Mercredi 27 août 2014
Frédéric Thomas

Après des séjours aux États-Unis et en Australie, Frédéric THOMAS débute son activité de conseil de terrain et, en 1999, il crée la revue TCS. Il s’appuie aussi sur sa ferme, en Sologne, des terres sableuses hydromorphes à faible potentiel, où il met en œuvre l’AC avec réussite. Il est aujourd’hui l’un des acteurs majeurs du développement de l’AC en France.

Voilà que les Australiens se remettent à labourer !

JPEG - 84.6 koVoici le lien vers un article de FarmWeekly (hebdomadaire agricole anglais) et la vidéo qui présente le labour et les explications de l’agriculteur, Mr Smart. Anciennement en SD sur les 14 000 ha de cultures de son exploitation de 22 000 ha, il présente ses motivations pour le retour au travail intensif ainsi que les premiers résultats obtenus.

Il prétend gagner 0,4 t/ha grâce au labour lors d’expérimentations menées sur sa ferme l’année dernière. Il faut comprendre que ce gain de productivité est énorme dans le contexte de l’Australie Occidentale (WA) ou les rendements moyens sont en dessous des 2t/ha. Il affirme également qu’il est passé d’une dépense de 120 $/ha (85€/ha) en herbicide pour une gestion du salissement très moyenne à 70-90 $/ha (50-65 €/ha) en labour avec 95 % de contrôle dès la première année. Enfin, dans une région ou la pluviométrie annuelle ne dépasse pas 300 à 350 mm, beaucoup de sols sont réputés comme étant non humidifiables ou hydrophobes (non-wetting soil) : le labour semble également avoir amélioré la capacité d’infiltration du sol. Rassurez-vous, je ne suis pas en train de vous dire qu’il faille râteler les charrues mais il me semble intéressant de décortiquer cet exemple avec notre niveau actuel de connaissances en matière d’AC.

1) l’amélioration de rendement :

C’est presque logique qu’un sol, après de nombreuses années de TCS light et quelques années de SD, soit capable de porter une meilleure production. Nous sommes ici typiquement dans « l’effet prairie » : la forte minéralisation de la matière organiques et la destruction d’une partie de l’activité biologique booste la fertilité minérale qui favorise la première culture. L’observation est juste mais j’ai bien peur qu’elle ne dure pas longtemps surtout dans ces conditions pédoclimatiques particulières. En complément, cette augmentation de rendement de tout de même 20 % démontre que ce n’est pas vraiment l’eau qui est le facteur limitant, comme trop souvent évoqué dans cette région, mais avant tout la fertilité du sol. Il y a d’autres moyens plus habiles pour la doper sans aller piocher dans le capital !

2) La bien meilleure gestion du salissement :

Aucun doute qu’un labour qui retourne complètement le sol, comme Mr Smart le précise, est extrêmement efficace sur la réduction de l’enherbement après toutes ces années de TCS et SD. Il enseveli un stock semencier important accumulé en surface et ressort un sol « vierge » ou pas encore pollué par des graines d’adventices. Par contre et comme pour la fertilité, l’affaire ne durera pas. Très rapidement l’ensemble du profil va se retrouver avec des graines et l’efficacité du premier passage va s’estomper avec cependant un gradient différent en fonction des adventices. Certaines comme les graminées seront plus impactées par le labour alors que beaucoup de dicots ne le seront que très légèrement voire pas du tout.

Cette situation ou le coût de désherbage atteint 85 €/ha pour un rendement de 2t/ha et la réaction radicale de cet agriculteur fait ressortir le niveau de pression du salissement qu’ont atteint les australiens en s’accrochant à la quasi monoculture de blé. Aujourd’hui le tout chimique est très onéreux avec des résultats moyens et l’apparition de beaucoup de résistances comme avec le ray-grass. Cette pression les pousse pourtant à réfléchir, mais pour l’instant c’est plus d’énormes broyeurs de graines d’adventices que l’on tire à l’arrière des moissonneuses batteuses qui semble être LA SOLUTION (cf TCS 74 page 12) ou encore plus radicale : le retour au labour comme ici. Malheureusement cela les éloigne du mode de gestion du salissement le plus efficace, le plus économique mais aussi le plus durable : la rotation. A ce titre, nous pourrions conseiller fortement Mr Smart de lire l’article « Contrôle du ray-grass : impact majeur du travail du sol et de la rotation ». En l’espace de 2 années et sans travail du sol, le nombre d’épis est passé de 1200/m2 en SD et après désherbage à seulement 1,1 en intercalant un pois de printemps et ensuite un colza d’hiver. Le 2/2 ça fonctionne très bien et les résultats tiendront dans le temps.

3) le labour pour lutter contre l’hydrophobie des sols :

Là encore, j’accepte qu’augmenter ponctuellement la macroporosité peut améliorer la pénétration de l’eau mais l’impact ne sera pas durable surtout dans ce type de sol. Travailler le sol c’est aussi accentuer l’évaporation : un peu un non sens dans un pays au l’eau est rare. Enfin, il y a fort à parier que le retour de la battance et de l’échauffement du sol qui n’est plus protéger par des résidus vont rapidement inverser cette tendance positive. Enfin et selon D. Beck, les sols de cette région deviennent « hydrophobe » à cause de « cires » qui proviennent de l’écosystème « bush : broussailles » en place avant le défrichage et qui sont associées aux résidus des cultures. Ce phénomène bien réel pourrait par contre s’estomper en introduisant des plantes en C4 comme du sorgho : une approche plus écologique et certainement plus durable que de revenir à du travail du sol.

Ainsi et à la vue de ces informations et analyse, il nous reste à souhaiter bonne chance à Mr Smart qu’il sera intéressant de revoir dans quelques années. Même si ce n’est qu’un Australien dans des conditions très particulières, il représente cependant une majorité d’agriculteurs qui, de bonne fois, sont prêts a utiliser, pour résoudre des soucis avérer sur leur exploitation, des solutions qui fonctionnent mais dont l’impact ne sera pas durable voire contreproductif à moyen terme. Ici, on est tout à fait dans le traitement des symptômes et non des causes profondes du problème !