LES « NOUVEAUX SYSTÈMES » DE PRODUCTION FONT LA UNE !

Frédéric Thomas - Magazine TCS ; juin/juillet/août 2013

Nouveaux concepts ou nouvelle dénomination à la mode, les « nouveaux systèmes » de production censés augmenter la productivité à l’hectare tout en améliorant l’efficience de l’utilisation des ressources naturelles et assurant la préservation des milieux naturels sont en vogue. Cependant, pour les réseaux AC, l’analyse de la situation et les solutions développées et mises en oeuvre n’ont rien de nouveau et sont déjà une réalité sur de nombreuses exploitations qui, aujourd’hui, continuent encore à expérimenter et avancer vers cette double performance : économique et environnementale.

Bien qu’il faille se réjouir de cette prise de conscience et soutenir son développement, il ne faudrait pas que cette émulation soudaine et collective s’approprie trop vite les idées et surtout le travail de recherche et d’expérimentations entrepris, sans soutien ni aides financières, par des agriculteurs qui, après avoir été des « rebelles », deviennent maintenant des « innovants ». Au contraire, ces réseaux représentent une forme de creuset de réflexion, de réactivité et de créativité qu’il faut reconnaître pour leur contribution et qu’il faut encourager et accompagner de manière différente. Capables de mobiliser des informations techniques et des conseils pertinents au travers de leurs propres réseaux, ces agriculteurs ne sont pas vraiment en attente de conseils mais plutôt de connaissances sur le sol, les plantes, les flux minéraux, les auxiliaires… Ils sont aussi à la recherche de mesures et d’indicateurs pour évaluer le chemin parcouru mais surtout valider de nouvelles adaptations techniques ou orientations.

À ce niveau, le système américain SARE (Sustainable Agriculture Research and Education : http://www.sare.org) est très intéressant. En fait, il permet tout simplement à des couples de chercheurs et agriculteurs de codéposer des projets de recherche appliquée. Ces derniers ont l’énorme avantage de correspondre aux attentes réelles des producteurs et d’être mis en œuvre et conduits directement par eux. En revanche, les expérimentations sont cadrées et les mesures établies par les chercheurs. En complément, ces derniers peuvent facilement aller chercher dans leurs réseaux des compétences pour investiguer et comprendre l’ensemble des éléments en jeu. Outre produire des informations directement transférables, cette organisation, qui travaille aux USA avec beaucoup de nos collègues en AC, permet une meilleure compréhension mutuelle entre producteurs et chercheurs et des échanges croisés très prolifiques.

Pour avancer dans cette direction et faire participer un plus grand nombre de producteurs, il faut bien entendu communiquer, informer mais surtout former les agriculteurs à l’agronomie, l’écologie appliquée en y associant des approches économiques différentes. Les nouveaux systèmes de production ou la recherche de cette double compétence ne sont pas simplement une modification d’itinéraires techniques mais c’est entreprendre des changements qui touchent les exploitations agricoles en profondeur. Il s’agit de modifications de pratiques, de modes de production voire d’orientations qui s’inscrivent dans une réflexion ou une approche globale. Si le nonlabour reste une porte d’entrée attractive, les bons ingrédients sont multiples. L’objectif n’est pas de transférer un modèle mais plutôt d’initier une mosaïque de systèmes divers plus en accord avec les conditions locales mais aussi les opportunités et les aspirations propres à chaque agriculteur. Il est donc fondamental de garder beaucoup d’ouverture et d’établir des interconnections avec les autres réseaux comme l’AB, l’agroforesterie, etc.

Comme d’habitude, il ne faudrait pas conclure trop vite que ce défi concerne uniquement les agriculteurs. Pour vraiment progresser, il est tout aussi nécessaire de faire évoluer dans le même sens l’ensemble des structures qui gravitent autour de l’agriculture qu’elles soient commerciales, d’accompagnement ou de recherche. En premier lieu, il est impératif de recréer des liens et beaucoup d’articulations où chacun est expert dans son domaine. L’agriculteur ne doit plus être un appliquant de modèles préétablis mais l’expert de la mise en œuvre, celui qui confronte les belles théories à la vérité du terrain et celui qui, bien conscient des enjeux environnementaux, jongle en permanence entre une recherche d’efficacité (technique et économique), une limitation des risques (économiques, agronomiques et climatiques) dans un contexte particulier en association avec ses goûts et ses attentes personnelles.

Pour faire émerger ces « nouveaux systèmes de production », il faudrait également sortir de l’approche contrainte, obligation et réglementation qui suscite le refus voire le rejet et au mieux une adaptation habile sans réels impacts. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas de règles mais elles doivent être claires, cohérentes et surtout constructives. Pour être efficaces et productives, elles doivent être basées davantage sur des résultats tangibles que sur des moyens censés les obtenir. Il ne semble pas judicieux d’imposer le semis direct, les couverts végétaux, les haies, d’encadrer les épandages ou d’exiger la suppression d’une application phyto. Il est beaucoup plus productif de faire un état des lieux lors de cessions de parcelles et suivre l’état organique et biologique, d’encourager à réduire l’énergie consommée ou la quantité de bio-agresseurs globalement utilisés. À ce titre, l’APL (Azote Potentiellement Lessivable) de nos collègues belges est une idée intéressante (TCS N° 56 page 35). Auparavant, si la gestion des nitrates dans l’eau passait par une négociation politique entre professionnels et l’agence de l’eau avec l’administration comme arbitre, aujourd’hui, l’ensemble de ces protagonistes se trouvent confrontés à la dure réalité des champs et les caprices de la météo. Avec cinq années de recul, ils ont été obligés d’admettre que la gestion de l’azote est beaucoup plus compliquée que des modèles mathématiques performants. Cependant, la multiplication des mesures avec des objectifs de résultats clairs et justifiés associée à une communication positive ont permis un vrai dialogue, une sensibilisation et une bonne progression des pratiques. Même très imparfait, ce type de suivi sur des critères simples et facilement mesurables se retrouve validé par l’étendue et la diversité des mesures, contrairement à ce qui peut être réalisé en station dans un contexte unique. C’est exactement la même approche que nous avons pour le « slake test » présenté dans ce magazine. La manip est tellement simple et le résultat si facile à interpréter par tous que l’on se demande pourquoi il n’a pas encore été diffusé à grande échelle.

Le cas des couverts végétaux est aussi très illustratif à ce niveau : malgré une forte communication et une imposition progressive, la majorité des agriculteurs refusent encore de couvrir leurs intercultures et opposent toutes formes d’arguments. Au mieux, ils finissent par s’y contraindre a minima avec des retours agronomiques et environnementaux qui sont souvent à la hauteur de leur volonté de réussite. Déjà le terme CIPAN communément utilisé est à bannir car il positionne d’emblée l’agriculteur comme un pollueur potentiel. Présenter les couverts comme des recycleurs d’azote aurait été plus judicieux et certainement plus attractif. Montrer les intérêts agronomiques et de valorisation en élevage aurait permis, comme dans les réseaux AC, une adhésion encore plus rapide avec le développement de nouvelles connaissances et l’émergence de pratiques venant encore plus accréditer l’intérêt de l’orientation et renforcer l’adhésion. Enfin, une approche vertueuse stimule et engendre de nouvelles idées comme cela a été le cas pour les plantes compagnes en colza. Ces « nouveaux systèmes » de production ne sont pas une lubie et beaucoup d’agriculteurs sont prêts. Cependant pour susciter un engouement et un changement massif, il est aussi nécessaire de faire évoluer de paire l’ensemble de la profession, de l’encadrement à la recherche, afin de construire de nouveaux rapports fondés sur la cohérence et la transparence pour oeuvrer ensemble dans une confiance mutuelle. Lorsque l’on souhaite encourager des systèmes de production qui utilisent beaucoup plus les processus écologiques, il ne faut pas oublier d’intégrer cette dimension dans la démarche et l’accompagnement. La nature n’est pas linéaire ni figée mais diverse, adaptable et fonctionne en réseau. Plutôt que décréter le changement, mieux vaut établir les conditions pour qu’il puisse s’épanouir.


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