Le green tillage : une technique innovant pour l’implantation du maïs pop-corn dans le sud-ouest

Guillaume Bodovillé - TCS n°79 ; septembre/octobre 2014

on connaît le strip-till végétal avec une légumineuse couvrant le futur rang de maïs et, dans l’interrang, un mélange de couverts. Le Green tillage est encore différent. Là, aucun couvert n’est semé sur le futur rang mais celui-ci est structuré mécaniquement. Une technique dérivée du travail en bande mais complétée par le semis simultané d’un couvert dans l’interrang. Une stratégie pleinement validée sur une culture exigeante, le maïs pop-corn.

En 1989, à sa sortie de l’école d’agronomie, âgé de vingt-quatre ans et fraîchement marié à une Améri- caine, Michaël Ehmann n’a qu’une envie, celle de cultiver la terre. Son père, agriculteur du Baden-Württenberg, dans le sud-ouest de l’Allemagne, lui propose alors de s’installer sur l’exploitation qu’il a acquise en 1981 à Bézéril, dans le Gers, en réinvestissant l’indemnisation reçue en dédommagement de l’expropriation d’une partie de ses terres du fait de l’agrandissement de l’aéroport de Stuttgart. En 1991, au retour d’un de ses voyages aux États-Unis, Michaël implante ses premiers es- sais de culture de maïs pop-corn. Les conditions pédoclimatiques se révèlent bien adaptées à cette nouvelle culture si bien qu’en 1994, il crée la société Pop-Corn Midi-Pyrénées. Jusque-là, le pop-corn consommé en Europe venait d’outre-Atlantique.

Au départ, Michaël se limite à la culture du maïs à éclater, sa collecte, son conditionnement et sa commercialisation auprès des distributeurs et des industriels. En 1997, il investit dans une première ligne de conditionnement pour produire du pop-corn « micro-ondable », une technique découverte aux États-Unis. Aujourd’hui, la société Pop-Corn Midi-Pyrénées, rebaptisée Nataïs en 2005, emploie 135 personnes et elle est devenue le leader européen dans la production de maïs pop-corn : 220 agriculteurs, dont 20 en bio, produisent 30 000 tonnes de maïs à éclater sur 4 500 ha situés dans un rayon de 150 km autour de l’usine de Bézéril. L’une des originalités de la démarche de Nataïs est la mise en place d’une stratégie de développement durable commune avec ses producteurs. Les objectifs sont d’optimiser l’irrigation de la culture et réduire la consommation en eau, de mettre en place une lutte biologique contre la pyrale du maïs (emploi de trichogrammes) mais aussi de lutter contre l’érosion et d’améliorer la fertilité des sols en implantant des couverts en interculture et en limitant le travail du sol.

Le maïs pop-corn est plus exigeant que le conso

L’exploitation de Michaël couvre 245 ha, pratiquement d’un seul tenant et entièrement en coteaux, avec de fortes pentes (jusqu’à 10 %). Les sols sont argilo-limoneux (25 à 30 % d’argile). Le maïs pop-corn alterne avec le blé tendre d’hiver et l’assolement comprend en outre quelques hectares de féveroles (pour les semences de couverts) et d’orge d’hiver (pour respecter les exigences de la Pac). Si tous les champs sont irrigables grâce à un lac de 10 ha (environ 300 à 350 000 m 3 ) recueillant les eaux de pluie du bassin-versant, seul le maïs pop-corn est irrigué. Pour ce qui est des semences, Michaël travaille avec une entreprise du Nebraska spécialisée dans la sélection variétale de maïs pop-corn non-OGM. Il teste chaque année de nouveaux hybrides en micro-parcelles, avant d’en développer la culture. Le maïs pop-corn ayant un développement végétatif plus faible que le maïs conso, il est semé de préférence avec un écartement de 60 cm, pour laisser l’interrang dans l’ombre et limiter les levées d’adventices. En revanche, la densité de semis est similaire : 85 000 gr/ha. Depuis 2007, le rendement moyen de l’exploitation en maïs à éclater est de 65 q/ha, ce qui équivaudrait à un rendement de l’ordre de 120 à 130 q/ha en maïs conso. Pour garantir sa bonne capacité d’éclatement, le maïs pop-corn (d’indice 500) doit atteindre sur pied au moins 21 % d’humidité. La récolte commence souvent dès la fin septembre et, neuf années sur dix, elle est terminée avant le 20 octobre. La récolte est donc réalisée habituellement en bonnes conditions, sans tasser le sol.

Dès qu’il reprend l’exploitation, Michael, sensibilisé aux problèmes d’érosion et au respect du sol, décide de faire de la mise en place des techniques culturales ssimplifiées une priorité. Ainsi, l’un des premiers équipements de l’exploitation est un Horsch Sème-Exact de 4 m, qui assure le semis des blés après maïs. Bien que gourmand en puissance, ce semoir donne entière satisfaction : « Depuis 25 ans, nous avons pu semer notre blé tous les ans et, avec un rendement moyen de 76 q/ ha depuis 2007, nous sommes dans le peloton de tête du CETA. »

Pour le maïs pop-corn, la simplification du travail du sol a été plus difficile, les premiers essais d’implantation du maïs sans labour se soldant par des pertes de rendement. Jusqu’en 2011, la plupart des terres à maïs sont encore travaillées intensivement : un labour dressé, sans les rasettes, au mois d’août (afin d’éviter autant que possible la formation d’une semelle) puis une reprise au printemps à la herse rotative avant le semis du maïs. Cependant, de sérieux problèmes d’érosion ne laissent pas Michaël indifférent.

C’est ainsi qu’en 2005, la société Horsch construit à la demande de Michaël un prototype de strip-till sur un bâti de chisel, équipé de dents TerraGrip avec ailettes et d’une caisse de semoir. L’idée est de préparer les futures lignes de semis et d’implanter simultanément des couverts d’interculture. Testé sur une trentaine d’hectares chaque année jusqu’en 2011, ce prototype ne satisfait totalement ni Michaël, ni son chef de culture Christophe Morelière qui est un adepte du non-labour depuis déjà quinze ans. Si l’érosion est déjà réduite, cette technique ne permet pas encore d’implanter de manière sûre le couvert et le maïs. Après le passage du strip-till en fin d’été, le semoir monograine restait notamment gêné au printemps par les grosses quantités de paille du blé encore présentes sur la ligne de semis.

L’astuce : couvrir seulement les interrangs

C’est aussi à cette époque que Michaël et Christophe testent différents couverts. Après avoir écarté l’avoine en plein qui forme un paillage conservant la surface du sol trop humide au printemps, de la féverole est implantée sur le futur rang du maïs. Cependant, ses tiges, encore trop fermes, gênent le semoir qui referme mal le sillon. Pour contourner cette difficulté, ils décident de semer uniquement le couvert dans l’interrang afin de ne pas encombrer la future ligne de semis et de limiter les attaques de limaces sur le maïs. Aujourd’hui, le couvert de l’exploitation est composé de féverole d’hiver (Castel à 90 kg/ha ou Organdi à 100 kg/ha), une plante que les agriculteurs apprécient pour sa grosse tige, sa capacité à produire de la biomasse et sa résistance au gel. Cette légumineuse tend d’ailleurs à se généraliser en couvert avant maïs dans le Sud-Ouest (reportez-vous par exemple au TCS n°62 page 31). Elle est associée à une autre plante à port dressé, la phacélie (2 à 3 kg/ha). Le développement du concept de « travail en bande » et de semis sur buttes par Horsch en République tchèque va alors compléter l’orientation. Ce principe repose sur le travail des futures lignes de semis au moyen d’une première rangée de dents, tandis qu’une deuxième rangée de dents projette de la terre du futur interrang pour former un petit billon dans lequel le maïs sera semé. Comme en travail conventionnel, le gel de l’hiver finit de structurer le billon, qui se ressuiera et se réchauffera plus vite au printemps, créant un lit de semence favorable.

Michaël et Christophe sollicitent alors le constructeur allemand pour développer un outil similaire adapté à des rangs espacés de 60 cm et permettant de semer simultanément un couvert dans l’interrang. Ce « Horsch Evo » est un outil porté repliable, composé de deux rangées de dents non-stop à ressort et d’un rouleau à lames. Des roues de jauge permettent le réglage de la profondeur de travail, ici 20 cm pour les huit dents avant équipées de socs étroits qui préparent les futures lignes de semis du maïs, et 8 cm pour les neuf dents arrières aux étançons plus courts travaillant les interrangs. Ces dernières portent des socs normaux et des ailettes pour jeter la terre latéralement et former une petite butte sur le futur rang du maïs. Les féveroles, stockées dans une trémie à l’avant du tracteur, sont placées derrière la seconde rangée de dents. Leur implantation est sécurisée par le positionnement sur un fond de travail ferme où le sol est encore frais. La phacélie est, quant à elle, stockée dans la petite caisse de semis de l’outil et distribuée à la volée par des éclateurs placés juste avant le rouleur RollFlex. Sa levée étant encore trop aléatoire à cause du mauvais rappui du rouleau, Michaël et Christophe viennent de déplacer les descentes sur les dents arrières afin que les graines tombent davantage dans le flux de terre (il n’y a plus d’éclateurs), et de remplacer le RollFlex par un rouleau à pneus afin d’assurer un meilleur contact terre/graines dans le futur interrang. Enfin, des disques de guidage couplés à un guidage RTK actif permettent de contrôler l’outil dans les dévers.

Depuis l’année 2011, l’Evo est utilisé sur la moitié de la sole de maïs, le reste étant encore labouré. En non-labour, la gestion de l’interculture est la suivante : l’objectif est de bien gérer les pailles et d’avoir un couvert produisant beaucoup de biomasse et restant le plus propre possible, sans graminée adventice. Après la récolte du blé, un premier déchaumage est réalisé à 5 cm de profondeur sitôt la moisson. Un deuxième déchaumage intervient quand les champs ont bien reverdi, cette fois à 10 cm de profondeur pour un meilleur mélange terre/paille. Les déchaumages, réalisés avec un Horsh Joker, sont croisés à 15° et 30° par rapport aux lignes de semis. Ensuite, courant septembre, le passage du Horsch Evo prépare le lit de semence du maïs et implante le couvert.

Cette stratégie étant pleinement validée, elle est étendue à toute la sole de maïs pour les semis 2013 et la charrue est revendue. Si Horsch parle de « travail en bande » (bien que ce ne soit pas du strip-till à proprement parler) et de semis sur buttes, chez Nataïs la technique, complétée par l’implantation d’un couvert, est dénommée « Green Tillage » ou « travail du sol vert ». Cette technique ne doit pas être confondue avec le strip-till végétal qui consiste à implanter, sur le futur rang de semis, des espèces d’intérêt agronomique capables de fixer l’azote de l’air (légumineuses) ou à même d’améliorer la structure du sol grâce à leurs racines, l’interrang recevant des espèces plus courantes ayant des effets allélopathiques ou capables de bien couvrir le sol pour éviter les levées d’adventices. Dans le cas du « Green Tillage », le futur rang de semis n’est pas couvert et le sol sous-jacent est structuré mécaniquement, tandis que l’interrang reçoit des espèces aux pouvoirs structurant, étouffant, fertilisant et piège à nitrate.

Jusqu’où peut-on pousser le couvert ?

Se pose alors la question de la date de destruction du couvert : « Nous avons clairement observé au cours des trois premières années qu’il valait mieux semer dans le couvert vivant.  » La destruction tardive du couvert au moment du semis permet d’augmenter significativement la biomasse produite et donc la quantité d’azote fixée. Au cours de l’interculture 2013-2014, clémente avec un hiver doux et sans gel, les féveroles ont ainsi produit en moyenne 6 t MS/ha (soit 120 unités d’azote restituables d’après la méthode MERCI) et les 110 ha de maïs de l’exploitation ont été intégralement semés dans le couvert vivant. Compte tenu de l’azote restituable, la fertilisation du maïs a été abaissée à 130 kg N/ha au lieu de 190 à 200, soit un gain en fertilisation non négligeable qui compense d’emblée l’investissement dans le couvert. De plus, les nombreux relevés réalisés par Valentin Figeac, stagiaire chez Nataïs, montrent « qu’en détruisant le couvert au moment du semis et en localisant le mulch sur l’interrang, il est possible de limiter les attaques de limaces sur maïs car les restes de matière verte dans le mulch sont consommés par les limaces plutôt que les plantules de maïs. Au contraire, lorsque l’on détruit le couvert précocement (3 à 4 semaines avant semis), le niveau de décomposition du mulch est plus avancé lors de la levée du maïs. Même si les limaces consomment aussi des végétaux morts, elles trouveront le mulch moins appétant, d’où une augmentation des attaques sur maïs ». Christophe et Valentin constatent également que « la présence d’un couvert vivant permet un ressuyage plus rapide des parcelles par l’absorption d’eau des racines, mais aussi par un meilleur drainage lié à la structuration verticale du sol grâce à ces racines. De plus, un sol mieux ressuyé permet un retour sur la parcelle plus rapide, ce qui est un avantage majeur pour la mise en place de cultures nécessitant un semis précoce, comme le maïs pop-corn ». Jusqu’à maintenant, l’absorption d’eau par le couvert s’est révélée peu préjudiciable à la levée du maïs. Si nécessaire, l’irrigation, gérée au moyen de sept sondes capacitives, permet de contrebalancer la destruction tardive du couvert.

Pour les semis 2014, la technique d’implantation s’est encore améliorée, grâce à un nouveau semoir totalement adapté à la stratégie retenue sur l’exploitation. Ce Horsch Maestro 8.60 CC est doté d’un vérin de report de charge, de roues jumelées passant dans les interrangs du maïs (donc sur les rangs de féverole), de petits rouleaux faca indépendants pour chaque interrang qui écrasent le couvert, de chasse-débris flottants pour écarter les féveroles qui seraient couchées sur le rang, d’une cuve additionnelle pour l’engrais liquide apporté sur le rang avec une languette Keeton, et de disques de guidage couplés à un guidage RTK actif qui permettent de contrôler le semoir et de repasser exactement sur les micro-buttes préparées par l’Evo. Notons que le maïs est semé tous les deux ans au même emplacement. Nataïs a réalisé une superbe vidéo des semis 2014

Une fertilisation localisée bien calée

La fertilisation localisée au semis est composée de 65 l/ha de 14-48, de sulfozinc et de 120 kg/ha de sulfonitrate placé à côté de la ligne de semis. De l’anti-limace est placé sur le rang au moyen du microgranulateur équipant le semoir, aucune intervention supplémentaire n’étant nécessaire en général. Les rouleaux faca du semoir cassent bien les tiges de féverole et un désherbage à 1,5 l/ha de glyphosate additionné de 0,1 l/ha de Banvel 4S finit le travail. Le désherbage du maïs, qui semble plus facile avec la couverture et l’absence de travail du sol au printemps, est réalisé en post, au stade 3/4 feuilles du maïs, avec une application de Dual Gold Safeneur (0,8 l/ha), de Pampa Premium 6 OD (0,2 l/ha), d’Auxo (0,5 l/ha) et de Banvel (0,1 à 0,15 l/ha) pour lutter contre les liserons qui semblent se développer davantage en non-labour. Christophe constate d’ailleurs que l’abandon du labour entraîne davantage de levées de folle avoine et de ray-grass, ce qui le contraint à réaliser un traitement antigraminée sur le blé, en plus de l’habituel anti-dicotylédone.

Avec maintenant quatre ans de recul, Michaël et Christophe sont enthousiastes : «  L’érosion, c’est de l’histoire ancienne ! » Aidés par Yoann Gauchery, ingénieur-conseil de Nataïs, ils ont réalisé un travail considérable pour mettre au point un itinéraire d’implantation fiable et reproductible, garantissant la réussite des cultures et du couvert. La simplification progressive du travail du sol sur l’exploitation, la pratique systématique des couverts en interculture et l’apport chaque année de 300 t de compost sur 15 à 20 ha, permettent également aux agriculteurs de remonter le taux de matières organiques. Si le travail du sol est encore assez intensif et énergivore (7 l/ha pour le premier déchaumage, 9 l/ha pour le deuxième, 15 l/ha pour le passage de l’Evo), Michaël, Christophe et Yoann, maintenant certains que cette nouvelle direction est celle à suivre, ont la ferme intention de continuer à progresser afin de réduire la consommation de carburant pour les interventions culturales mais aussi d’aller plus loin en matière de couverture du sol. Avec la triple compétence de producteur, transformateur et distributeur d’une culture très exigeante comme le maïs pop-corn, l’exemple de Nataïs est un formidable modèle dans le territoire gersois et français. Il démontre qu’avec un ferme engagement pour préserver et redévelopper la fertilité des sols, un bon savoir-faire et l’introduction habile de technologies de pointe, il est possible de mettre en œuvre des pratiques d’agriculture de conservation même avec des cultures spécialisées. Cette première étape, constituant tout de même un changement radical de pratique culturale, étant maîtrisée, l’objectif est maintenant de motiver et d’étendre les surfaces implantées en Green Tillage chez les producteurs locaux tout en continuant de travailler à la limitation des interventions et au développement des couverts végétaux.


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