Edito : Réflexion sur la génétique

Frédéric Thomas - TCS n°32 - Avril / mai 2005

Depuis quelques années, malgré l’inscription de nouvelles variétés toujours plus productives (entre 102 et 110 % des témoins) et le suivi des techniciens ainsi que les efforts des agriculteurs, les rendements stagnent, plafonnent voire régressent. La culture du maïs qui a disparu de certains secteurs suite à l’érosion des résultats, la chute des rendements du tournesol malgré les améliorations génétiques et les progrès sur la fertilisation azotée ou l’arrêt de la culture de pois souvent moins productive et malade, ne sont que quelques exemples qui devraient attirer notre attention.

En fait, ce n’est pas vraiment la génétique qui est en cause, car les potentiels sont très largement supérieurs à la réalité, mais plutôt le milieu et entre autres la qualité du sol. Celui-ci n’est pas, ou n’est plus, un simple support ou un réservoir mais c’est un milieu vivant. La sécurisation, voire l’amélioration des résultats techniques, passe inéluctablement par une reconquête de sa fertilité organique et biologique. Pour comprendre cela, il suffit de se rappeler la qualité et déjà la productivité des maïs des années soixante-dix après retournement de prairies. Si l’agriculture de conservation est aujourd’hui l’orientation la plus favorable pour le sol, elle est cependant pénalisée : la recherche variétale n’a travaillé à ce jour qu’en conditions conventionnelles sur des sols surameublis, fertilisés voire irrigués, éloignant de fait la sélection de génotypes adaptés à des milieux plus difficiles. Cette inadéquation, entre un fonctionnement naturel du sol et une génétique pour des environnements maîtrisés, produit ces amplitudes de variations de résultats. Elle oblige de nombreux TCSistes à évaluer et sélectionner les variétés qui se comportent de manière satisfaisante dans leurs propres conditions. Pourquoi ne pas envisager des variétés spécifiques TCS et semis direct ?…

La course au rendement n’est plus une source de progrès. La fourniture de génétiques plus rustiques, plus aptes à lutter contre les ravageurs et les maladies voire plus compétitives vis-à-vis des adventices par leur hauteur, le port de leur feuillage et la largeur du limbe, est par contre une nouvelle orientation à privilégier. L’objectif n’est plus vraiment de produire plus, mais de sécuriser les résultats techniques élevés avec moins de travail, de surveillance et d’intrants ; en d’autres termes, il s’agit d’améliorer la rentabilité, d’abaisser le niveau de risque économique tout en étant favorable à l’environnement.

Avec les couverts végétaux, qui ne sont plus de simples pièges à nitrates, la génétique peut également s’ouvrir de nouvelles voies. Leur agressivité végétative pour le contrôle du salissement, les effets allélopathiques de leur biomasse vivante ou en décomposition, leur capacité à remobiliser des éléments minéraux inaccessibles pour les cultures, leur production d’hormones, d’enzymes et autres produits qui dopent et orientent l’activité biologique du sol ne sont que quelques exemples d’impact intéressants qu’il faut développer avec des plantes d’espèces différentes mais également des variétés spécifiques.

Enfin, il est ridicule de penser et de continuer d’articuler la production autour de seulement quelques cultures majeures même si les économies d’échelle au sein de filières bien organisées priment. La nature est riche de diversité et c’est cette diversité qu’il faut ramener dans les parcelles afin de construire des niveaux d’équilibre les plus favorables. Dans cet ordre d’idées, il existe de nombreuses plantes ou cultures mineures laissées de côté ou abandonnées par manque de productivité en culture annuelle. Grâce au semis direct qui raccourcit le temps entre récolte et semis, tout en étant favorable à l’installation de cultures en conditions sèches, certaines d’entre elles pourraient sûrement retrouver une place en seconde culture. De plus, dans les secteurs marginaux, où le sol n’est pas suffisamment performant pour tamponner les variations du climat, il est certainement possible de réfléchir à des premières cultures avec des cycles plus courts afin de favoriser l’orientation de double récolte.

L’agriculture de conservation n’a pas seulement besoin de machines, de produits phytosanitaires ou d’engrais spécifiques, elle a aussi besoin d’une génétique adaptée et d’une grande diversité de choix d’espèces. La conception et le développement d’itinéraires plus autonomes passeront bien entendu par la réduction voire la suppression du travail du sol, le développement de l’écologie appliquée à l’agriculture mais ne sera pas possible sans la mise à disposition de véritables « outils » végétaux qui doivent devenir le moyen simple, habile, naturel et économique de piloter les systèmes de production de demain.


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