SOJA ASSOCIÉ : TRIER PLUTÔT QUE DÉSHERBER ?

Cécile Waligora et Matthieu Archambeaud ; TCS n°77 - mars/avril/mai 2014

Le soja est un peu la légumineuse la plus convoitée. Légumineuse à graines, riche en protéines, elle est en effet fort intéressante pour répondre à une demande croissante en protéines, notamment en élevage (recherche d’autonomie) et pour l’alimentation humaine (tofu). Mais c’est une culture qui, en solo, peut être assez compliquée à gérer, notamment au niveau de son désherbage. Pourquoi ne pas alors envisager de la cultiver en association ? Si cela fonctionne aussi bien que le colza associé, ce sera un très bon moyen d’assurer une réussite de la culture à moindre coût mais aussi de permettre enfin son développement tant attendu sur le territoire.

On parle beaucoup du soja. Il faut dire que la demande est bien là et croissante, surtout de graines produites dans l’Hexagone. Les éleveurs veulent, de plus en plus, se défaire de leur dépendance au soja étranger. Sans parler de l’éternel questionnement/ débat sur OGM, non-OGM… En bio, la demande est peut-être encore plus criante, que ce soit pour l’alimentation animale et humaine. Mais le soja est une culture encore assez cantonnée aux zones Sud, relativement tributaire de l’irrigation. Et tous les producteurs de soja vous le diront : même si, en conventionnel ou en bio, on a des solutions, le désherbage du soja reste néanmoins le point faible de la culture, avec des risques, des contraintes et bien entendu, des coûts à la clé.

Tenter l’association : pourquoi ?

Alors pourquoi, à l’instar de ce qui s’est développé ces dernières années avec le colza, ne pas envisager de cultiver cette plante en compagnie d’autres espèces ? Énumérons les avantages qu’apporterait cette technique…

Le soja est une légumineuse et, nous l’avons souvent dit, cette famille a un meilleur comportement en compagnie d’autres plantes. C’est le cas par exemple de sa production autonome d’azote qui va être plus efficace et généreuse si elle est associée à d’autres espèces. À ce titre, nous vous invitons à relire le dossier que nous avions consacré aux légumineuses dans TCS n° 62 de mars/avril/mai 2011, vous comprendrez mieux comment elles fonctionnent.

Pour rester sur le « sujet azote », le soja est également une légumineuse réputée pour ne pas laisser autant d’azote au sol que d’autres espèces de la même famille (une fois la récolte exportée). On dit volontiers qu’elle est dépressive pour l’azote car elle laisse, derrière elle, un bilan azoté relativement faible. Mais elle est surtout dépressive vis-à-vis du carbone car c’est une plante qui laisse, au final, peu de résidus au sol. L’associer avec d’autres plantes, permet, d’une part, d’activer un peu mieux sa production d’azote (vu dans le premier point) et, d’autre part, d’augmenter la biomasse végétale produite et donc de carbone.

Nous avons évoqué le désherbage. La culture du soja, vu la morphologie de la plante, laisse pas mal de place pour les adventices, surtout au début de son développement. Elle est ainsi moins concurrente qu’un maïs, par exemple. En conventionnel, on n’est pas sans herbicides. En agriculture biologique, on a des solutions mécaniques. Mais ces opérations sont à la fois coûteuses en temps et en argent, sans parler d’autres problèmes d’ordre environnementaux liés à l’usage des produits phyto. En plus, que dire de l’efficacité de ces solutions, pas toujours au rendez-vous ? L’idée de semer, avec le soja, des plantes qui pallieraient le manque de concurrence de la légumineuse est donc loin d’être saugrenue ; d’autant plus que cette ou ces plante(s) accompagnatrice(s), c’est vous qui les choisissez et pas la nature  ! Et, en plus de l’effet désherbage, on a l’effet diversité et préservation du sol…

La possibilité de produire du soja, en l’associant, est aussi l’opportunité d’ouvrir vos assolements avec d’autres itinéraires possibles. C’est, par exemple, sortir d’une rotation trop « maïs » et continuer de bénéficier d’une irrigation déjà en place. C’est aussi couper une succession trop « pailleuse  » en facilitant, en plus, les semis de céréales. Un blé qui suit un soja est rarement pénalisé, bien au contraire ! Voire même un sous-semis de blé ou d’avoine dans le soja ! Et pourquoi pas un sous-semis de colza avant la défoliation de la légumineuse ? Autre piste : le relay cropping, en imaginant un soja implanté dans l’interrang d’une céréale semée en bandes qui d’une certaine manière, sert de couvert relais. Tandis qu’on moissonne la céréale, le soja a déjà levé, bénéficiant de la couverture du sol offerte par la céréale.

Enfin, ce peut être aussi la possibilité de faire du soja associé une deuxième culture, par exemple un soja associé à un sarrasin. Si l’association ne rend pas ce qu’on escomptait, elle fait toujours un couvert pour le sol, sans avoir fait de frais de désherbage ! Au final, les associations et là, en l’occurrence avec le soja, offrent donc une quasi-infinité d’itinéraires aussi malins les uns que les autres. Sous réserve, bien évidemment, que les associations aient été, au préalable, testées et surtout, que la météo soit avec vous !

Mais justement, en associant, ne prend-on pas un peu moins de risques de ce côté-là ? Il y a ainsi une place à conquérir dans certaines rotations. On sait que la demande en protéines est là, insistante. Il faut donc arriver à produire du soja mais de manière plus maligne et plus performante, en diminuant les coûts, en particulier ceux du désherbage. L’AC offre cette perspective. Et si on envisageait de trier plutôt que de désherber ?

Expériences avec le sarrasin

Bruno Hyais, ACiste dans le Loiret, est un habitué du soja. Il y a deux ans, il s’essaye, sur une parcelle, au soja associé en semant, en même temps avec son Unidrill, soja et sarrasin. « Les cycles sont compatibles, indique-t-il. La récolte s’est techniquement bien passée et le triage également, du fait de la taille très différente, des deux types de graines. Côté enherbement, sans désherbage, là où il y avait le sarrasin, ce fut propre », ajoute-t-il. Une première expérience donc globalement satisfaisante si ce n’est la proportion des deux espèces que Bruno estime ne pas maîtriser. Pour ce premier essai, il était parti sur des quantités proches de ce qu’il sème en solo, à savoir 110-120 kg/ ha de soja et 20 kg/ha de sarrasin. « Le sarrasin a été un peu trop compétitif sur le soja et a entamé son rendement de moitié », déclare le producteur. Si l’association est plutôt positive, il y a donc à cogiter sur le bon équilibre des deux, au semis. Notre agriculteur a aussi une idée bien précise en tête : « Pour moi, le soja doit rester la culture principale. L’un des principaux soucis de cette culture est qu’en général, on perd du potentiel par la perte des gousses les plus basses. J’estime à 4-5 q/ha de perdus sur un potentiel, chez moi, qui peut faire en moyenne 30 q/ha. L’idée, avec l’association, est donc de trouver une plante qui incite le soja à s’étirer et limiter ainsi cette perte de gousses basses. Avec le sarrasin, cela a relativement bien marché mais ce n’était pas suffisant. » Pour 2014, B. Hyais est parti sur une autre association sur 5-6 ha : il a semé, courant mars, une orge de printemps dans laquelle il viendra implanter, fin avril début mai, son soja. Si l’orge a été semée comme d’habitude à 100 kg/ha, il va sans doute forcer un peu sa densité habituelle de soja, lequel est semé un rang sur deux. L’agriculteur a aussi un autre objectif dans cette nouvelle association  : leurrer les pigeons qui représentent une plaie pour ses jeunes sojas. L’orge, par sa couverture, devrait ainsi dissimuler le soja aux yeux et à l’appétit des volatiles. Le but est ensuite de détruire la céréale (il ne sait pas encore quand) car Bruno compte désherber son soja de manière classique. Il nous rappelle d’ailleurs qu’au Québec, certains producteurs font ainsi mais comme ils utilisent du soja OGM, ils se servent du glyphosate pour se débarrasser aisément de la couverture céréalière au moment le plus opportun. Dans le Loir-et-Cher proche, l’un de nos autres ACistes envisage cette année, après de l’orge d’hiver, de partir sur l’itinéraire suivant : semer l’été prochain juste après la récolte, un soja avec du sarrasin mais aussi du trèfle violet et compléter le tout par du colza. Tous les duos ont déjà été validés sur l’exploitation mais jamais encore le quatuor. Il y a plusieurs objectifs dans cette association  : récolter le sarrasin et le soja à l’automne 2014 puis le colza l’été 2015. Devrait rester le trèfle violet qui sera valorisé en fourrage ou pâturé par des moutons. L’agriculteur expérimentateur compte alors y semer, en direct, un blé à l’automne 2015. Cela rejoint ce que nous avions présenté dans le dossier du TCS 76 de janvier/février de cette année sur la couverture végétale permanente. Il s’agit, en tout cas, d’un enchaînement osé mais qui, s’il réussit, devrait être sacrément efficace à tout point de vue avec en plus, énormément de flexibilité et de possibilités de repli en cas de soucis.

Soja sur seigle roulé

Manfred Wenz, pionnier allemand des TCS en agriculture biologique, cultive du soja depuis de longues années. La culture est financièrement intéressante, notamment les variétés destinées à l’alimentation humaine qui peuvent se vendre jusqu’à 900 €/t (variété Primus en contrat). Par ailleurs, le soja permet de faire une coupure efficace dans une rotation céréalière au niveau du salissement, notamment dans un système qui n’intègre pas le maïs. Contrairement au maïs cependant, la culture n’est pas très vigoureuse et dominante et le désherbage mécanique reste indispensable en conduite bio classique, notamment pour la variété utilisée, très riche en protéines mais qui démarre lentement et reste tardive. Pour ceux qui n’ont pas de contrat particulier, la variété ukrainienne Anouchka, beaucoup plus rapide et agressive, semble plus adaptée. Pour pallier cet inconvénient, le semis est réalisé directement sur couvert d’un seigle semé à l’automne précédent à pleine dose. La céréale est dévitalisée par roulage à épiaison (mi-mai dans les conditions allemandes) et le soja semé directement à 30 cm d’écartement avec le semoir Eco-Dyn équipé des « Baker boots » (socs en T inversés pour limiter au maximum le travail du sol). D’après Ulrich Schreier, partenaire de M. Wenz, la culture reste propre jusqu’au bout et ne semble pas souffrir d’une éventuelle consommation de la réserve utile par le seigle précédant le soja. Attention cependant aux conditions pédoclimatiques : le soja reste une plante gourmande en eau et la zone où est située la ferme des Wenz est généralement bien arrosée en été. Autre élément intéressant, un essai de fertilisation a été conduit en 2013. Les résultats sont impressionnants : 1 940 kg/ha de soja sans fertilisation et 3 450 kg/ha avec 25 kg/ha de soufre élémentaire localisé dans la ligne de semis. Ce résultat confirme une fois de plus que sous prétexte d’autonomie en azote, on laisse souvent les légumineuses « se débrouiller » sans toujours tenir compte de leurs besoins importants en soufre et en calcium notamment.

Soja en culture relais du blé

Pascal Descombes, installé entre Dijon et Besançon, cultive 50 ha de céréales sur des sols très hétérogènes. Initialement en SD avec un Gaspardo, il reprend cependant la charrue en 2010 lors de son passage en bio. Il n’a jamais été satisfait du désherbage mécanique avec la herse étrille ou la houe et a pris l’habitude de semer ses blés un rang sur deux (33 cm d’écartement) pour pouvoir les biner.

Mi-avril 2010, il fait un essai de semis de trèfle blanc nain dans son blé avec sa bineuse montée à l’avant du tracteur et dont il retourne les dents. Le trèfle, qui a accès à la lumière, est magnifique, alors qu’il est décevant lorsqu’il est implanté dans un blé semé en plein. En 2013, il implante début mai et de la même manière un soja dans le blé (Primus : la même variété que celle utilisée par les Wenz) après deux passages de la bineuse pour désherber. Il constate tout d’abord que le blé n’est pas affecté par le soja (30 q/ha en 2013, soit un bon résultat pour l’année). Par ailleurs, le soja a tendance à monter pour chercher la lumière, ce qui place la première gousse à 15 cm du sol, ce qui est un avantage pour une culture généralement délicate à récolter (revoir témoignage de B. Hyais). Il est à noter que le mélange de blé utilisé monte assez haut (Pyrénéo et Saturnus), ce qui peut expliquer le phénomène, sans compter la présence des chaumes après la récolte. Le soja a donné 10 q/ ha, ce qui n’est pas négligeable mais pas suffisant aux yeux de l’agriculteur. L’expérimentation a été très concluante mais P. Descombes a relevé les limites suivantes :
- Pour rester propre, le blé est semé à 200 kg/ha, ce qui peut désavantager le soja avec un écartement de 33 cm ;
- Les pneus de la moissonneuse- batteuse sont trop larges et touchent 25 % de la surface et écrasent le soja qui est dessous  ;
- La moisson du blé étête également le soja, entraînant une nouvelle perte que P. Descombes estime à 25 %. L’agriculteur est tellement convaincu de cet itinéraire technique qu’il a décidé de modifier le mode de semis du blé et la moissonneuse-batteuse. Un semoir à céréale classique de 4 m a été acheté pour semer en double rangs (écartements 8 cm dans le double rang et 40 cm entre les bandes) et correspondre aux passages de la batteuse, une NH 8040 de 1985 équipée d’une coupe de 4 m. les roues arrière sont en voie de 2 m qui roulent chacune sur un double rangs de blé. La voie avant a été équipée de roues betteravières jumelées (8x3x44) : la roue intérieure est dans l’axe de la voie arrière et la roue extérieure passe 40 cm plus loin sur le double rangs de blé suivant. Enfin, pour éviter de couper la tête du soja, des « skis » vont être montés sous les doigts de la coupe qui passent entre les bandes de blé pour coucher le soja lors de la moisson.

Soja avec sarrasin, lin ou lentille

Emmanuel Bourgy, céréalier SDiste de la Brenne (Indre) et passé en bio en 2007 (TCS n°56 de janvier/février 2010), a réalisé en 2013 plusieurs essais d’association du soja avec d’autres cultures de printemps. L’objectif est tout autant de sécuriser la marge en apportant de la diversité que de contrôler efficacement le salissement dans un système où le travail du sol cherche à être minimum et dans une culture « mollassonne  ». Une parcelle en précédent tournesol avec un couvert spontané a été implantée après deux passages de Semavator à 3 cm de profondeur. Le soja a été semé (100 kg/ha) avec le SD 300 et les cultures associées avec un semoir électrique Delimbe monté sur le relevage avant du tracteur : lentille (30 à 50 kg/ha), lin (30 à 50 kg/ha) ou sarrasin (20 à 30 kg/ha). Les roues crosskillettes montées à l’arrière du semoir pour terminer le travail de fermeture ont également servi à cacher les graines semées à la volée. Une fois les mélanges bien installés (stade 3 à 4 feuilles du soja), le désherbage mécanique a été assuré par deux passages de houe rotative : le travail est bien fait et toutes les plantes se comportent bien avec peu de blessures (E. Bourgy envisage même de passer plus tôt au vu du comportement du soja). L’association soja-lentille est plaisante, la lentille assurant une bonne couverture du sol dès le démarrage. La récolte et le tri se font bien (sachant qu’une récolte à 5 cm du sol n’est pas un inconvénient pour l’agriculteur). Par ailleurs, la lentille arrive à maturité en même temps que le soja, alors que son semis est décalé de deux mois par rapport à une date d’implantation classique : ce phénomène, déjà constaté dans d’autres situations, est un des atouts de ce type d’associations. Au niveau du salissement, les associations avec le lin et le sarrasin ont été les plus intéressantes. La récolte et le tri du soja-sarrasin ont été « un vrai bonheur » ; en revanche, la récolte du mélange avec du lin a été qualifiée de « sportive » en raison de la coriacité des tiges. Une solution serait de relever la coupe mais de sacrifier alors un étage de soja ou encore de semer en premier lieu le lin, puis le soja. Dans ce dernier cas, on prend cependant un risque sur l’eau ; E. Bourgy considérant que le risque de concurrence hydrique est plus important avec le lin et le sarrasin qu’avec la lentille. L’essai est concluant et sera reconduit sur 3 ha cette année.

MINNESOTA, ÉTATS-UNIS : Soja et caméline font bon ménage

Le North Central Soil Conservation Research Laboratory de Morris, dans l’État du Minnesota aux États-Unis, travaille beaucoup, depuis ces dernières années, sur la diversification des cultures. Il faut dire que dans ce secteur des États-Unis trônent les incontournables maïs et soja. Les chercheurs, dont Franck Forcella, découvrent ainsi de nouvelles cultures ayant un intérêt bien sûr économique mais aussi agronomique et environnemental. C’est ainsi qu’ils ont, entre autres, ciblé la caméline. Son huile est particulièrement intéressante pour améliorer la combustion des carburants, notamment en aéronautique. C’est aussi une très bonne pollinisatrice, un autre axe privilégié par ce centre de recherche. Enfin, son potentiel agronomique est loin d’être négligeable : elle peut être un bon couvert, protégeant le sol mais contrôlant également efficacement le salissement.

F. Forcella et son équipe l’ont donc associé avec succès au soja selon la technique du « relay cropping ». Ils utilisent pour cela une caméline d’hiver semée en direct dans les chaumes d’un blé, coupés volontairement hauts. Dans une région où il peut neiger abondamment l’hiver, ces chaumes hauts piègent ainsi la neige, formant un matelas protecteur pour la caméline sous-jacente. Ainsi protégée, elle a de bonnes chances de redémarrer convenablement au printemps suivant. Le soja est alors semé au printemps entre les rangs de caméline. Celle-ci va arriver à maturité avant le soja et sera récoltée en juin. Le soja peut alors continuer tranquillement sa course jusqu’à sa récolte.

Tous les bénéfices sont regroupés  : une bonne couverture de sol, de la nourriture pour celui-ci, gage d’un entretien de sa fertilité, un contrôle plus naturel du salissement et deux cultures à valeur ajoutée intéressante et deux débouchés différents : l’énergie et l’alimentation. Le chercheur indique qu’en moyenne, le relay cropping de soja caméline a dégagé, dans leurs essais, un supplément de marge brute de 221 euros/ha par rapport à un soja classique cultivé seul.

DU CÔTÉ DU FIBL, SUISSE : Remplacer le chénopode par une plante souhaitée

En Suisse, le soja est encore une culture confidentielle mais elle se développe, notamment en conversion bio pour remplacer la betterave, voire le colza. Pour autant, les savoir-faire ont encore du mal à s’accumuler car les producteurs fidèles à la culture sont assez rares. Il faut dire que le soja reste une culture aux résultats aléatoires. En bio, c’est aussi une plante qui se retrouve trop facilement envahie par le chénopode ou l’amarante, ce que déplore Maurice Clerc, ingénieur agronome au FiBL, Institut de recherche suisse de l’agriculture biologique. Des outils de sarclage efficaces existent comme les sarcleuses à doigts, mais ils sont assez chers et pas forcément adaptés aux parcelles de faible taille, non planes et biscornues. « Trop souvent, les producteurs bio voient en ces invasions d’adventices un mal nécessaire, indique l’ingénieur. Je pense, au contraire, qu’on peut, techniquement, changer la tendance. Plutôt que d’obtenir un soja associé à du chénopode ou de l’amarante, faisons en sorte de l’associer à des plantes voulues et non concurrentielles. Le semis direct de soja dans une graminée d’automne, comme un seigle, a aussi été envisagé, comme il est pratiqué aux États-Unis et testé en Allemagne. J’avoue que je n’y crois pas trop, sachant que ce seigle hivernant sera difficile à contrôler au printemps. Nous sommes plutôt partis sur le soja associé à des plantes semées au printemps. »

Depuis 2011, le FiBL et la coopérative bio Progana se sont ainsi lancés dans le screening de plantes compagnes du soja. L’institut a testé environ 25 espèces, de toutes familles végétales. Le but est, déjà, d’isoler les espèces les plus intéressantes, c’est-à-dire, en priorité, non concurrentielles de la culture. Les différentes plantes ont été semées en même temps que le soja, lui-même toujours semé plus dense qu’habituellement (85 grains/m² plutôt que 65) avec un interligne de 50 cm. « Dans une première étape, nous avons maintenu les plantes compagnes uniquement sur la ligne et nous avons sarclé l’interligne, pour, notamment, laisser plus de place au système racinaire du soja et limiter la concurrence pour l’eau, explique M. Clerc. Nous avons laissé des témoins non sarclés, avec une implantation des plantes compagnes sur toute la surface. Dans ces témoins, il y a eu des pertes de rendement excessives, pouvant atteindre 50 %. Pour le moment, nous continuons donc à sarcler l’interligne, mais cela changera peut-être un jour. »

Les plantes associées ayant le mieux convenu avec le soja sont l’avoine et le seigle d’automne, ainsi que la caméline. Des légumineuses ont bien été expérimentées mais, à chaque fois, cela n’a pas convenu. « Nous souhaitons également des espèces à petites graines, pour garantir une bonne implantation sur la ligne de soja », ajoute l’agronome suisse. Semés au printemps, l’avoine et le seigle d’automne ont l’avantage de ne pas former d’épis et vont disparaître naturellement, à l’automne. Le tableau ci-joint donne les résultats d’essais pratiques, en conditions agriculteur, menés en 2012 et 2013. Le témoin est le soja pur. « En association, les rendements du soja ont été équivalents à inférieurs de seulement 10 % à ceux de la culture en pure. Côté salissement, sur la ligne, nous avons obtenu un très bon effet de protection des plantes compagnes. J’insiste sur le fait que les adventices qui nous ennuient le plus en soja bio, ce sont les levées tardives, pas les levées précoces qui peuvent être contrôlées par le désherbage mécanique. Et les plantes accompagnatrices testées ont eu un bon effet de protection contre les levées tardives. Même si les rendements peuvent être inférieurs, cela va être compensé par des coûts de production plus faibles. Il faut également préciser que ces deux années d’essais se sont déroulées dans des conditions globalement humides. On peut donc se demander, qu’en serait-il en année plus sèche ? Sachant qu’ici, on n’irrigue pas le soja », poursuit M. Clerc. Les années à venir le diront.

Pour 2014, les investigations se poursuivent. Le FiBL et Progana ont ajouté, dans les essais, deux autres plantes associées, le sarrasin et l’avoine de printemps, en plus des précédentes, caméline, avoine et seigle d’automne. Le sarrasin peut en effet être un très bon candidat notamment par son bon contrôle sur le chénopode. Ces deux nouvelles recrues vont être soit semées en même temps que la légumineuse, soit semées environ un mois plus tard, après le premier sarclage, en vue d’un autre challenge : récolter les deux plantes, le soja et l’associée. La caméline va être comparée de la même façon. « Nous voulons voir si, en séparant les deux semis, nous obtenons une meilleure concordance des cycles pour pouvoir récolter les deux, précise l’agronome, tout en prenant un risque d’avoir un moins bon effet de couverture, ajoute-t-il. Comme dans les essais précédents, la plante associée est toujours semée dans la même ligne que le soja pour protéger celle-ci contre le salissement par les adventices et deux à trois sarclages sont prévus dans l’interrang.

Deux types d’essais sont entrepris : un essai en parcelle d’agriculteur et un essai en station. Dans l’essai en station, l’institut a également ajouté d’autres espèces, en vue de tester leur capacité d’association avec le soja : l’avoine rude, la fétuque rouge, la fétuque ovine, l’amidonnier, l’engrain (deux céréales anciennes du genre Triticum) et le sorgho alimentaire qui lui, est semé un rang sur deux avec la légumineuse. « Nos recherches progressent mais restent empiriques. Nous restons prudents dans notre communication aux producteurs en leur préconisant de faire des essais chez eux et de ne pas partir dans cette technique sur une grande surface. Nous avons enfin la chance d’être appuyés et suivis par la recherche », conclut-il. Une nouvelle année d’essais que TCS va suivre de très près et à propos de laquelle elle ne manquera pas de faire le point.


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