2015, L’ANNÉE INTERNATIONALE DES SOLS

Frédéric Thomas, TCS n°81 ; janvier/février 2015

C’est une très bonne nouvelle de voir les sols et globalement leur protection mise en avant par les Nations Unies. À ce titre, 2015 risque d’être une année charnière riche en grands rendez-vous. Le ministère de l’Agriculture vient de décréter l’an 1 de la généralisation de l’agroécologie avec comme objectif plus de la moitié des exploitations engagées dans l’AEI d’ici 2025. Enfin, le colloque international sur le climat de Paris viendra conclure le dossier en décembre. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette mobilisation nécessaire, de cette prise de conscience plus générale même si c’est toujours tardif face aux enjeux.

Cependant, il ne faudrait pas que ces événements aboutissent, comme trop souvent, à de grands discours d’attentions sans réels engagements. Les sols, cette fine couche qui recouvre les terres émergées, méritent une attention toute particulière. Bien moins médiatisés que la forêt amazonienne ou le fond des océans, ils sont cependant largement maltraités, voire menacés alors qu’ils sont au quotidien sous nos yeux. Enfin, les sols sont une ressource stratégique quasiment non renouvelable en lien avec l’ensemble des grands enjeux d’aujourd’hui.

Les sols, c’est en premier lieu le support de la production alimentaire. Bien qu’aujourd’hui, l’hydroponie et les fermes en ville soient mises en avant, laissant penser que l’on puisse faire de l’agriculture « hors sol », la production de biomasse via la photosynthèse dans les champs et à l’air libre est et restera le mode de production le plus efficace. Au-delà des aspects purement quantitatifs, la qualité des aliments est également très liée à la qualité des sols sur lesquels ils poussent. Aujourd’hui, il est certain que la santé des sols et la santé des hommes sont étroitement connectées. D’ailleurs, le mot latin humus, comme le mot homo « homme », ont la même racine qui signifie « terre ».

Les sols sont en complément le support d’une production d’énergie renouvelable, de biomatériaux et de chimie verte. À l’avenir avec le verdissement de la consommation associée à une demande croissante, ils seront de plus en plus mis à contribution. Il est donc plus que stratégique de conserver, entretenir voire développer leurs capacités de production afin d’assurer cette transition, sans exercer trop de concurrence sur leur vocation première : l’alimentation.

Les sols sont aussi les garants des flux et de la qualité de l’eau. Accueillir, infiltrer, retenir et filtrer l’eau correctement n’est possible qu’avec des sols couverts et organisés qui possèdent toutes leurs fonctionnalités. Seuls des sols performants réduiront à la fois l’ampleur des inondations tout comme l’impact d’une période de sécheresse. Des sols fonctionnels limitent non seulement le ruissellement et l’érosion mais gèrent beaucoup mieux l’azote (nitrates), retiennent et dégradent la majorité des autres « polluants ». La reconquête de la qualité des eaux de surfaces comme des nappes, avant la limitation des applications, ne passera que par la conservation et le développement de la qualité des sols.

Les sols possèdent également un rôle central en matière de biodiversité. Ils abritent, au-delà de nos célèbres vers de terre, toute une activité biologique très diverse. À ce titre, beaucoup de chercheurs s’accordent à l’idée que nous sommes même encore très loin d’en connaître la majorité. Les sols sont en fait de véritables milieux vivants ou écosystèmes à part entière. Cette activité biologique associée aux végétaux, qui sont les pourvoyeurs d’énergie du système, est le socle d’une grande partie de la diversité biologique terrestre.

Les sols sont enfin l’une des cartes maîtresse pour limiter le réchauffement climatique. C’est en premier lieu un « puits » de carbone conséquent via la séquestration de CO2 atmosphérique dans la végétation mais aussi et surtout dans les matières organiques. Ils sont aussi de formidables climatiseurs par le stockage puis la transpiration d’un maximum de flux d’eau via la végétation qui normalement devrait les recouvrir. Au regard de la place centrale qu’occupent les sols face aux enjeux majeurs que nous rencontrons, il est donc urgent mais aussi très stratégique de mettre en avant leur préservation. Cependant, il ne faudrait pas que cet intérêt soudain fasse oublier les efforts entrepris par les réseaux AC pour non seulement préserver les sols mais aussi et surtout les régénérer. Cette bonne connaissance du dossier nous autorise donc à faire quelques propositions simples qui pourraient être très efficaces pour accélérer la prise de conscience mais aussi faire évoluer rapidement les pratiques et donc les résultats :

Puisque l’agriculteur, même propriétaire, est garant d’une terre qui est aussi un bien et une ressource collective, il serait judicieux d’établir une forme d’état des lieux lors de la prise en main d’une parcelle (état de la biologie, le dénombrement des vers de terre, le niveau des MO, la présence de haies, d’arbres ou de bandes enherbées...) comme c’est le cas pour une maison ou un appartement. Même si ces mesures sont compliquées, subjectives et certainement difficilement fiables, cette évaluation à l’entrée avec vérification à la sortie pourrait faire évoluer positivement la responsabilisation de chacun.

Au niveau du second pilier de la PAC, une aide simple pourrait encourager le non-travail du sol et surtout le temps de couverture au cours de l’année par une végétation vivante et verte : c’est vraiment du verdissement qu’il s’agit ici ! Alors que l’on exige un minimum de cultures, inversement, une prime pourrait récompenser la diversité des plantes (cultures, prairies et couverts) présents sur une exploitation.

Comme le travail intensif du sol (milieu vivant) est reconnu comme une agression majeure, pourquoi continue-t-on à financer une multitude de recherches comparant les TCS et le SD aux techniques « conventionnelles » ? Sans interdire le travail du sol, il serait plus judicieux d’allouer ces fonds à des recherches œuvrant à développer de nouvelles connaissances et des pratiques sécurisant la production sans travail du sol afin de pouvoir séduire et sécuriser une beaucoup plus grande majorité d’agriculteurs.

La mise au point et la diffusion à plus grande échelle de démonstrations simples, comme le test de sédimentation que nous avons montré à plusieurs reprises dans la revue ou le test de ruissellement développé par le NRCS (National Resource Conservation Service) aux USA, pourraient accélérer la prise de conscience de l’ensemble des acteurs. En parallèle, ces mêmes mesures pourraient aussi permettre d’établir assez facilement le niveau de qualité de sol atteint. Même si ces évaluations sont imprécises, elles sont tellement visuelles qu’elles sont irréfutables.

Enfin, il semblerait judicieux de transférer quelques postes « réglementation », notamment dans les chambres d’agriculture, en préservation et qualité des sols. la réduction de l’impact environnemental serait certainement plus rapidement atteinte avec cette entrée positive et une approche constructive avec les producteurs. Nous n’avons pas la prétention d’apporter ici un inventaire exhaustif de toutes les mesures potentielles. Cependant, au regard de nos connaissances mais aussi de notre expérience, nous pouvons attester qu’il est possible de produire tout en préservant les sols voire en les régénérant et même d’en profiter pour réduire les coûts de production et donc d’autres impacts environnementaux.

Cette question des sols est également la démonstration que beaucoup de choses sont possibles et peuvent changer à condition que nous en prenions communément les moyens. Nous ne pouvons donc que soutenir ces élans d’intérêt en espérant qu’ils ne se solderont pas par des effets d’annonce et de grands discours d’attention.


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