Lundi 22 septembre 2014
Frédéric Thomas

Après des séjours aux États-Unis et en Australie, Frédéric THOMAS débute son activité de conseil de terrain et, en 1999, il crée la revue TCS. Il s’appuie aussi sur sa ferme, en Sologne, des terres sableuses hydromorphes à faible potentiel, où il met en œuvre l’AC avec réussite. Il est aujourd’hui l’un des acteurs majeurs du développement de l’AC en France.

Est-ce que les légumineuses cèdent beaucoup d’azotes aux plantes compagnes pendant leur croissance ?

Avoine et luzerne associéesVoici la communication d’une expérimentation qui date de plus de 30 ans transmise par un technicien de la Chambre d’Agriculture du Tarn. A première vue il semble logique d’affirmer, comme il est communément admis, que la légumineuse fournit de l’azote à la graminée. Avec 50 % voire plus de trèfle blanc, le mélange dactyle-trèfle avec 0N, produit autant de matière sèche que le dactyle pur avec un apport de 240 kg N/ha (azote non limitant). Les bactéries symbiotiques du trèfle contribuent à l’alimentation en azote du trèfle, mais à celle du dactyle en mélange.

Azote et trèfle blanc dans les prairies Cependant nous allons considérer différemment cette équation et affirmation un peu simpliste.

Premièrement, on constate une petite progression de la production notamment dans la modalité avec fertilisation azotée non limitante hors mis l’effet année et météo. Cet élément pourrait être une forme de croissance du volant d’auto-fertilité (+ de fourrage —> + de racines —> + de résidus —> + d’activité bio qui au final finance mieux et de manière autonome la production des années suivantes. Pour la partie dactyle + trèfle sans fertilisation azotée c’est le même constat. Si le trèfle ne cède pas directement de l’azote au dactyle il le fait dans le temps avec la décomposition de ses vieilles racines et de la biomasse laissée au sol. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il existe une grande différence de gestion de la fertilité entre une récolte par pâturage (retour de la fertilité) ou par fauchage (exportation de la fertilité).

Ensuite sortons la calculatrice :

- En 1981 et pour le dactyle seul la production totale est de 9 t de MS. Si nous estimons que la biomasse de cette graminée peut contenir 32 kg de N/t de MS, ce niveau de production représente une mobilisation d’environ 288 kg de N/ha soit presque 300 kg de N/ha. On peut donc admettre que 200 kg de N ont été fourni par l’apport d’engrais (moins la volatilisation, l’immobilisation et le lessivage éventuel) et 100 kg/ha par l’auto-fertilité du sol. Pour simplifier ce calcul on va volontairement ignorer l’azote nécessaire pour le développement du système racinaire qui peut représenter à lui seul50 à 80 Kg de N/ha supplémentaire (Une auto-fertilité atteignant 150 à 180 kg de N/ha n’est pas hors norme en système élevage).

- En 1981 mais pour l’association dactyle-trèflela production en biomasse est presque similaire (9t) mais sans aucun d’apport d’engrais azoté. Pour simplifier le calcul et comme le trèfle représente 53% de cette biomasse prenons une production de 5 t de MS/ha de trèfle et 4 t de MS/ha de dactyle. Cela nous fait donc 5 X 40 (N moyen de la biomasse sèche des légumineuses) + 4 X 32 (N Moyen des graminées) = 328 kg de N/ha. Nous trouvons donc ici dans la biomasse aérienne même 30 kg de N/ha en plus que dans la modalité fertilisée pour couvrir les erreurs d’appréciation et aussi le petit supplément de production. Ils proviennent certainement de multiples facteurs : développement de l’auto-fertilité, (à ce titre la portion de trèfle baisse progressivement au cours des années ce qui est normale car la fourniture du sol en azote progresse), accroissement de la profondeur d’enracinement, stimulation de l’activité biologique, développement de la rhizosphère et aussi quelques échanges racinaires.Par contre, dans cette modalité le dactyle n’a prélevé réellement que 128 kg de N/ha, une quantité d’azote qu’il a pu en grande partie trouver dans les fournitures du sol et sans vraiment faire appel à son voisin le trèfle qui est plutôt son conçurent pour l’eau et la lumière.

- Si l’on fait la même approche avec l’association en 1978 ou le trèfle est beaucoup dominant (73%). Cela représente 6,5 t de MS/ha de trèfle et plus que 2,5 t de MS/ha de dactyle. En faisant le même calcul (6,5 X 40 + 2,5 X 32 = 330 kg de N/ha dans la biomasse) on retrouve nos petits et sans intégrer beaucoup d’échanges entre les plantes.Pour info une luzerne peut fixer entre 250 et 350 Kg de N/ha/an (E. Triboï INRA Clermont). Il est d’ailleurs normal que le dactyle progresse au cours des années dans le mélange comme il bénéficie d’une fertilité croissante et des arrières effet du trèfle.

Ainsi ces calculs rapides montrent que le transfert d’azote entre la légumineuse et une graminée dans une association n’est pas une idée fausse mais largement surfaite. La dynamisation qui est souvent observée est certainement liée à d’autres phénomènes comme le développement du système mycorhizien et la stimulation de l’activité biologique via une forte augmentation des exsudats racinaires (priming effect). Par contre, si l’effet n’est pas immédiat, il y a réellement accumulation d’azote qui profitera aux cultures suivante.

Enfin et au regard des résultats (pas des calculs) de cet essai comme de beaucoup d’autres ou l’on produit autant de biomasse, certainement de meilleure qualité tout en économisant 250 kg de N/ha/an avec en prime tous les autres avantages pour la vie du sol et l’environnement, on se demande pourquoi beaucoup d’agriculteurs s’obstinent encore a faire pousser du ray-grass sans légumineuse et même du blé ou du colza.

POURQUOI plus de trente ans après ont se pose encore la question alors que c’est une évidence !

Sur le même sujet : Légumineuse, fixation d’azote et transfert