Mercredi 17 avril 2013
Frédéric Thomas

Après des séjours aux États-Unis et en Australie, Frédéric THOMAS débute son activité de conseil de terrain et, en 1999, il crée la revue TCS. Il s’appuie aussi sur sa ferme, en Sologne, des terres sableuses hydromorphes à faible potentiel, où il met en œuvre l’AC avec réussite. Il est aujourd’hui l’un des acteurs majeurs du développement de l’AC en France.

Ce que nous souhaiterions ne plus voir dans les champs

L’hiver et surtout cette pluie incessante qui à perturbé les récoltes de l’automne et les emblavements, ont été éprouvants pour les sols, les cultures mais aussi le moral.

Face à ces difficultés, si certains ont capitulés et sont revenus au travail profond, voire au labour avec des réussites mitigées, d’autres ont tenté de « sauver les meubles » avec plus ou moins de succès ; d’autres encore ont gardé le cap, quitte à reporter une partie des semis au printemps ; enfin, ceux qui avaient le plus de recul et surtout des couverts, ont, en grande partie, réussi leurs implantations sans trop de difficultés et sortent de cet hiver dévastateur avec des céréales en bon état et prometteuses.

Et comme toujours, ces parcelles qui donnent envie et ces réussites ne vont pas marquer les esprits et donner le cap vers lequel il faut tendre. Non, ce sont les autres, les parcelles avec des levées disparates, les parcelles avec des trous et les parcelles qu’il va falloir ressemer qui vont servir d’alibi à beaucoup pour ne pas changer et rester campés sur leurs positions même si elles ne sont pas si solides et cohérentes que cela.

Puisque l’on ne voit que ce que l’on veut bien regarder et que l’on analyse toujours avec le biais de sa pensée et de ses convictions, je vous propose une toute autre lecture au travers d’une rétrospective en images de quelques situations rencontrées pendant les journées de formations de cet hiver.

Sud Ouest : beau labour
La terre ouverte en train de sécher et le lissage des raies en surface donnent une bonne idée de l’état du fond de travail. Cette approche conventionnelle dans les sols argileux permet et garantit une reprise facile et une bonne qualité du lit de semence grâce à la fragmentation de l’argile par l’hiver. Cependant, ce travail se fait souvent au dépend de la structure en profondeur. En TCS, et surtout en SD, c’est la situation inverse, tout du moins au départ : le lit de semence est plus compliqué à réaliser mais l’organisation structurale est préservée.


Bretagne : deux sols qui communique pas assez
Le labour et le travail répété à une même profondeur tendent à créer dans le meilleur des cas deux zones distinctes qui limitent l’exploration profonde du sol par les racines et l’activité biologique. Une semelle peut apparaître plus ou moins rapidement et limiter encore plus les contacts et échanges entre les deux couches.

À l’inverse, dans une parcelle voisine gérée depuis quelques années en TCS, les vers de terre ont commencé à ouvrir des brèches et recréer une connexion qui va s’étoffer dans le temps.


Centre : battance et début d’érosion sur parcelle semée à l’automne
Lorsque le sol est beaucoup plus fragile, l’agression de la pluie ferme rapidement la surface, entrainant l’asphyxie de la couche retournée surtout si il y a des matières organiques à décomposer. Cette battance accentue également le ruissellement de l’eau qui va entraîner de la terre mais aussi augmenter les risques de transfert de pesticides et d’engrais. Il n’y a pas que des parcelles en TCS et SD qui n’ont pas survécu à l’hiver !


Est : reprise en masse de l’ancienne zone labourée
Sans structure ni activité biologique un sol peut s’effondrer progressivement sous le seul effet du climat. Bien entendu l’impact du trafic est très amplificateur, surtout lorsqu’il a lieu en période critique. Dans ce cas de figure, même en TCS, un ameublisseur sera nécessaire pour redonner suffisamment de porosité afin de permettre à ce sol de repartir. Par contre, un travail trop violent avec trop d’affinage ne pourra résoudre que momentanément la situation : à la première pluie importante ce sol sera de nouveau repris en bloc.


Sud Ouest : Ruissellement « hypodermique »
Le travail grossier facilite l’infiltration rapide de l’eau. Mais que devient-elle lorsqu’elle ne peut pas gagner rapidement les couches profondes : elle s’accumule, formant un Gley (taches bleutées) autour de la matière organique qui est enfouie ; elle finit par ruisseler sous le labour en suivant la pente, entrainant avec elle une bonne partie de la fertilité.


Sud Ouest : Colza sur lame d’eau
Ce phénomène est également observable sur une culture en place, comme ici sous un colza. L’eau profite de la semelle imperméabilisée et des résidus qui viennent d’y être déposés pour ruisseler. Si elle ne parvient pas à sortir de la parcelle, elle s’accumule dans les points bas. Elle y perturbe le fonctionnement du sol et nuit à un enracinement profond qui aurait permis à la culture de mieux profiter de la fertilité et de moins souffrir du futur stress hydrique de la fin de printemps.


Sud : les défauts de circulation d’eau peuvent persister assez longtemps
Dans cette parcelle conduite en TCS depuis quelques années on observe que l’eau s’est correctement infiltrée dans la première partie du profil mais qu’elle stagne encore à 25-30 cm alors que le fond est loin d’être engorgé. Il faut du temps avant que les vers de terre ouvrent des voies de circulation et verticalisent le profil. Malheureusement et c’est bien ici toute la difficulté, on ne passe pas d’une situation chaotique à un sol avec une bonne organisation structurale en une seule campagne. Il faut beaucoup d’attention, du temps et une gestion appropriée d’autant plus que le sol est fragile et a été souvent « maltraité ».


Sud Ouest : Des Centaines de tonnes de terre parties au fossé et à la Garonne
Souvent, en passant la Garonne à Bordeaux, on peut se demander d’où vient cette couleur opaque de la Dordogne et de la Garonne. En remontant dans la campagne on trouve rapidement la réponse à cette question. C’est tout simplement de la terre qui vient des zones agricoles. Dans des situations comme celle-ci on peut même parler en centaines de tonnes par hectare. Est-ce bien durable de refuser de voir la réalité en face et de continuer à travailler de la sorte ?


Un autre glissement de terrain sous une cultureSud : Glissement de terrain Avec la charge en eau, la fermeture du sol en profondeur et la présence de résidus faisant office de luge, le sol peut même glisser sur la semelle de labour. Certes, le profil de sol est maintenant facile a faire dans cette parcelle, mais les interventions et la récolte risquent d’être un peu compliquées. Bien qu’il s’agisse d’une situation extrême elle n’en est pas moins révélatrice des défauts d’organisation structurale que peut induire le travail du sol, des dysfonctionnements bien sur amplifiés par la pente et les à-coups du climat. Enfin, vu le décalage entre les deux parcelles en haut de la colline et le talus qui s’est formé, on imagine assez bien les érosions (aratoire et hydrique) qu’a déjà connues cette parcelle au cours des 50 à 60 dernières années de mise en culture.


Sud Est : Vigne dépourvue de végétation
De l’automne jusqu’à la fin mars, aucune végétation n’a réussi ou n’a été libre de se développer dans cette vigne alors qu’une grande partie des pluies arrivent pendant cette période dans cette région. Bien entendu le sol sera sec l’été revenu, mais pourquoi entretenir volontairement ce gaspillage d’une eau précieuse, cet essorage du peu de fertilité qui reste, cette désertification programmée alors qu’il est possible de produire pendant cette période de la biomasse, du vert, de la protection et de promouvoir la vie dans cette parcelle.


Verger dans l’Anjou : ce qui est vrai en culture l’est aussi en vigne et en arboriculture
Ce verger qui avait des soucis de production était sensé être sur une parcelle hydromorphe. A l’arrivée dans la parcelle l’eau qui stagne à la surface du sol « rassure » le producteur sur l’humidité du champ et le devenir de sa prochaine récolte.


Cependant aux premier coup de pelleteuse : que nenni ! La terre en dessous est presque « sèche », surprise ! En fait, l’eau ne s’infiltre pas en profondeur faute de racines et de galeries de vers de terre. La solution ? la même qu’en céréale. Limiter voire supprimer le travail du sol et surtout couvrir et produire de la biomasse pour protéger et nourrir une activité biologique performante qui seule permettra de redonner au sol sa fonctionnalité, une gestion cohérente de l’eau et de son auto-fertilité. D’autres agriculteurs des réseaux TCS l’on déjà bien compris et transfèrent leur pratiques et savoir faire à leurs vergers et leurs vignes comme ce couvert d’avoine croisé dans un verger du Sud Ouest à la même époque.


Couvert d’avoine dans verger du Sud Ouest