Conviction, patience et humilité

Frédéric Thomas - TCS n°35 - Novembre / décembre 2005

Si les connaissances, l’agronomie, la rigueur, l’observation et le bon sens paysan sont souvent des éléments mis en avant dans la réussite des TCS et du semis direct afin de faire les bons choix, d’anticiper, de réagir et de gérer au quotidien des approches et systèmes d’apparence plus complexes, d’autres aptitudes sont tout aussi indispensables et tout à fait complémentaires.

La conviction. Il est bien entendu possible d’essayer, de comparer, voire d’opposer les techniques. Cependant, la conviction est plus forte que toutes les études et les chiffrages et rassemble déjà une partie de la réussite. Elle permet dans un premier temps de changer de registre, de mode de pensée, voire de comportement. C’est encore la conviction qui sous-tend la définition d’un objectif à atteindre, la construction d’un projet, d’une forme de visions. C’est encore elle qui permet de visualiser facilement les progrès réalisés, le chemin parcouru et qui permet d’accepter les échecs, de rebondir, de capitaliser sur ces expériences apparemment négatives. C’est enfin cette même conviction qui permet de garder le cap malgré les difficultés, les critiques, voire l’isolement et donne la force de trouver les bonnes solutions.

La patience. Dans ce monde où l’instantanéité règne, la patience est une vertu rare. Cependant, travailler avec le vivant demande d’accepter la lenteur des cycles et quoi que l’on fasse, les vers de terre, la matière organique, les couverts végétaux et le volant d’autofertilité nécessiteront toujours quelques années de bonnes pratiques pour se développer et atteindre un niveau souhaitable avant de commencer à verser des dividendes. Il en va de même pour les aspects économiques. La simplification occasionne fréquemment, dans un premier temps, des dépenses dont la rentabilité n’apparaîtra qu’une fois les investissements partiellement amortis ; un retour financier qui s’amplifie souvent après quelques années avec la sécurisation des résultats techniques. L’humilité. Elle évite tout excès d’assurance, qui peut être dangereux, car rien n’est jamais acquis et la nature nous réserve toujours beaucoup de surprises. Elle permet d’admettre notre faible niveau de connaissance et la complexité des systèmes qui ne sont que des équilibres dynamiques mais précaires. L’humilité permet enfin de rester vigilant et d’accepter les différences d’approches même si elles sont extrêmes. C’est toujours de la diversité et de la contradiction que naissent les meilleures réflexions.

La curiosité. C’est le moteur de l’écoute, de la recherche de nouvelles connaissances, de la compréhension des systèmes qui débouche sur l’apprentissage et le perfectionnement. C’est la curiosité qui pousse à sortir de son exploitation, de sa région, voire de son pays afin d’observer, d’analyser et de découvrir d’autres situations, approches de travail, raisonnements. Être curieux c’est aussi accepter la différence, une remise en cause perpétuelle, source de progrès.

La créativité. C’est enfin le précurseur de l’innovation. Cette aptitude exige cependant de faire fi des influences, des pressions, des préjugés et des concepts anciens. La créativité est également une forme de projection positive dans l’avenir indispensable à la mise en oeuvre de l’agriculture de conservation qui n’est pas un simple changement de mode de travail du sol ou l’application d’une recette bien rodée, mais l’ouverture vers un concept en devenir où le « génie écologique » est le principal intrant. Bien que nous possédions des exemples, des expériences intéressantes et une bonne idée sur la direction à prendre, ce nouveau mode de production repose sur la création d’agencements techniques et l’organisation de systèmes cohérents. Il existe bien sûr certaines prédispositions qui peuvent être variables selon les individus, mais que l’on se rassure, ces traits de caractère qui reflètent une certaine prise en charge personnelle, une attitude globale positive face à l’avenir sont, comme les TCS, relativement contagieux, se développent, s’entretiennent et s’aiguisent au contact des autres. Il serait d’ailleurs grand temps que cette contamination s’étende non seulement à notre agriculture, en proie à la morosité et en quête d’un nouveau souffle, mais aussi à notre société tout entière.


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