

Couvert Biomax chez B. Ravillion
Couvert au 15 septembre
En 2015, année très sèche, les couverts n’étaient bien développés que dans les bonnes parcelles. Dans les rendzines sur graveluches, les couverts n’ont quasiment pas levé.

En cinquième année suit une orge brassicole de printemps, qui sera elle-même suivie d’un gros couvert avant un retour des betteraves sucrières en sixième année.
En septième année, nous retrouvons un blé, qui sera à nouveau suivi d’un gros couvert.
Ensuite, la rotation se poursuit de manière similaire aux années 2 à 5, avec des pois protéagineux de printemps cette fois, cultivés en huitième année de rotation, qui constituent un bon précédent pour le colza associé qui suivra, puis un blé, un gros couvert, une orge de printemps et un dernier gros couvert avant le retour aux betteraves de la première année de rotation.

L’utilisation de crucifères dans les couverts alors qu’il y a du colza dans la rotation, ne semble pour le moment pas se révéler problématique. De même, la présence de légumineuses dans le couvert précédant les pois de printemps pourrait se révéler défavorable (transfert de pathogènes par exemple). Notons cependant que les sols de craie ne semblent pas favorables à l’Aphanomyces.

Toutes les cultures et tous les couverts sont implantés en semis direct. Le semis des betteraves est seulement précédé d’un « pré-traçage » (je n’ose pas dire du strip-till) à 4/5 cm de profondeur.
SD chez Bertrand Ravillion

Le contrôle des graminées

Le désherbage anti-graminée habituel est réalisé uniquement en post-levée :

  • Sur betteraves sucrières et pois de printemps : Clethodime (groupe A) + huile,
  • Sur pois d’hiver et colza : Propyzamide (groupe K1),
  • Sur blé : Chlortoluron (groupe C2) et diflufénicanil (groupe F1),
  • Sur orge de printemps : Pinoxaden (groupe A) + huile,
  • Pour détruire certains couverts et repousses (ainsi que les zones par trop infestées en graminées adventices dans les cultures) : Glyphosate (groupe G) + adjuvant + sulfate d’ammonium.
    Bertrand veille également à broyer les bordures des parcelles.

Pour diversifier encore davantage les modes d’action anti-graminées, des herbicides du groupe N sont parfois employés, par exemple du prosulfocarbe en post-semis pré-levée des céréales, de l’éthofumesate en post-levée sur betteraves, ou encore du triallate incorporé avant le semis de l’orge de printemps en situation extrême. De même, du flufénacet (groupe K3) a déjà été employé sur les céréales.

L’alternance des dates de semis des cultures, le semis tardif des blés (les premiers semis ne commencent que fin octobre), l’enchaînement betteraves/pois/colza ainsi que la diversification des modes d’action anti-graminées ainsi permise, est un moyen très efficace pour lutter contre les ray-grass et vulpins résistants aux inhibiteurs de l’ACCase (fops et dimes, groupe A) ainsi qu’aux inhibiteurs de l’ALS (sulfonylurées, groupe B) qui étaient devenus très problématiques dans les cultures d’hiver, avec des rotations auparavant très chargées en blé et escourgeon.

Les systèmes de culture en semis direct sont très dépendants du glyphosate. Si cette matière venait à ne plus être homologuée, de nouveaux systèmes de culture seraient à reconcevoir, alors qu’il n’y a pas aujourd’hui d’autre anti-graminée homologué en destruction de couvert et que le 2,4-D pose le problème du délai avant semis d’une culture suivante (7 jours avant céréales à paille, 1 mois avant betterave). Serait-il encore possible de se passer de travail du sol ?
Le glyphosate est aussi une solution 100% efficace contre les graminées résistantes. À l’échelle de la rotation de Bertrand, le glyphosate représente aujourd’hui un IFT [2] de 0,12. Si le glyphosate n’était pas ré-homologué, faudrait-il appliquer du clethodime sur le couvert (non homologué à ce jour pour cet usage) et attendre un mois avant de semer la céréale ? Quid de l’IFT de la rotation dans ces conditions ?

Le poster des modes d’action herbicides de l’HRAC : http://www.hracglobal.com/images/moaposter.pdf