Lundi 13 mai 2013
Frédéric Thomas

Après des séjours aux États-Unis et en Australie, Frédéric THOMAS débute son activité de conseil de terrain et, en 1999, il crée la revue TCS. Il s’appuie aussi sur sa ferme, en Sologne, des terres sableuses hydromorphes à faible potentiel, où il met en œuvre l’AC avec réussite. Il est aujourd’hui l’un des acteurs majeurs du développement de l’AC en France.

Calcul de coin de table : avec les produits organiques, la valeur à l’analyse peut cacher des pertes importantes

Calcul de coin de table : avec les produits organiques, la valeur à l’analyse peut cacher des pertes importantes.

Prenons comme référence les chiffres de composition en éléments minéraux de différents produits organiques. Le premier tableau, qui est assez complet puisque qu’il intègre deux formes d’azote mais aussi le carbone, le phosphore et la potasse. Si l’on considère les trois premiers produits issus du même élevage laitier mais gérés différemment (fumier, fumier en tas et fumier composté), on peut constater que la grosse différence se situe au niveau du carbone qui se trouve consommé par l’activité biologique (qui se traduit par une élévation de température lors du compostage), sans grand changement au niveau de l’azote même si la fraction minérale tend à diminuer au profit de la partie biologique, ce qui est normal. Par contre le C/N diminue progressivement pour passer de 30 à moins de 20, symbolisant un produit sans risque de faim d’azote, plus facilement dégradable et fournisseur d’azote rapide.

A l’inverse, si l’on considère le phosphore, on remarque une forte concentration avec le la mise en tas et le compostage pour lequel la teneur est double : ceci est normal puisque cet élément est peu ou pas mobile. À l’opposé, la potasse diminue de manière conséquente, K+ est très peu lié dans la matière organique et fuit très rapidement dans les « jus ». Le compost de déchet vert à quant à lui la valeur la plus élevée en carbone : logique encore étant donnés les produits d’origine, bien que le compostage ait déjà certainement consommé beaucoup de carbone (en fonction du temps de compostage). Le C/N avoisine les 30 comme le fumier mais la dégradation risque d’être plus lente que pour les produits issus de l’élevage car le carbone restant contient de la lignine, beaucoup plus « dure ».

Le digestat solide affiche des teneurs surprenantes avec un C/N voisin de 40. C’est le plus élevé avec certainement du carbone dur qui n’a pas pu être valorisée par l’activité biologique du méthaniseur qui, comme celle du sol, préfère les sucres simples et la cellulose. Le lisier et le digestat liquide sont logiquement beaucoup moins carbonés avec des C/N voisins de 15. Ce seront donc immédiatement des fournisseurs d’azote.

Cependant et au delà ce cette lecture classique, une autre analyse s’impose afin de mieux comprendre les phénomènes en jeu.

Comme le phosphore est un élément très stable dans un produit organique (ni fuite, ni volatilisation), sa valeur permet de suivre par comparaison l’évolution des teneurs des autres éléments en fonctions des modes de gestions. Dans le cas du fumier en tas, la concentration de phosphore passe de 1 à 1,4. Cela signifie que, si l’on revient à la tonne de produit du départ, la teneur des autres éléments à diminué d’autant (1 / 1,4 = 0,71 = 29% de perte). Ainsi on a perdu non pas 25 kg mais 70 kg de carbone ce qui est logique et perceptible par la réduction du volume du tas. L’impact est cependant plus regrettable pour l’azote avec près de 2 kg/t de perte : certainement de la volatilisation et des fuites dans les jus. La soustraction est encore plus salée avec la potasse dont la quantité par rapport au produit de départ est plus que divisée par 2 avec 5 kg/t de perte.

La même analyse pour le compost est encore plus révélatrice. La teneur en phosphore doublant, il suffit de diviser par deux les teneurs des autres éléments pour les comparer à celles du produit de départ : le fumier. Comme pour la gestion en tas, le carbone, en toute logique, est le plus impacté. Par rapport au fumier, 120 kg/t sont tout même partis en énergie, en chaleur et ne seront plus disponible pour la vie du sol ; d’autant plus que le carbone qui reste l’est sous forme ligneuse, la plus dure à attaquer. L’évolution ayant eu lieu lors du compostage, on obtient en plus un produit « stable », mais peut-être trop stable.

Concernant l’azote et alors que les chiffres pouvaient montrer une légère augmentation de la concentration (6,6 au lieu de 5,3 en azote totale), le calcul par le biais de l’évolution de la teneur en phosphore fait plutôt ressortir une perte de 2,5 kg/t, soit près de la moitié de celle contenue dans le fumier d’origine. Les pertes sont du même ordre de grandeur pour la potasse également. L’augmentation de la teneur en azote d’un produit organique peut donc être un leurre et cacher en réalité des pertes importantes.

Remettons cela dans un contexte agricole

Enfin, en poussant le calcul jusqu’à l’utilisation de ses produits, pour se positionner dans une situation réelle, les différences sont nettement amplifiées. Si l’on considère une application de 30 t/ha de fumier brute comparée à un apport de 15 t/ha de compost (afin de conserver le même niveau d’apport en phosphore qui est l’élément étalon de notre démonstration), les « pertes », ou plutôt ce qu’il convient d’appeler le « gaspillage », apparaissent plus nettement.

Ce ne sont pas moins de 3 660 kg/ha de carbone qui sont rapidement retournés dans l’atmosphère et autant d’énergie perdue pour l’activité biologique du sol lors du compostage. Outre les aspects agronomiques, ce bilan n’est pas très brillant en matière de lutte contre l’effet de serre. L’adition est aussi très lourde en matière d’azote : si le fumier permet d’apporter 159 kg de N/ha (niveau admis dans les bassins versants prioritaires), l’équivalent de produit après compostage n’apportera plus que 84 kg/ha, soit une « disparition » de 75 kg/ha de N qu’il faut cependant majorer à cause du risque réel de volatilisation d’une partie de l’azote ammoniacal contenu dans le fumier lors de l’épandage.

A la vue de ces calculs on comprend pourquoi le compostage a été tant plébiscité dans les secteurs d’élevage intensif. Il permettait de rester dans les normes tout simplement en évacuant de l’azote organique dans l’air. On comprend aussi pourquoi ces pratiques ont permis de faire « exploser » les teneurs en phosphore dans les sols lorsque les apports de produits organiques ont été calés sur seulement la quantité d’azote organique maximal autorisée (170 kg/ha dans bien des situations). La stratégie ne fonctionne par contre plus du tout lorsque c’est le phosphore qui devient contingenté : c’est alors l’azote, élément si précieux pour la croissance végétale, qui peut devenir le facteur limitant.

Cette démonstration, malgré toutes les imprécisions qu’elle peut comporter, permet cependant de mettre en relief l’ensemble des incohérences qui sont communément véhiculées autour de la gestion des produits organiques. La gestion aux champs et a fortiori dans des couverts végétaux est certainement le meilleure moyen de moins gaspiller du carbone et donc de l’énergie, importants pour l’activité biologique du sol mais aussi de conserver le plus d’azote et de potasse pour développer et entretenir l’auto-fertilité des sols. Cette analyse complète le dossier du TCS 72 EFFLUENTS, COMPOSTS ET AUTRES PRODUITS RÉSIDUAIRES ORGANIQUES : VÉRITÉS ET DÉSILLUSIONS. Et mon post précédent sur les couverts et l’épandage d’engrais de ferme.