L’AC APPORTE TROP DE BÉNÉFICES EN MATIÈRE DE GESTION DE L’EAU POUR S’EN PASSER

Frédéric Thomas - TCS n°74 ; septembre/octobre 2013

Bien avant la fertilité, l’eau est l’un des piliers de la production. C’est bien pour cela que le monde agricole a souvent les yeux tournés vers le ciel ou maintenant vers l’écran des smartphones. Qu’elle soit trop rare ou en excès, son impact sur la productivité est crucial et pour compenser les caprices du climat, l’irrigation comme le drainage sont des outils utiles et largement appréciés. Cependant, nous ne sommes pas si démunis et une bien meilleure organisation structurale du sol avec une couverture est un moyen puissant pour gérer l’eau plus efficacement. L’AC est ainsi un atout majeur lorsque la météo semble vraiment se dérégler.

En premier lieu, une couverture vivante associée au mulch améliore l’accueil de l’eau en amortissant l’impact des gouttes et en favorisant une bien meilleure infiltration dans le profil. Tout ruissellement de surface ou de subsurface, et au pire l’érosion, est avant tout une perte en eau. Cette couverture refroidit également la surface du sol ; un impact avéré et souvent mis en avant pour justifier d’un travail favorisant l’assèchement et par conséquent le réchauffement du sol. Ce facteur limitant n’est que très ponctuel, le mulch va, ensuite, très efficacement limiter l’évaporation et contenir le suréchauffement qui perturbe l’activité biologique et accélère les pertes en eau. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le sol sous un couvert en été : il est souvent beaucoup plus frais et humide que la parcelle déchaumée où le sol est exposé au soleil brûlant.

Un sol organisé verticalement sans rupture de porosité ni semelle va beaucoup mieux intégrer et diffuser l’eau dans le profil. Ainsi, en période sèche, la rétention des pluies est améliorée au profit des pertes potentielles. En période humide, l’eau est plus rapidement évacuée par la continuité de la porosité, laissant un sol à la capacité au champ en surface. Cette organisation structurale va également faciliter une colonisation rapide, complète et profonde des racines qui pourront mieux valoriser l’eau stockée. Bien entendu, cette contribution sera d’autant plus importante que le sol est épais.

En complément, la matière organique et surtout l’activité biologique fine qu’elle héberge, en organisant et stabilisant la microporosité, vont contribuer à nettement améliorer la capacité de stockage de l’eau au cœur de la matrice sol. Tous ces points constituent des petits millimètres d’économie, qui viennent s’additionner et peuvent être répétés plusieurs fois dans l’année mais ils modifient au final très significativement le bilan.

Cet avantage est incontestable dans les régions chaudes et plutôt sèches avec des bénéfices rapidement visibles voire bluffants. C’est d’ailleurs en grande partie pour cette raison que ces techniques sont mises en place dans les pays où chaque millimètre de pluie compte comme l’Australie ou la grande plaine américaine et canadienne. Cependant et aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’AC est également intéressante en conditions très humides voire hydromorphes. En améliorant la capacité de rétention et l’épaisseur du profil, elle permet, de fait, de transformer de l’eau « gênante » en eau « utile ». De plus, les couverts en consommant des quantités importantes d’eau à l’automne mais aussi au printemps évacuent de l’eau en excès qui perturbe le fonctionnement du sol. L’AC permettra donc, dans ce type de situation, d’implanter des cultures plus tard à l’automne et plus tôt au printemps qui résisteront mieux aux excès d’eau comme aux périodes sèches.

Cet exemple montre bien que l’impact des changements de pratiques avec l’AC dépasse largement la simple économie de mécanisation. Limiter voire supprimer les interventions mécaniques et couvrir le sol modifient fondamentalement son environnement et son fonctionnement avec des répercussions en chaîne sur beaucoup de facteurs. Certes, cette gestion différente de l’eau peut apporter quelques petits inconvénients facilement repérables et souvent mis en avant par ceux pour qui le changement fait peur. Ils sont cependant contournables et très largement compensés par un ensemble de bénéfices plus discrets qui se construisent dans le temps.

En d’autres termes, tout n’est qu’histoire de compromis et de choix de risques. Faut-il assécher le sol par du travail quitte à manquer d’eau plus tard ou trouver des parades au ressuyage et au réchauffement plus lents du printemps mais économiser de l’eau qui sera précieuse ultérieurement ? Faut-il détruire le couvert tôt pour conserver de l’eau ou le pousser jusqu’au semis pour bénéficier de plus de structure, de fertilité et de couverture limitant l’évaporation en période chaude ? En fait, la peur de manquer d’eau est tellement ancrée dans le subconscient des paysans que beaucoup choisissent la prudence, ignorant ou occultant les pertes importantes que leurs pratiques engendrent à d’autres périodes de l’année.

Cependant, ne serait-ce pas plus judicieux de raisonner bilan afin de pousser le curseur beaucoup plus loin grâce à l’AC et de mettre en place des pratiques qui permettent de beaucoup mieux gérer la ressource eau sur l’ensemble de l’année quitte à être limite quelquefois. L’idée est de passer d’une approche de gestion a minima pour aller chercher autrement la limite haute ! Cette analyse n’est pas non plus un plaidoyer anti-irrigation ou anti-drainage qui peuvent avoir toute leur utilité dans certaines régions et types de sol même si la simplification du travail du sol peut en limiter le recours comme optimiser leurs impacts.

Enfin, si le cas de l’eau développé ici est exemplaire et assez facile à comprendre, la même analyse de gestion du risque et d’adaptation des pratiques est transposable à l’azote et plus globalement à la gestion de la fertilité mais aussi à la maîtrise des maladies et des ravageurs : une gestion agronomiquement cohérente apportera toujours beaucoup plus de bénéfices souvent mal perçus et mal inventoriés que de limites, trop mises en avant, bien qu’elles soient souvent contournables.


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