Interculture : quel couvert choisir (avant betterave) ?

La technique betteravière - Institut Technique de la Betterave ; n° 985 du 21 mai 2013

Si la couverture des sols est aujourd’hui une obligation réglementaire en zones vulnérables dans la majorité des parcelles avant semis des betteraves, la pratique de couverture des sols à l’automne est une pratique ancienne dans les régions betteravières, et les enquêtes de pratiques culturales ITB Site montrent que, pendant la mise en place progressive des programmes d’action, une part non négligeable des implantations de Cipan était faite à l’initiative de l’agriculteur et sans contrainte réglementaire. Au-delà du bénéfice environnemental reconnu des implantations de cultures intermédiaires pour limiter le lessivage hivernal des nitrates, et de la position centrale des couvertures de sol dans les dispositifs mis en place en application de la directive nitrates, ces pratiques montrent bien un souhait de valoriser la période d’interculture par des couverts et de développer leur rôle d’engrais verts. L’action de l’ITB s’inscrit donc dans deux objectifs complémentaires : d’une part, proposer des techniques de conduite de l’interculture avec des Cipan efficaces pour le piégeage d’azote et sans risque pour la culture principale, dans cet objectif il s’agira d’adapter les conseils aux contraintes propres à l’exploitation et aux parcelles, d’autre part, développer des techniques plus innovantes pour apporter une valeur ajoutée aux couverts végétaux, en particulier par l’introduction de légumineuses pour augmenter la valeur azotée de la biomasse restituée. Ce sont alors des choix techniques plus exigeants et des conduites spécifiques à définir. Dans tous les cas, les choix de l’espèce végétale et de la variété seront primordiaux.

Des intercultures dans des contextes variés

Même si l’on ne considère ici que des conditions d’intercultures longues avant betteraves, les conduites ne peuvent pas être uniformes, et doivent être adaptées à chaque contexte pour tenir compte de contraintes propres à l’exploitation, à sa situation pédoclimatique, au calendrier des travaux et aux caractéristiques des parcelles.

On peut résumer les principales contraintes qui peuvent orienter les choix techniques de conduite des couverts. La première est relative aux temps disponibles et aux dates de libération des parcelles par la récolte des céréales qui précèdent généralement les betteraves. Elle conduit à n’envisager que des fenêtres de semis tardives en régions à moissons tardives, essentiellement les régions nord et régions maritimes. Les fenêtres de semis peuvent aussi être limitées par la concurrence sur l’exploitation, d’autres interventions culturales ou récoltes prioritaires en fin d’été. Les contraintes de temps disponible peuvent être accentuées si les surfaces à implanter en couvert sont importantes.

Une deuxième contrainte porte sur les modalités de destruction des couverts. Les sols argileux ne sont pas favorables à des interventions en conditions automnales, et les occurrences de bonnes conditions sont très aléatoires. Ces conditions orientent les choix vers des cycles végétatifs courts et un développement rapide des couverts dans un temps de présence limité.

De même, les parcelles en non-labour peuvent nécessiter un mode de destruction adapté, et une vigilance quant au risque de salissement par des adventices, ou risque de repousses d’un couvert mal détruit. Autre contrainte, l’état sanitaire de la parcelle, ainsi que les cultures présentes dans la succession peuvent orienter le choix de l’espèce à semer en interculture.

Des objectifs pluriels

L’objectif commun à toute implantation de couvert en interculture avant betterave sera le piégeage d’azote. La fonction de “Cipan” sera demandée à toute plante de couverture. Cette fonction sera particulièrement primordiale dans des situations d’apports de fertilisants organiques de fin d’été ou d’automne où la capacité de prélèvement d’azote devra être optimale. D’autres objectifs peuvent être recherchés, qui peuvent présenter des cahiers des charges spécifiques : la limitation des infestations de nématodes conduit à privilégier les variétés de crucifères nématicides dans les rotations betteravières. Une lutte active peut être envisagée par des semis des variétés nématicides réalisés très tôt pour piéger le parasite en cours de cycle.

Le couvert végétal peut être un relais dans la mise à disposition d’azote à la culture par un produit organique, il peut aussi être directement une ressource en azote par l’association de légumineuses dans le couvert semé. Cette association est pressentie comme une voie prometteuse pour diminuer le recours aux engrais minéraux azotés sur la culture de betterave au printemps, et est à l’étude à l’ITB depuis plusieurs années. Des objectifs, moins exigeants, peuvent être assujettis aux couverts : Un effet structurant du système racinaire, pour faciliter les interventions de travail du sol ultérieures, l’effet couvrant pour limiter le salissement des parcelles tout en protégeant la structure superficielle.

Adapter la variété à la période de semis

En période d’interculture, c’est la date de récolte de la céréale qui détermine souvent le calendrier ultérieur et qui doit présider au choix d’une espèce et d’une variété de couvert. Sauf exception, le climat des régions betteravières ne permet pas d’obtenir de bons niveaux de développement si les semis sont réalisés au-delà du 5 septembre, quelle que soit l’espèce implantée. Pour les crucifères, avec une offre variétale assez large, la date de semis prévue doit orienter vers un type variétal, en regardant en particulier la précocité de floraison. Une crucifère précoce semée tôt arrivera rapidement à floraison. La croissance de la plante est alors ralentie, et le piégeage d’azote moins actif. De plus, si la floraison est dépassée, les tiges de moutardes tendent à se lignifier et deviennent plus difficiles à broyer. La disponibilité ultérieure de l’azote après broyage sera réduite, et des faims d’azote sont possibles si l’incorporation est tardive. Enfin, dépasser la floraison peut faire prendre le risque de formation des siliques, donc d’un salissement ultérieur de la parcelle, même si le climat ne permet généralement pas une maturation complète des graines. Comme la date de destruction est imposée réglementairement et ne peut pas intervenir, sauf exception, avant la mi-novembre en zones vulnérables, la précocité de floraison est le critère à considérer, selon la période de semis envisagée. Elle est notée dans les essais de référencement de l’ITB pour les variétés de crucifères nématicides (exemples : fig. 1 et 2). Même si une diminution de la densité de population des crucifères tend à retarder leur floraison, ce critère de choix doit intervenir aussi pour des semis de crucifères associées à d’autres espèces. Les notations réalisées par l’ITB dans ses essais permettent de proposer un classement variétal de précocité de floraison (voir tableaux 1 et 2). L’encadré présenté en page 4 donne des indications de période probable de floraison selon date de semis et région. Ces essais permettent également de noter des différences de vigueur (levée, croissance), et d’identifier des variétés qui se démarquent sur ces critères. A partir de ces tableaux, on optera pour des variétés à floraison précoce si l’on sait qu’on ne réalisera pas de semis avant début septembre. En effet, la vigueur au démarrage de végétation des variétés à floraison précoce est généralement meilleure que celle des variétés plus tardives.

Espèce et variétés déterminent le mode de destruction

Très généralement, on conseille de réaliser les destructions avant l’hiver, en respectant les obligations réglementaires régionales, afin de laisser le temps aux résidus d’évoluer, et éviter des perturbations de croissance de la culture principale. Dans les conditions climatiques des régions betteravières, les périodes de gel franc sont toujours aléatoires et elles interviennent généralement trop tardivement pour détruire la végétation aux périodes considérées comme souhaitables, c’est-à-dire avant la fin décembre. Il est donc risqué, avec les crucifères disponibles aujourd’hui, d’attendre son effet pour détruire la végétation. En parcelles labourées, une intervention préalable de broyage est généralement nécessaire pour les moutardes. Pourtant, le broyage n’est véritablement indispensable que pour des couverts hauts, et cette intervention peut être économisée en choisissant comme couvert un radis plutôt qu’une moutarde. L’offre variétale ayant évolué, on peut se rassurer complètement en optant pour des variétés récentes de radis qui se révèlent aussi gélives que des moutardes, surtout si elles ont eu un long cycle de végétation. Le tableau 2 indique les variétés remarquées comme particulièrement sensibles au gel dans des essais qui ont été prolongés sur la période hivernale et qui ont subi un gel marqué, c’est-à-dire plusieurs jours consécutifs avec des températures minimales inférieures à - 8 °C.

En situation de non-labour, on pourra intervenir mécaniquement sur un radis en cassant la partie supérieure des racines tubérisées dans le sol. Pour éviter le repiquage, on doit éviter d’imprimer la végétation détruite dans le sol, mais plutôt de garder un sol veule. Le roulage du couvert avec un rouleau crénelé peut être très efficace, par temps de gel, sur des couverts de moutardes ou phacélie. L’action du gel est aussi plus efficace sur un couvert qui aura été préalablement bousculé par un passage d’outil, même sans destruction complète. Par ailleurs, on doit s’assurer de l’absence d’adventices développées sous le couvert, laissées indemnes après roulage et qui peuvent redémarrer.

La gestion des couverts végétaux en interculture reste très difficile en situations de sols argileux inaptes à des interventions de fin d’automne, ou avec des conséquences très négatives pour la structure et un risque pour la mise en place et la productivité de la culture qui suit. Il y a peu d’alternative à un avancement de la date de destruction pour travailler en conditions acceptables. Les essais ITB conduits en région Centre sur des parcelles argileuses tendent à montrer que, dans les conditions climatiques de la région, les pertes d’azote par lessivage sont modérées sous sol nu, et que l’impact des cipan est dès lors très modeste (fig. 3).

Choisir un couvert pour son effet structurant ou protecteur

Les enracinements des espèces végétales sont très dépendants de l’espèce, ils peuvent être aussi propres à des variétés dans le cas des radis qui se différencient par les formes et taille de pivots. Les différences entre variétés restent difficiles à établir sur des sites expérimentaux. On peut remarquer que les crucifères restent assez décevantes si l’on recherche un fort effet restructurant, car leur enracinement reste assez superficiel et peut être facilement stoppé par un obstacle. D’autres espèces comme l’avoine ou la phacélie apparaissent plus efficaces, avec un développement de chevelu racinaire plus dense et une plus forte occupation de l’horizon 0-40 cm. La vitesse d’installation et le taux de couverture peuvent être des critères recherchés pour éviter la reprise en masse superficielle, également pour limiter le salissement. Ce critère a été noté dans nos essais pour mettre en avant quelques variétés de radis qui se caractérisent par un développement couvrant.

Valoriser l’interculture avec des légumineuses associées

Les légumineuses pures ne peuvent pas être considérées comme des cultures piège à nitrates conventionnelles (Cipan), car leur fonction de fixation symbiotique de l’azote de l’air peut réduire leur prélèvement de l’azote du sol. Les couverts associant légumineuse et crucifère, ou légumineuse et phacélie ou avoine, sont par contre de vraies cipan qui ont de plus l’intérêt de fournir potentiellement des quantités d’azote plus importantes à la culture qui suit. Une expérimentation multi-sites a été menée par l’ITB avec plusieurs partenaires (Fdgeda de l’Aube, Arvalis, Soufflet, Ldar, Chambre d’agriculture de l’Aisne) pour mieux évaluer les quantités d’azote piégées et fixées par ces couverts associés, et évaluer aussi les quantités restituées à la culture suivante. Nos travaux ont permis aussi de préciser des aspects pratiques, choix d’espèces et variétés, modalités de semis et de destruction.

Piégeage et restitution d’azote par une association d’espèces

Les associations d’espèce avec légumineuse montrent par contre une très bonne efficacité de piégeage de l’azote du sol à l’automne, équivalente à celle d’une cipan conventionnelle (figure 4). D’autre part, on constate des effets possibles de synergie des deux espèces associées qui favorisent la croissance totale en matière sèche et la quantité d’azote totale du couvert. L’insertion de légumineuses dans les couverts a deux avantages vis-à-vis de la restitution d’azote à la culture qui suit. Un effet qualitatif dû à l’enrichissement relatif en azote du couvert, ce qui favorise la décomposition des résidus. Même si la légumineuse n’a qu’une faible contribution dans la production de matière sèche de l’association, sa présence jouera et pourra permettre d’éviter ou de réduire une étape d’organisation d’azote qui intervient généralement lors de l’enfouissement de résidus de couverts de crucifères ou de graminées. L’effet sera alors de bénéficier plus tôt de l’azote des résidus. Cet effet peut être particulièrement intéressant pour des couverts détruits tardivement, et pour lesquels on doit rechercher une dégradation rapide avant le semis de la culture principale. L’autre effet, qui est le bénéfice principal que l’on recherche, est un apport quantitatif d’azote grâce à un bon développement de la légumineuse dans l’association, dont les résidus contribueront directement et de façon substantielle à l’alimentation de la culture principale. On conçoit bien que cet effet quantitatif sera directement fonction de la production de la légumineuse, donc peut être variable suivant la réussite du couvert. Dans nos expérimentations, nous avons chiffré cette contribution en établissant des courbes de réponse aux doses croissantes d’azote sur la betterave qui suivait (des résultats ont également été établis sur orge de printemps par les partenaires de l’étude). Sur l’ensemble des résultats obtenus, la restitution d’azote varie entre 0 et 40 kg/ha d’azote (figure 5), quantité qui représente l’économie possible d’azote apporté sous forme d’engrais au printemps. La contribution étant fonction du développement de la légumineuse, on voit qu’il faut assurer au départ les conditions de réussite, et en particulier respecter un semis précoce, pour obtenir un résultat intéressant.

Conduite des couverts associés ?

Notre expérimentation s’est surtout attachée à des couverts bi-espèces afin, d’une part, de mieux observer les interactions entre légumineuse et non légumineuse dans une association, aussi parce que notre objectif était de favoriser l’enrichissement du couvert en azote, objectif qui suppose de garder une place suffisante à la légumineuse et en contrôler le développement. Cet objectif ne nous paraissait a priori plus difficilement réalisable avec des mélanges multiespèces.

Parmi les associations testées, les plus performantes ont été les associations radis+vesce (commune ou velue) et radis+trèfle d’Alexandrie, et dans une moindre mesure les mêmes légumineuses combinées avec des moutardes. Pour les associations avec moutarde, la légumineuse semble cependant plus concurrencée par la crucifère et il est apparu difficile d’obtenir des fortes contributions des premières dans le mélange. On peut concevoir les associations légumineuse-moutarde dans un objectif de rééquilibrage en azote du couvert (effet qualitatif évoqué précédemment), plus que dans un objectif d’économie d’azote sur la culture principale. On doit remarquer d’ailleurs que les moutardes sont mal adaptées à des semis précoces, et arrivent alors trop tôt à floraison. Cet effet de rééquilibrage du couvert par un apport d’azote des légumineuses est aussi intéressant pour des espèces graminées, comme l’avoine, dont les résidus sont ligneux et pauvres en azote. Par ailleurs, des tests ont montré aussi de bonnes aptitudes d’associations phacélie+vesce, mais le coût de semence devient alors prohibitif. Nos résultats ne sont pas exhaustifs, ils n’intègrent pas des espèces comme les féveroles, sans doute performantes dans des semis de fin d’été, mais qui rendent plus difficile la réalisation du semis à des profondeurs différenciées pour chacune des espèces. Nos expérimentations ont été réalisées avec des mélanges “50/50”, c’est-à-dire en divisant par 2 les doses respectives des espèces semées en solo. On peut conseiller de respecter cette règle, des tests réalisés en parallèle sur différentes options d’équilibres relatifs des espèces ont montré que les légumineuses ne gagnaient pas à être semées à densité plus faible en raison de la concurrence accrue de l’autre espèce.

C’est surtout le trèfle qui s’accommode mal d’une densité diminuée, les vesces ont une meilleure capacité d’occupation du terrain et se révèlent plus couvrantes.

Les associations testées ici ne peuvent être efficaces que si elles sont semées suffisamment tôt, c’est-à-dire à la mi-août au plus tard, afin de donner un temps d’installation qui est plus long que celui d’un couvert conventionnel. Il n’est pas envisageable de réaliser des couverts associés avec vesce ou trèfle si l’on ne peut pas envisager de semer avant fin août ou début septembre.

Selon nos résultats, la restitution d’azote au sol par les résidus du couvert est quantitativement supérieure, mais n’est pas plus rapide avec un couvert de légumineuse associée qu’avec un couvert de crucifère pure. Cependant, certains programmes d’action départementaux peuvent imposer une destruction plus tardive avec les associations comprenant des légumineuses. On consultera ces restrictions éventuelles dans les arrêtés préfectoraux de sa région. Dans la mesure où ce sont des couverts relativement bas et peu ligneux, les légumineuses ne seront pas broyées, mais peuvent être labourées directement si l’association est peu développée. Si l’association est bien développée, une intervention mécanique préalable réalisera un premier mélange terre-résidus, qui sera favorable à leur décomposition après le labour. Comme indiqué pour les couverts conventionnels, on ne peut guère compter sur la seule action du gel pour la destruction.


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