L’échange d’idées nourrit l’innovation

Frédéric Thomas - TCS n°41 - Janvier / février 2007

Avec ce numéro, TCS boucle ses huit ans, une aventure riche de contacts, d’échanges et surtout de progrès en matière de surface mais aussi et surtout de technicité et de maîtrise de la simplification du travail du sol et du semis direct. Au cours de cette période, l’approche plutôt « machine » puis « sol » des débuts a lentement dérivé pour prendre une orientation plutôt « plante » et « système » pour devenir maintenant plus « écologique ». L’agriculture de conservation, terme générique, n’est surtout pas un système abouti, mais une formidable ouverture vers une agriculture en devenir toujours plus efficace et toujours plus performante. À ce niveau, il est peut-être intéressant de faire une rapide rétrospective afin de mieux envisager l’avenir.

La revue TCS a apporté à de nombreux praticiens disséminés sur le territoire une identité, une reconnaissance afin de mieux assumer leur différence d’approche. Les échanges de pratiques et d’idées leur ont permis de comprendre les difficultés qu’ils rencontraient, de progresser et finalement de réussir. Aujourd’hui, la simplification du travail du sol, qui réunit un nombre croissant d’agriculteurs toujours par soucis d’économie mais également de préservation des sols et respect de l’environnement, est devenue une pratique culturale à part entière. Reposant sur des fondements agronomiques cohérents, cette dynamique s’impose progressivement dans les campagnes.

Au-delà d’expliquer le fonctionnement du sol et ses réactions aux différents modes de travail, TCS a accompagné l’évolution des techniques de déchaumage redevenues nécessaires avec l’apparition de soucis de salissement des parcelles par des itinéraires trop simplistes. Les outils de déchaumage ont fait un tel progrès qu’ils sont maintenant capables de semer les couverts, même les céréales, avec succès. Les semoirs ont aussi énormément progressé : disques ouvreurs, roulettes étoiles, languettes de rappui, doubles disques décalés, roues de fermeture crantées, localisation de la fertilisation, sont autant d’adaptations qui assurent aujourd’hui un bon positionnement des graines, quelles que soient les conditions de sol et de résidus.

Sur cette même période, l’expérience sud américaine du semis direct sous couvert a permis d’insérer plus d’agronomie dans les approches. À ce titre, TCS a largement fait la promotion des couverts végétaux et plus récemment des mélanges de type « biomax ». Ceci permet aujourd’hui de dépasser l’approche Cipan et « couvert contrainte » pour accéder au « couvert bénéfice » pouvant aller jusqu’à la fourniture d’azote, avec en prime un travail de structuration du profil et de gestion du salissement. C’est encore au travers de nos pages que la destruction par le gel, mais également par roulage, s’est étendue afin de réduire davantage le travail et le recours systématique au glyphosate. Ce dossier est d’ailleurs loin d’être fermé et malgré l’arrivée de nouvelles plantes répondant beaucoup mieux aux objectifs des TCSistes et des SDistes comme le tournesol, le nyger, l’avoine brésilienne ou encore le N-Fix, le laboratoire de la nature reste vaste et nous réserve encore de nombreuses surprises intéressantes.

Le strip-till est une technique complémentaire, présentée dès les premiers numéros comme une option sécurisante. Cette idée a mûri lentement, soutenue par l’expérimentation de pionniers motivés pour devenir aujourd’hui une pratique reconnue, permettant d’accéder facilement et sans trop de risques à du presque semis direct. Plus récemment, une partie du rédactionnel s’est plus concentrée sur la conception de rotations adaptées. Qu’on le veuille ou non, cet élément est vraiment le troisième pilier de l’agriculture de conservation. Cette orientation indispensable pour limiter les risques de salissement mais également de maladies et de ravageurs se révèle de plus en plus prometteuse en apportant de la sécurité dans les itinéraires, de nouvelles idées et surtout des économies encore insoupçonnées. À titre d’exemple, si l’idée de semer du colza en direct derrière des légumineuses paraissait farfelue il y a seulement quatre ans, aujourd’hui, l’étendue des surfaces confirme largement le bien-fondé de cette orientation. Un changement radical qui démontre encore une fois qu’une difficulté, en l’occurrence la paille, peut stimuler la réflexion et permettre non seulement de contourner le problème mais aussi d’ouvrir sur des champs de progrès. Ainsi, la culture du colza se découvre maintenant de nouveaux précédents très performants comme le maïs ensilage, le tournesol et les cultures légumières où il peut être produit très économiquement.

Au cours de ces années, TCS a largement démontré et étayé les intérêts de la simplification du travail du sol au niveau environnemental, qu’il s’agisse de la qualité de l’eau mais aussi de celle de l’air. Nous étions à ce titre les premiers à vous parler de séquestration du carbone il y a huit ans, bien avant que le réchauffement climatique soit admis comme une réalité. Plus récemment, la meilleure connaissance de l’écosystème sol et du vivant à la surface et autour des parcelles nous a permis de comprendre que la biodiversité est un formidable allié que nous devons apprendre à cultiver et utiliser.

Enfin aujourd’hui avec la hausse des cours de l’énergie qui devrait se poursuivre malgré une correction temporaire des marchés, non seulement les charges de mécanisation, mais la majorité des coûts de production, dont l’azote et l’irrigation, devraient continuer d’augmenter. Il est donc urgent de dépasser la seule consommation d’énergie dans le travail du sol et d’aborder les autres niveaux où les potentiels d’économie sont énormes en continuant de développer l’autofertilité des sols et en construisant des systèmes performants. Enfin, dans ce contexte de raréfaction d’énergie mais également de tension sur les marchés alimentaires, l’agriculture de conservation ressort de plus en plus comme l’orientation la plus cohérente au vue de sa grande efficacité énergétique et du positionnement de la fertilité du sol comme axe central en association à la préservation et l’utilisation de la biodiversité.

Au regard de ces éléments, nous pouvons être rassurés par le chemin parcouru en ce laps de temps et par le bienfondé de l’agriculture de conservation qui tarde à être reconnue dans ce contexte économico-environnemental. Il nous reste cependant de gros chantiers en perspective et encore beaucoup de travail, d’observation, de compréhension, d’expérimentation et d’échange d’idées afin de continuer à innover et à progresser vers une agriculture productive mais toujours plus économe et autonome : un courant de pensée et une approche de développement qui devraient faire écho à bien des échelons de notre société.


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