L’eau, le sol, les plantes : une autre théorie du changement climatique ?

Matthieu Archambeaud ; Magazine TCS n°84 - octobre / novembre 2015

Le changement climatique est un phénomène bien étudié et médiatisé, dont nous subissons sans doute aujourd’hui les premiers effets avec des normales saisonnières « anormales » et des épisodes climatiques extrêmes et prolongés. Les travaux de l’IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change) ont constaté un lien entre ce changement climatique et l’augmentation des gaz à effet de serre et propose que l’effort soit porté sur la réduction de la concentration en dioxyde de carbone atmosphérique. De manière plus discrète, une équipe de chercheurs Slovaques a publié en 2007 une synthèse de recherches établissant un lien entre le cycle de l’eau et les perturbations climatiques : Water for the Recovery of the Climate - A New Water Paradigm (M. Kravčík, J. Pokorný, J. Kohutiar, M. Kováč, E. Tóth). Cette théorie, sans s’opposer à ce qui est devenu officiellement la « thèse du carbone », propose une théorie complémentaire intéressante et assez évidente.

Où est l’eau ?

Elle est partout, indispensable à la vie, animale ou végétale : 60% de notre organisme est composé d’eau et celui des végétaux en est constitué à 80-90%. A l’échelle de la planète, l’eau remplit un rôle de transporteur, soit par la voie atmosphérique (dissolution des gaz et des particules atmosphériques et retour au sol grâce aux précipitations), soit par la voie océanique et hydrographique (transport de sédiments, migrations océaniques, etc.). L’eau est également un formidable transporteur et répartiteur d’énergie. Par la voie océanique (qu’on pense par exemple au Gulf Stream, un courant chaud qui permet à la France d’avoir un climat tempéré alors qu’elle est à la même latitude que le sud du Canada), mais également par la voie atmosphérique, agissant comme un véritable climatiseur.

La majeure partie (97,25%) de l’eau terrestre est présente dans les mers et les océans. Cette énorme masse d’eau salée, en dehors d’abriter une faune et une flore abondante, à un rôle tampon vital dans la régulation de la température terrestre : elle se réchauffe ou se refroidit très lentement, contrairement à l’atmosphère dont la température change rapidement entre le jour et la nuit et au fil des saisons. Cela évite par exemple ce qui arrive sur la Lune, à savoir des températures diurnes de 100°C et de -150°C la nuit. Les océans sont donc un formidable amortisseur du climat global.
Si on s’intéresse aux 2,75% d’eau non salée, ils se répartissent de la façon suivante. L’eau glacée des pôles, des icebergs et des glaciers représentent 75% des réserves d’eau douce, la grande majorité du reste étant stockée dans les aquifères souterrains (24,5%). Les 0,57% d’eau douce restant sont présents dans les lacs, les rivières, dans le sol et l’atmosphère. Pour simplifier, il y 60% des eaux liquides de surface dans les lacs, 30% dans le sol, 6% dans l’atmosphère sous forme de vapeur, de pluie, de neige ou de glace et seulement 0,83% dans les fleuves, rivières et ruisseaux. Cette information est d’importance puisque cela signifie que sur les terres émergées, en moyenne, il y a 38 fois plus d’eau dans le sol que dans les rivières et 8 fois plus dans l’atmosphère que dans les rivières ! On verra que cette donnée a une importance fondamentale lorsqu’on abordera la question de la régulation du climat au niveau local, aussi bien en termes de températures que de précipitations.

Si toute l’eau de l’atmosphère se condensait instantanément, elle représenterai une lame d’eau de 25 mm à la surface de la terre. Sur le même schéma, en extrayant toute l’eau du sol on nagerait dans 1,25 m d’eau.

L’eau, le climat et le microclimat

Intéressons nous maintenant au rôle de transporteur d’énergie qu’est l’eau. Une des propriétés intéressantes de cette molécule et de pouvoir facilement passer d’une forme à une autre (glace-liquide-vapeur) selon qu’on lui donne ou qu’on lui retire de l’énergie : si on chauffe un bloc de glace, il fond, se liquéfie, avant de passer sous forme de vapeur ; à l’inverse le passage d’une forme gazeuse à une forme liquide puis solide libère de l’énergie. L’eau a la particularité de demander beaucoup d’énergie pour monter en température, ce qui en fait le véhicule d’une grande quantité de chaleur (un volume d’air saturé en eau contient trois fois plus d’énergie qu’un air sec, ce qui explique qu’un climat humide est plus difficile à supporter qu’un climat sec, qu’il fasse chaud ou froid). Cette capacité à changer de forme rapidement permet de transporter de grandes quantités d’énergie sur de longues distances, horizontalement et verticalement : si la glace est peu mobile, l’eau l’est davantage et la vapeur encore plus. Le réchauffement de l’eau par le soleil la charge d’énergie calorique, puis conduit à son évaporation ; l’énergie stockée dans la vapeur sera restituée lors de la condensation, une pluie par exemple.

Par ailleurs, le passage de l’état liquide à l’état gazeux exige aussi de l’énergie, ce qu’on peut facilement ressentir en sortant d’une piscine lorsque le vent souffle : l’évaporation de l’eau nous « vole » de la chaleur. De la même façon la transpiration est le moyen de rafraîchir le corps humain et nous verrons que la planète Terre utilise également ce moyen pour se refroidir en transpirant grâce à la végétation.
Cette capacité de l’eau à absorber l’énergie solaire permet à l’atmosphère de se refroidir naturellement. Imaginons une journée sans nuage avec un air bien sec : le rayonnement solaire conduit dans un premier temps à l’évaporation de l’eau, se qui rafraîchit l’atmosphère ; dans un deuxième temps, des nuages vont commencer à se former, interceptant une partie du rayonnement solaire et diminuant la quantité d’énergie arrivant directement au sol : l’énergie solaire sera soit dissipée sous forme de chaleur sensible, soit consommée par l’évaporation. Dans un milieu humide, le climat s’autorégule ainsi naturellement : à proximité de la mer (la douceur du climat breton), d’un plan d’eau ou au-dessus d’une végétation transpirant l’eau du sol (une forêt par exemple). À l’inverse, un milieu sec montera en température beaucoup plus vite et se refroidira également très rapidement. En fait, alors que les océans tamponnent le climat à l’échelle de la planète, l’eau atmosphérique tamponne le climat localement et cette régulation dépend essentiellement de l’eau présente dans le sol et de sa capacité à être évaporée.

L’énergie solaire qui arrive au sol est dissipée soit sous forme de chaleur, soit grâce à l’évaporation qui la transportera plus loin et la restituera lors de la condensation (pluie). Un milieu dépourvu d’eau ne peut dissiper la chaleur et monte donc très rapidement en température pendant le jour ; à l’inverse il se refroidit rapidement la nuit en l’absence d’humidité : effet de serre des nuages et condensation de l’eau (rosée, pluie). C’est pourquoi il vaut mieux emporter un bon duvet quand on se promène dans le Sahara.

La pluie ne vient pas de la mer

Bien entendu, l’évaporation de l’eau ne consomme pas seulement de l’énergie solaire mais entraîne la formation de vapeur qui peut se condenser en nuages et retourner au sol sous forme de précipitations et fermer le cycle. On distinguera ainsi un « grand » cycle de l’eau qui caractérise l’échange d’eau entre les océans et le continent ; ilse déroule comme suit : évaporation océanique, formation de nuages et migration sous l’effet des vents, retour au sol sous forme de pluie, stockage en montagne sous forme de neige, retour à l’océan via les rivières, etc. Sa caractéristique principale est d’avoir une dynamique horizontale, c’est-à-dire que l’humidité peut franchir des distances considérables avant de retomber au sol : c’est un cycle d’équilibre global à l’échelle continentale.

Un « petit » cycle de l’eau est également observé, mais à l’échelle locale cette fois ci. Il suit le même schéma évaporation-pluie : l’eau est évaporée par la végétation, forme une humidité locale qui se condense, des nuages, etc. Là où ça devient intéressant, c’est que 50% à 65% de la pluie qui tombe en un lieu provient de l’évaporation locale, le reste étant issu du « grand » cycle de l’eau. Cela signifie que plus l’évaporation locale est intense, plus il pleut localement.

Bien entendu il faut qu’il y ait un équilibre entre les entrées et les sorties pour que les cycles se pérennisent : si on accélère et favorise le drainage et le ruissellement vers l’océan au détriment de l’infiltration et de l’évaporation, on défavorise les « petits » cycles au profit des « grands » cycles. Au niveau local, l’assèchement du sol favorise la montée en température de l’atmosphère, ce qui signifie que l’eau évaporée va monter plus haut et ira plus loin, précipitant l’assèchement de la zone et la transformant en « point chaud », refouloir à nuages. Les villes, les déserts, les territoires agricoles dépourvus de végétation en été, sont des points chauds parfaits. Au lieu d’avoir des petites pluies régulières issues du « petit cycle », on aura de « grosses » précipitations, excessives et irrégulières venant du « grand cycle » dont le phénomène cévenole est une illustration caricaturale.

Il faut faire pousser des végétaux pour qu’il pleuve

Favoriser l’infiltration et l’évaporation, c’est exactement ce que fait la végétation forestière et herbacée. En effet, si la quantité d’eau évaporée augmente avec la température et avec le vent, elle s’accroit aussi avec la surface d’échange : si on veut faire sécher un drap mouillé, il vaut mieux l’étendre dehors sur un fil lors d’une journée ensoleillée et venteuse, plutôt que de le laisser en boule dans la machine à laver. La végétation et les arbres en particulier sont donc des climatiseurs extrêmement efficaces grâce à leurs surfaces d’échanges racinaires et foliaires qui extrait l’eau du sol et la transpire par les feuilles. À titre d’exemple, un châtaignier de 12 m de hauteur a une surface externe de 340 m² mais une surface d’échange foliaire de 10 ha et une surface d’échange racinaire de 44 ha ! On estime qu’un arbre avec un feuillage de 10 m de diamètre évapore 400 litres d’eau par jour et équivaut en matière de refroidissement à 10 climatiseurs domestiques. Au niveau des cultures, on estime qu’une prairie est deux fois moins efficace qu’un arbre à surface couverte égale mais quand même aussi efficace qu’un plan d’eau. Un arbre âgé de plus de 10 ans est capable d’évaporer environ 8 mm/jour d’eau, une culture de blé de 1 à 3 mm/jour et un maïs ou un couvert en été entre 4 et 6 mm.

« il est aujourd’hui difficile de croire que, 300 ans avant Jésus-Christ, de grandes parties du Moyen-Orient étaient couvertes de grandes forêts de cèdres. Elles ont été dévastées à tel point que l’empereur Hadrien a dû ordonner l’interdiction de les abattre au 2éme siècle avant JC. » (tiré de Water for the Recovery of the Climate - A New Water Paradigm, op. cit.)

Nous asséchons les sols

Si le contrôle du climat passe par la gestion locale de l’eau, notre civilisation est en train de se tirer une balle dans le pied en accélérant le drainage et en réduisant l’évaporation. Le processus engendre des « points chauds » et la connexion des points chauds entre eux ont un impact sur le climat local, puis global :
- Facteurs accélérant le drainage et le ruissellement de l’eau : imperméabilisation des surfaces en zone urbaine et le long des réseaux de communication, canalisation des cours d’eau, drainage et fossés, arrachage des arbres et des haies en zone rurale. D’un point de vue agricole, la stratification des sols et leur compaction, l’imperméabilisation des fonds de cours d’eau par les sédiments arrachés par érosion ;
- Facteurs réduisant l’évapotranspiration : encore une fois l’imperméabilisation des surfaces, la déforestation des zones cultivées, l’absence de végétation active en interculture dans les zones cultivées (plus d’évaporation effective à partir de juin pour les céréales, d’août pour les cultures de printemps).

Et l’agriculture de conservation dans tout ça ?

Selon les auteurs de la synthèse, la solution à la crise climatique passe non pas par une solution globale mais par la multiplication des initiatives locales pour lutter contre les points chauds en multipliant les « points d’eau » : forêt, ville verte, réserves d’eau, ralentissement des flux d’eau, etc. De ce point de vue, les techniques de l’agriculture de conservation sont encore une fois pertinentes et très cohérentes. D’une part, en maintenant une organisation verticale des sols, elles facilitent les mouvements verticaux de l’eau, aussi bien en hiver (infiltration et stockage) qu’en été (remontées capillaires et racinaires). Par ailleurs, le maintien d’une couverture continue voire permanente permet de tamponner physiquement la température du sol par ombrage et en jouant sur l’albedo (réflexion du rayonnement lumineux vers le haut). Par ailleurs, si on adopte la théorie du climatiseur végétal, le facteur prépondérant est bien l’augmentation de la végétation active, grâce notamment aux couverts végétaux, qu’il soit installés en interculture, en plante compagne voire en cultures associées.

Conclusion : la démocratie, le carbone et l’eau

Cette théorie de la transpiration terrestre si elle ne remet pas en cause la théorie du carbone aujourd’hui universellement admise permet de se remettre en question et de voir que les causes du réchauffement climatique sont peut être plus complexes qu’ont ne veut bien l’admettre. Deuxièmement, avec une approche « carbone », les solutions ne concernent que les États et les Grandes Entreprises, si bien que l’individu est totalement dépassé et impuissant et ne rentre plus que comme paramètre dans l’équation. Au contraire, le remède à la théorie de la « transpiration » est bien du ressort de l’individu à l’échelle locale. À ce titre l’agriculteur, en raison des surfaces considérables sur lequel il agit (40% du territoire des pays occidentaux) est une force d’action majeure dans laquelle l’agriculture de conservation et l’agroforesterie sont déterminantes. Si cette hypothèse est retenue et mise en avant, plus besoin de batailles d’experts pour connaître les dynamiques de stockage / déstockage de la matière organique : ce qui est important est la quantité de biomasse produite à l’hectare et sa permanence sur l’année (ce qui est d’ailleurs vrai pour la problématique carbone où la dynamique est plus importante que le stockage, mais ceci est un autre sujet…).

Pour finir, si on veut aller un petit peu plus loin que l’agriculture et l’agronomie, il est sans doute préférable pour les États et les « Major Companies » de se rallier à une solution « démocratique » globale basée sur des quantités abstraites de carbone plutôt que sur des initiatives locales, citoyennes et entrepreneuriales, imaginatives et ancrées dans le réel, qui vont répondre localement à leur problématique quel que soit la tendance globale. Peut-être qu’on citera demain un Galilée d’aujourd’hui qui aura dit : « et pourtant elle transpire ».


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