LE GLYPHOSATE FAIT ENCORE LA UNE !

Frédéric Thomas - TCS n°82 ; mars/avril/mai 2015

Les récentes publications de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sur les présumés risques cancérogènes du glyphosate ont fait la une et déclenché beaucoup d’agitation. En fait, c’est le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), organisme indépendant, qui a annoncé le 20 mars dernier avoir classé trois pesticides dans la catégorie 2A : c’est-à-dire « cancérogènes probables » (dernier échelon avant la qualification de « cancérogène certain »). Parmi les trois molécules réévaluées par le CIRC se trouvent deux insecticides, le diazinon et le malathion, dont l’utilisation est restreinte en Europe, et le glyphosate. Dans la conclusion du rapport, le CIRC affirme que l’examen de l’ensemble de la littérature scientifique ne permet pas de conclure avec une totale certitude à la cancérogénicité du glyphosate mais permet d’identifier des risques.

Ce type d’annonce repris en chaîne par les médias, qui s’engouffrent comme toujours dans le sensationnel, titrant facilement « le Roundup classé cancérigène » a été vite repris et activement relayée par de nombreuses associations et ONG injectant souvent leur propre lecture réductrice et militante. Avec le glyphosate, même si c’est la molécule la plus utilisée en France et dans le monde, ce n’est pas une simple substance chimique dont l’innocuité est mise en cause, mais la pierre angulaire de la stratégie du secteur des biotechnologies : un véritable symbole !

L’objectif n’est pas de nier les risques ni de défendre Monsanto. Il est cependant important d’éviter les amalgames rapides et trop faciles : glyphosate = OGM = agriculture intensive = destruction de l’environnement = qualité des aliments. Son efficacité et son prix font de cet herbicide total et non sélectif le produit le plus utilisé par tous et pas seulement par les agriculteurs et a fortiori les TCSistes et SDistes. Il faut reconnaître que c’est, en partie, cette possibilité de gérer autrement la végétation qui nous a permis de nous aventurer dans le non-labour. Aujourd’hui, avec plus de vingt ans de recul et d’évolution des pratiques, nous avons réussi, sans vraiment nous en affranchir totalement, à en réduire considérablement l’emploi.

Néanmoins, le glyphosate reste une aide et surtout un super filet de sécurité même si son utilisation peut comporter quelques risques. Dans ce débat, il est également important de comprendre et d’intégrer que toute forme d’agriculture exerce des pressions négatives sur l’environnement d’une manière ou d’une autre. À ce titre, nous pouvons considérer trois grands types d’impacts.

Des impacts physiques : le retrait de la couverture protectrice, le travail mécanique intensif et la circulation répétée d’engins lourds bouleversent inévitablement cet écosystème fragile qu’est le sol. Ces perturbations, d’ordre plutôt mécanique, réduisent le potentiel et l’organisation de la vie qu’il abrite, influençant les flux de fertilité et modifiant de manière importante la gestion de l’eau (ruissellement, lessivage, érosion). Pour donner une image de ce niveau de risque, il n’y a qu’à considérer le bassin de la Méditerranée. Les agriculteurs et plusieurs grandes civilisations successives, sans mécanisation, ni engrais, ni chimie, ont réussi à éroder les sols, auparavant très fertiles, à un niveau tel qu’ils sont difficilement productifs, voire quasi désertiques aujourd’hui. Leur impact a été si important qu’ils ont même réussi à modifier, selon les experts, partiellement le climat de cette région. Aujourd’hui, rien n’a changé, les mêmes pratiques et les mêmes approches conduisent aux mêmes résultats : cependant, les moyens à notre disposition peuvent permettre d’aller malheureusement beaucoup plus vite. Il convient donc de redoubler d’attention et de prudence à ce niveau.

Des impacts chimiques  : ce sont les mieux perçus et souvent les seuls mis en avant. C’est indéniable que tout engrais naturel (roche) ou de synthèse et tout désherbant, fongicide, insecticide ou autre, va perturber les réseaux trophiques du sol mais aussi la vie à la surface. Leurs effets sont en revanche très divers avec des niveaux d’impacts directs et/ou plus sournois, différents et mal connus. Le glyphosate, sans être neutre, est un chélatant qui tend à immobiliser les ions positifs. Il perturbe ainsi la nutrition des plantes qui perdent leurs défenses immunitaires et finissent par cesser de fonctionner. Cependant et après quarante ans d’utilisation et le statut de produit chimique le plus observé et analysé dans le monde, le glyphosate ne semble pas, au vu des connaissances que nous possédons aujourd’hui, la molécule la plus dangereuse, c’est plutôt la quantité, la répétition et les modes d’utilisation qui peuvent poser plus de questions. Les niveaux d’activité et de diversité biologique retrouvés dans les sols menés en AC en témoignent. Ces raisons ne formulent pas une excuse et il est nécessaire, comme nous avons déjà appris à le faire, de continuer à réduire, autant que faire se peut, le recours à la chimie dans son ensemble et non à une molécule isolée, dans l’intérêt du sol, de la biodiversité fonctionnelle mais aussi des applicateurs et des consommateurs au final.

Des impacts biologiques : ce sont les impacts les plus ignorés de tous. Il faut cependant être conscient que toute plante non indigène, toute culture ou même association de cultures, influence et réduit plus ou moins fortement la diversité biologique du sol et de la parcelle. Pire encore, un sol laissé nu et sans plante vivante est un sol qui souffre, et une frange d’activité biologique qui meurt, faute d’être alimentée par les exsudats racinaires et la rhizodéposition de la végétation (source d’énergie via la photosynthèse). À ce titre, nos approches de couverts Biomax détruits au semis, voire après le semis, dans certains cas, compensent certainement l’utilisation ciblée de la chimie. En fait, en agriculture comme pour le reste de l’économie d’ailleurs, l’affaire n’est pas si simple : il s’agit plus d’un compromis habile où le dosage et la cohérence d’ensemble sont plus importants que les parties prises séparément. Retirer un élément (la chimie) ou une pratique jugée négative (le travail du sol) ne permet pas forcément de faire mieux, c’est seulement le système qui utilisera le moins de tout en s’appuyant au maximum sur les fonctionnalités de la nature, qui sera le plus pertinent. Cette complexité nous éloigne de fait d’un idéal mais nous ouvre vers une multitude de systèmes composant avec les conditions pédoclimatiques particulières, avec des surfaces d’exploitations variées, avec les différences de sensibilités individuelles mais également avec les opportunités de chacun. Une diversité, comme celle que nous développons dans les champs, qui devrait être un gage de résilience, d’adaptation mais aussi d’innovations vers des pratiques encore plus vertueuses.

Le carburant de cette nouvelle dimension est avant tout le respect, l’envie, le bon sens et surtout des échanges constructifs. L’agriculture est beaucoup plus facile dans un bureau loin d’un champ avec comme seuls outils un crayon et un tableau Excel. Dénoncer, même dramatiser est utile pour alerter, faire réagir, mais il faudrait que l’on arrive à sortir de cet embrouillamini d’anti-tout. Il est important d’informer mais il est nécessaire de retirer la passion des débats et de considérer la dynamique en place, ce qu’elle a produit et peut encore produire. Plutôt que de dépeindre un monde illusoire « sans », utilisons toutes ces ressources, toute cette science et travaillons ensemble pour tous avancer vers une agriculture et un monde « avec moins, voire beaucoup moins » d’impacts négatifs en globalité. Œuvrer pour une diminution de l’utilisation du glyphosate, c’est garantir sa pleine efficacité dans le temps, limiter les impacts négatifs sur le sol et l’activité biologique avec à la clé des pénalités potentielles de rendement. C’est aussi réduire, voire supprimer la présence de cette molécule et de ses métabolites dans les eaux pour des raisons environnementales et sanitaires. C’est enfin le seul moyen de conserver l’accès à cet outil très performant qui reste un formidable filet de sécurité pour continuer de s’aventurer et progresser dans la simplification du travail du sol et l’agriculture de conservation.

Ce qui est vrai aujourd’hui pour le glyphosate, et malgré tout assez souvent pour l’agriculture, n’est qu’un exemple parmi tant d’autres dans ce monde où l’obscurantisme et la désinformation font recettes. L’information est nécessaire et sans nier les risques, il faut absolument sortir des débats bipolaires et passionnels et élever les échanges et la compréhension. En agriculture comme dans de nombreux secteurs, aucune action n’est totalement neutre et sans risque. Toute orientation est donc un arbitrage entre des choix de risques et une histoire de sensibilité, de compromis et de hiérarchisation.

Pour plus d’information sur le glyphosate, reportez-vous au TCS n°68 : Apprendre à limiter l’utilisation du glyphosate : un enjeu majeur à relever par les réseaux AC.


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