Mercredi 15 juillet 2015
Camille Atlani-Bicharzon

Sarah Singla : « La seule chose constante dans tout ce que nous faisons, c’est le changement »

JPEG - 88.7 koAgricultrice en Aveyron, membre du réseau Nuffield France et co-fondatrice de l’association Clé de Sol, Sarah Singla s’intéresse depuis de nombreuses années à la fertilité des sols et au semis direct sous couvert végétal. Passionnée et dynamique, elle œuvre pour replacer la dimension humaine de l’agriculture au cœur de son métier. Dernière interview de notre série sur les ateliers agroécologiques d’Innovagri-Toulouse, elle y parlera d’innovation en agriculture.

Camille Atlani : Sarah Singla, vous allez nous parler d’innovation à Innovagri-Toulouse. Comment définissez-vous cette innovation ?

Sarah Singla : L’innovation peut être vue sous différentes formes, généralement il s’agit de quelque chose de nouveau, qui est souvent en rupture avec ce que l’on faisait jusqu’alors. Mais il ne faut pas avoir peur de l’innovation c’est un moyen de progresser et n’oublions pas non plus que la seule chose qui soit constante dans tout ce que nous faisons, c’est le changement. En fait, on trouve des moyens nouveaux pour répondre à de mêmes besoins. Par exemple, avant nous téléphonions avec des téléphones fixes et désormais nous utilisons des téléphones portables – nous continuons de téléphoner mais nous le faisons différemment. L’innovation c’est un peu cela : si vous prenez l’exemple du semis direct sous couvert végétal, la rupture vient du fait qu’il y a abandon du travail du sol par des outils métalliques mais on continue de faire pousser des cultures. Quand on parle d’innovation, c’est généralement positif car on progresse et il n’y a progrès et innovation que lorsque l’on améliore quelque chose dans le système, que ce soit d’un point de vue économique, environnemental ou social.

C.A. : Dans une vidéo de Fondapol de 2013, vous disiez que « l’érosion des sols c’est l’érosion des civilisations ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

S.S. : Cette citation est tirée d’un livre de l’américain David Montgomery, DIRT, qui montre qu’aucune civilisation agraire n’a duré plus de 500 ans ; et qu’à chaque fois qu’une civilisation oublie son sol, elle finit par disparaître. Le sol est le fondement de tout – sans sol, il n’y a pas d’agriculture et sans agriculture, il n’y a pas de civilisation. C’est en commençant par la fertilité du sol que nous pourrons créer des systèmes productifs, durables, garantissant aux générations futures de continuer à produire et à se nourrir.

C.A. : Vous avez créé l’association Clé de Sol en 2012. Quel est son objectif ?

S.S. : Clé de sol est une association qui a été créée dans l’objectif de vulgariser et de répondre aux questions que des agriculteurs aveyronnais se posaient sur la technique du semis direct sous couvert végétal. Cette technique n’est pas un objectif en soi, mais c’est un moyen pour améliorer nos façons de produire afin d’avoir une agriculture plus performante. Lorsque nous faisons des journées coin de champ, nous cherchons à vulgariser la technique et sa mise en application au sein d’un système en tenant compte des spécificités de chaque exploitation. Lorsque nous avons créé Clé de Sol, nous souhaitions mettre en avant ces « autres » façons de cultiver et montrer que cela était possible en Aveyron. Nous voulions réellement donner la chance aux agriculteurs d’ici – qui n’ont pas toujours la possibilité de s’absenter à cause de l’élevage – de pouvoir bénéficier de conférences et d’interventions de personnes extérieures ainsi que des visites de coins de champs.

Nous parlons de Clé de Sol qui est basé en Aveyron, mais d’autres associations existent au niveau national, telles que l’APAD ou BASE qui dynamisent d’autres départements en permettant à d’autres agriculteurs de se fédérer et d’échanger autour de ces pratiques et en diffusant encore plus largement le savoir.

C.A. : Vous avez bénéficié d’une bourse Nuffield en 2011. Pouvez-vous nous présenter cette initiative ?

S.S. : La bourse Nuffield est une bourse de 20 000€ qui destinée à des personnes travaillant dans le monde agricole. Elle permet aux boursiers d’approfondir un sujet de leur choix et de participer à un programme mis en place par Nuffield International. Nuffield France appartient à un réseau Nuffield International regroupant la France, l’Australie, le Canada, l’Angleterre, les Pays Bas, la Nouvelle Zélande, l’Irlande et bientôt le Brésil et peut-être la Chine. Son objectif est de développer les gens à travers l’agriculture et l’agriculture à travers les gens. Il y a donc deux dimensions : l’aspect professionnel où l’on va pouvoir approfondir un sujet de notre choix, mais aussi l’aspect humain car cela donne la possibilité à des producteurs français de tisser des liens avec d’autres agriculteurs du monde entier et de se construire un réseau au niveau mondial. Il ne faut pas oublier que l’agriculture est avant tout une aventure humaine !!

En plus de son sujet d’étude, chaque boursier Nuffield participe à un voyage d’étude organisé par Nuffield International. Ce voyage est réalisé sur une période de six semaines consécutives et se fait en groupe avec huit autres agriculteurs du réseau Nuffield. Tout au long de ce voyage, les boursiers visitent des fermes, des centres de recherche et découvrent comment l’agriculture est pratiquée dans d’autres pays. L’objectif de ce voyage est de donner aux boursiers une vision globale de l’agriculture d’aujourd’hui. Bien souvent, nous ne voyons l’agriculture qu’au travers de ce que nous connaissons dans notre département ou notre pays. En voyageant, nous réaliserons qu’aux Etats-Unis une ferme peut s’étaler sur 60 000 hectares et a de la très haute technologie, alors que dans d’autres pays, il y aura des fermes beaucoup plus petites où l’agriculture est manuelle et vivrière… Cela permet de voir concrètement comment d’autres produisent et de ce fait, cela donne une plus grande ouverture d’esprit sur l’agriculture et tous les systèmes qui la composent sans pour autant les opposer. Il ne s’agit pas en effet de dire que l’agriculture brésilienne est meilleure que celle de l’Inde. Ce sont des agricultures diverses et les observer permet d’appréhender toute la richesse de l’agriculture d’aujourd’hui. Par ailleurs, grâce à ce parcours, les boursiers seront en mesure de prendre des idées ailleurs pour les ramener chez eux et pourquoi pas de les appliquer sur leurs exploitations. C’est en s’inspirant d’expériences étrangères et d’autres visions de l’agriculture qu’ils pourront développer de nouvelles idées et faire progresser l’agriculture.

Il y a une phrase qui dit : « un jour, dans votre vie, vous aurez l’occasion de changer votre vision et votre façon de voir les choses. Alors n’hésitez pas, faites-le ». C’est exactement ce que propose Nuffield, une expérience unique à vivre. Bien souvent les français se disent qu’ils ne peuvent pas partir à cause du travail à la ferme, mais si on regarde bien, les agriculteurs des autres pays ont aussi du travail sur leur ferme… Mais, ils ont une autre culture à la base et ils n’hésitent pas à se déplacer et à aller voir ailleurs afin de faire progresser leur entreprise. L’expérience Nuffield permet aussi de prendre du recul sur notre activité. Du fait que l’on se soit absenté pendant plusieurs semaines et que nous ayons pu voir d’autres choses, nous percevons peut-être davantage les points forts et les points faibles de notre ferme, ce qui n’est pas toujours facile à faire lorsque l’on a la tête dans le guidon.

C.A. : Que souhaitez-vous montrer lors de votre intervention à Innovagri-Toulouse ?

S.S. : Montrer que l’agriculture française a un énorme potentiel et que nous avons encore de nombreuses choses à imaginer et à développer. Nous avons la chance d’avoir de très bonnes conditions pédoclimatiques, nous avons la chance d’avoir les moyens d’acheter des intrants, et nous avons une agriculture qui est relativement bien structurée par rapport à d’autres pays dans le monde. Mais souvent, nous avons tendance à l’oublier et nous pensons que l’herbe est toujours plus verte dans le pré d’à côté. Dans l’intervention à Innovagri-Toulouse il y aura certes quelques exemples de l’étranger mais également des exemples français qui fonctionnent très bien, afin que les agriculteurs présents puissent s’en inspirer pour aller de l’avant et en se disant « pourquoi pas ? ». Il ne s’agit pas de faire du « copier-coller » d’exemples qui fonctionnent à merveille – chaque ferme est unique et ce qui marche chez l’un ne marchera pas nécessairement chez l’autre – mais bien de s’en inspirer et de voir comment on peut l’adapter à notre contexte.

Au-delà des aspects techniques que l’on peut découvrir en agriculture, il ne faut pas oublier non plus que l’innovation touche également le facteur humain et l’aspect social. Certes, nous serons certainement assistés par des robots dans nos opérations mais ils ne feront pas tout à notre place. Nous aurons encore et toujours besoin d’hommes et de femmes passionnés qui sont épanouis dans leur travail. Quel que soit le secteur d’activité, on se rend compte de plus en plus que la différence qui fait qu’une entreprise paraisse plus attrayante qu’une autre repose surtout sur le capital humain et de la façon dont les personnes ont la possibilité de s’épanouir au travail.

En bref, il y aura de nombreux exemples, pris ici et là et touchant à plusieurs facettes de l’innovation tout en donnant envie d’essayer et de se lancer dans de nouvelles aventures.