L’évaluation visuelle des sols par Graham Shepherd : " la compaction est votre pire ennemi "

Cécile Waligora - TCS n°80 ; novembre/décembre 2014

Pire ennemi pour la vie biologique des sols… C’est ainsi que le conçoit Graham Shepherd, pédologue néo-zélandais. Si le sol peut effectivement être caractérisé par trois composantes, physique, chimique et biologique, l’agronome donne une importance primordiale à la biologie des sols. Sans une vie biologique active et efficace, un sol n’est qu’un support inerte. Le Néo-zélandais a conçu une méthode visuelle rapide et simple, permettant à tout un chacun d’évaluer la qualité de son sol et des cultures. plusieurs sessions de formation ont eu lieu en France cet automne, en partenariat avec la société pâtureSens.

Tout est parti d’un constat, il y a un peu plus de dix ans : « Je voyais beaucoup de recherches se faire sur les sols mais aucune publication n’arrivait à portée des agriculteurs, pourtant les premiers concernés », déclare Graham Shepherd. Directeur du département des sciences des sols en Nouvelle-Zélande depuis plus de vingt ans, le pédologue décide de remédier à cette énorme lacune. Il met au point une méthode simple d’évaluation visuelle de la qualité des sols, la VSA pour Visual Soil Assessment (EVS en français) et créée sa propre société de conseil, BioAgriNomics, en 2004. Il part aussi d’un autre constat : l’augmentation générale des dettes agricoles, liée, selon lui, à l’évolution dans le mauvais sens des pratiques culturales avec un manque notoire d’efficience des intrants, et notamment des fertilisants : « Les apports sont, dans la grande majorité des cas, trop conséquents par rapport aux besoins réels des plantes. Même constat pour les phytosanitaires. C’est coûteux et il y a des conséquences trop importantes pour l’environnement et la biodiversité », indique-t-il.

Le sol, miroir du système d’exploitation

Le sol et ce qu’il peut produire est le miroir du système d’exloitation. C’est pourquoi l’ancien directeur de recherche a voulu mettre au point une méthode basée sur l’observation du sol et des cultures, permettant de mettre rapidement le doigt sur les problèmes (ou pas). Cette méthode requiert peu de matériel : une bonne bêche, une bassine, un couteau et un bout de bâche de 75 x 50 cm environ. Vous devez aussi avoir sous la main la fiche d’évaluation créée par BioAgrinomics et diffusée par PâtureSens, ainsi que le guide de terrain, support de la méthode. Plusieurs indicateurs sont ainsi à évaluer selon un score visuel allant de 0 pour mauvais à 2 pour bon, en passant par 1 pour moyen. À chaque indicateur est ensuite attribué un coefficient multiplicateur en fonction de l’importance qui lui est donnée. L’indice global de la qualité du sol est la somme de ces différents indicateurs.

Inférieur à 20, votre sol est de qualité médiocre et supérieur à 35, il est de bonne qualité. Dans votre parcelle, choisissez une zone d’échantillonnage que vous repérerez pour la suite (par exemple au GPS). La météo a aussi son mot à dire : mieux vaut, pour ce diagnostic, que le sol ne soit pas détrempé ou trop sec (voir encadré : le test du ver). Il y a deux périodes idéales : le printemps et l’automne, moments où la vie biologique est la plus active. À l’aide de la bêche, prélevez un échantillon de sol de 20 cm de côté et d’une trentaine de centimètres de profondeur.

Observez la nature de la surface et à l’aide du couteau, dégager les différents horizons. Notez, à l’aide de petites boules d’échantillons, la texture de votre sol (la méthode EVS rappelle pour cela, la grille de notation de cette texture). L’odeur et la couleur sont importantes. Pour l’odeur, par exemple, il faut casser une motte ou un agrégat et le sentir immédiatement car les gaz s’échappent très vite. Une odeur d’œuf pourri ou d’acidité n’est pas très bon signe, a contrario d’une odeur de forêt, signe d’une activité biologique riche. Examinez ensuite la porosité de votre échantillon en y cherchant les trous, les pores et autres espaces et fissures présents entre et au sein des agrégats et mottes. Cette observation est complémentaire de celle de la structure car une bonne structure de sol présente une importante porosité avec une bonne circulation de l’air et de l’eau. Ensuite, vous pouvez procéder au test d’éclatement par chute. C’est ce qui va vous permettre de noter votre structure. Pour cela, il suffit de laisser tomber votre échantillon sur votre morceau de bâche, entre une et trois fois en fonction de la nature de votre sol. En tombant, l’échantillon se brise au contact du support. Il faut ensuite l’étaler et classer manuellement les agrégats obtenus selon leur taille.

N’oubliez pas le sol référent

L’EVS conseille de faire quatre tests par zone de 5 ha. Il est aussi intéressant, pour comparer, de prélever un échantillon de référence que vous récolterez dans une zone proche non perturbée comme le bord de champ, la bande enherbée voisine ou près d’une clôture. Et puis, faites des photos ! Le comptage des vers de terre dans l’échantillon prélevé fait aussi partie intégrante de la méthode. Il faut compter à la main les vers et les identifier. G. Shepherd en profite pour attirer notre attention sur la présence de vers de terre dont l’extrémité est jaune. Pour lui, cela peut révéler la présence d’éléments toxiques ou encore un pH trop faible. Le pédologue donne une idée d’un très bon score de lombrics, score à relativiser cependant sous nos contrées (voir encadré) : « 45 vers de terre (en pleine forme) dans votre échantillon de 20 cm par 20 cm, c’est 4 tonnes à l’hectare, soit entre 43 et 50 kg/ha d’azote disponibles lors de leur disparition. » Sans oublier, bien sûr, l’observation, en surface du sol, de la présence de turricules ou de cabanes faite à partir des résidus végétaux, synonymes d’une bonne activité lombricienne.

L’observation de la profondeur d’enracinement potentielle est également une donnée intéressante quand on évalue la qualité de son sol. Il faut, pour cela, creuser un trou suffisant. La présence de couches plus dures, de racines coudées, horizontales ou encore épaissies sont autant d’indices qu’il faut prendre en compte. Il faut aussiobserver les galeries de vers de terre et autres fissures dans lesquelles les racines peuvent se faufiler. D’après l’EVS, une profondeur potentielle d’enracinement supérieure à 80 cm est un très bon score. Inférieure à 20 cm, il y a du souci à se faire…

Enfin, d’autres indices sont également à prendre en compte comme la présence, en surface de la parcelle, de zones d’accumulation d’eau, de signes d’érosion ou encore la présence d’une croûte de battance. Le test prend par ailleurs en considération le niveau de couverture du sol au moment de l’évaluation.

Du sol à la performance des plantes

Dans sa méthode, G. Shepherd ne s’est pas contenté d’évaluer le sol. Il complète son approche par le même type d’analyse sur la culture en place. Pour information, la méthode a été, pour le moment, adaptée à la prairie, au maïs mais aussi aux céréales. Cependant, pour ces dernières, la méthode était, à l’heure où ces lignes sont écrites, en cours de traduction…

Les indicateurs visuels des plantes sont tout aussi variés que pour le sol : évaluation de la levée (uniformité, rapidité), taille des plantes à maturité, couleur des feuilles, développement des racines, présence de maladies ou de ravageurs mais aussi niveau de salissement de la parcelle. Le rendement et les coûts de production complètent l’analyse de la culture. Au final, quand les deux analyses sont faites, vous obtenez deux chiffres : une note de qualité du sol et une note de performance de la culture. Le mieux est que les deux notes soient les plus proches possibles : un sol qui fonctionne bien doit normalement permettre aux plantes de bien produire. « Si, par exemple, la note du sol est bien meilleure que celle de la culture, cela signifie que l’agriculteur n’optimise pas assez son sol et ses potentialités ! », conclut le pédologue. Cette présentation de la méthode mise au point par G. Shepherd peut sembler un peu rébarbative, surtout quand on n’a pas le guide sous les yeux, illustré de photos comparatives pour chaque élément évalué. Néanmoins, nous avons choisi de la présenter car, même si vous ne possédez pas ce fameux guide et donc de quoi aboutir à cette notation, vous pouvez observer et interpréter, sans aide, un certain nombre de critères faciles – ce qui vous donnera toujours une bonne idée de la qualité de votre sol, de vos cultures et de l’évolution de vos parcelles.

La méthode de G. Shepherd présente aussi l’avantage de mettre un doigt sur l’importance de la vie biologique des sols. Comme il le dit, la vie biologique d’un sol est son moteur ! Elle a donc un rôle clé dans sa qualité et sa fertilité. Enfin, cette méthode est applicable à n’importe quel sol, région ou pratiques culturales. Et elle est toujours plus commode à interpréter que les analyses de sol habituelles ! Ce qui nous rassure, c’est que les parcelles avec un peu de recul en AC et analysées durant le séjour français de G. Shepherd, présentaient des notes de qualité des sols et performances de cultures tout à fait positives et encourageantes. Nous en donnons un exemple en encadré.


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