ESSAI BASE-FNACS DANS L’INDRE TCS ET SD, DES SYSTÈMES TECHNICO-ÉCONOMIQUES PERFORMANTS MAIS PERFECTIBLES

Matthieu Archambeaud - TCS n°71 ; janvier-février 2013

En 2007 Philippe Lion, agriculteur de l’antenne Base-Fnacs de Touraine, a mis en place et suivi un essai de comparaison entre le semis direct, le travail superficiel et le labour. L’essai a été installé dans l’Indre, sur la ferme de Jacques Charlot, céréalier en agriculture de conservation depuis une quinzaine d’années. La parcelle de 1,5 ha est située sur des limons battants (MOS = 2 % ; pH = 7,4). Les deux agriculteurs ont suivi et mesuré le maximum de paramètres agronomiques, techniques et économiques : la revue TCS fait le bilan après six récoltes.

La parcelle a été divisée en 4 modalités répétées 4 fois, plus un témoin labouré : TCS avec fissuration, TCS sans fissuration, semis direct avec fissuration et semis direct sans fissuration. L’essai est donc composé de 17 blocs de 24 m sur 72 m (1,7 are). La première année, en 2007, la plateforme a reçu trois cultures de printemps différentes (soja, sorgho et maïs) ; pour simplifier la situation et garder des résultats statistiquement significatifs, toutes les parcelles ont par la suite été cultivées de la même façon : un blé en 2008, un colza en 2009, un blé en 2010, un pois fourrager en 2011 et un blé en 2012. Les cultures à risque (cultures de printemps, colza ou pois) ont été fissurées ou non en travail simplifié pour observer l’impact du travail profond en TCS et en SD. Pour les blés 2010 et 2012, la structure ayant été jugée satisfaisante, aucune fissuration n’a été réalisée. Le parc matériel utilisé a été celui de Jacques Charlot, à savoir un SD 4000 Kuhn pour le TCS et le SD, un Carrier Vaderstad pour le déchaumage (un seul passage à une profondeur de 5 à 7 cm, un deuxième passage si nécessaire).

La fissuration a été réalisée avec un appareil équipé de dents Michel. Enfin, pour homogénéiser l’ensemble, les intrants et les dates d’interventions sont identiques dans toutes les modalités ; enfin, un couvert d’interculture systématique est semé sur toute la plateforme, labour compris.

Des problèmes d’implantation pénalisent les rendements jusqu’en 2011

Une observation rapide des rendements obtenus sur les six dernières campagnes montre de manière quasi systématique une baisse de 2 % à 10 % par rapport au témoin labour : ce constat est fait sur tous types de cultures avec diverses solutions de semis spécialisées. L’année 2012, sur laquelle nous reviendrons, est l’exception qui confirme la règle : le blé a été bien implanté et a, par conséquent, pleinement exprimé son potentiel.

2007  : les piètres résultats du semis direct en 2007 du maïs et surtout du sorgho (- 10 q/ha) sont liés à une mauvaise levée et à des manques sans doute liés au faible réchauffement du sol puisque les modalités TCS n’ont pas décroché (le sorgho étant plus exigeant en température et en qualité de semis). Pour semer le maïs, le prototype de semoir Afdi a été utilisé avec un positionnement et une régularité approximative qui expliquent les résultats ; le problème a sans doute été amplifié par une difficulté de gestion des pailles du couvert de lin précédent, une espèce très fibreuse. Quant au sorgho et au soja, ils ont été semés avec le SD 4000 : la grosse graine du soja a été bien installée au contraire du sorgho. Le résultat est aussi aggravé par des attaques de fusarioses plus sévères en TCS et SD sur maïs et sorgho à cause des résidus laissés en surface et à l’emploi d’une variété de blé sensible. Les résultats sur soja, très favorables aux TCS, ne sont pas à prendre en compte puisque le témoin labouré a subi une phytose liée à l’application de linuron.

2008  : la tendance est confirmée sur le blé 2008 qui subit des pertes de rendement de l’ordre de 10 % en système simplifié, fissuré ou non. L’explication est encore une fois le positionnement des semences dans une surface très encombrée de résidus coriaces et mal répartis ; l’effet précédent est ainsi parfaitement visible avec de meilleurs résultats derrière soja : moins de résidus et un précédent légumineuse favorable au niveau de la disponibilité immédiate en azote. Alors que l’écart de rendement est de l’ordre de 10 % derrière maïs et sorgho, il n’est plus que de 3 % derrière soja. En termes économiques, le blé en SD gagne de 12 à 20 q/ha s’il est placé derrière un soja plutôt que derrière un sorgho, tous modes de travail du sol confondus, ce qui confirme une nouvelle fois l’importance de la rotation en TCS et SD.

2009  : la tendance est beaucoup moins marquée en 2009 avec le colza (culture pourtant délicate en TCS/SD) : 39,5 q/ha en labour, 40,23 q/ha en TCS fissuré, 38,70 q/ha en TCS, 38,73 q/ha en SD fissuré et 36,95 q/ha en SD. Pour la première fois, les situations en TCS sont analogues voire légèrement supérieures au labour. Ce qui peut s’expliquer par la dégradation du profil dans le système labouré, avec un moins bon enracinement en conditions limitantes (printemps sec). Seul le SD non fissuré décroche, peut-être, et comme pour les cultures précédentes, en raison d’une faible minéralisation de départ, conduisant à la plus faible quantité d’azote absorbée avant l’hiver (46 kg/ha contre 69 kg/ha en TCS fissuré ou 78 kg/ha en labour). Comme pour beaucoup de TCSistes, ce sont ces résultats qui conduiront Jacques Charlot à associer des légumineuses gélives à ses colzas et à s’équiper d’un striptill (technique qui sera aussi utilisée sur l’essai pour toutes les modalités sans labour pour le colza 2012-2013).

2010  : la situation s’améliore en 2010 et devient très favorable au TCS et SD, malgré des attaques de campagnols plus marquées en simplifié dans le couvert de sarrasin qui a été établi en interculture. Le blé est semé sans fissuration, avec de bonnes levées et un salissement en vulpin très nettement supérieur en labour et TCS suite au travail du sol et ce malgré un programme chlortoluron à l’automne et Radar au printemps. Le rendement SD ne décroche pas, seul le TCS perd du rendement, sans doute à cause du salissement moins maîtrisé.

2011  : les résultats du pois d’hiver 2011 ne varient plus d’une technique de non-labour à l’autre (approximativement 30 q/ha, contre 33 q/ha en labour), ce qui semble indiquer que le sol est désormais bien organisé en simplifié et qu’il commence à se dégrader en système travaillé. Bien que les densités de levées soient meilleures en labour, le résultat en sortie d’hiver est comparable puisque le gel a détruit 13 % des pieds en labour (sol nu) contre 4-5 % en non-labour (protection physique par le mulch). Les 3 quintaux supplémentaires obtenus avec le labour pourraient être dus soit à une meilleure réserve en eau (effet cuvette et rétention d’eau au-dessus de la semelle de labour) soit à un meilleur drainage lié au travail du sol et qui a empêché l’asphyxie dans ces limons battants.

2012  : l’excellent résultat du blé 2012 confirme l’intérêt des TCS et du SD avec un rendement de 97,1 q/ha en SD, de 93,5 q/ha en TCS et de 87,2 q/ha en labour : le différentiel est bien entendu amplifié par le prix de vente élevé des céréales cette année, donnée sur laquelle nous reviendrons. Les composantes du rendement montrent un avantage décisif pour le non-labour dès le départ. Bien que le témoin labouré compense par la suite, le remplissage (PS) reste moins bon : enracinement du blé plus superficiel (voir encadré) alors que la fin de printemps a été délicate et sans doute aussi une alimentation minérale en fin de cycle plus faible. Le taux de protéines décroche en SD et TCS mais ce qui s’explique par une sous-fertilisation liée au dépassement des objectifs de rendement.

Si on tire le bilan de ces six années, on constate que c’est généralement l’implantation qui est pénalisante dans les techniques sans labour : encombrement des sols, réchauffement du lit de semences, manque de vigueur au démarrage qui peut conduire à des dégâts de ravageurs ou une moins bonne compétition visà- vis du salissement, etc. Les TCS justifient leur réputation de techniques compliquées de semis.

Un avantage économique avéré malgré des difficultés techniques

Cependant, l’analyse économique montre, à l’inverse des résultats techniques, que les économies réalisées sur les temps d’implantations ne sont pas négligeables et que l’impact est démultiplié en cas de réussite. Les résultats de 2007 ont été écartés en raison de l’extrême diversité des situations (cultures, semoirs, phytose, etc.). Philippe Lion a calculé le coût de l’implantation en se fondant sur les données « tarif d’entr’aide 2011 », à savoir un coût horaire de main-d’oeuvre de 15 €/h, charges comprises et un coût de traction de 27,60 €/h, gasoil compris, hors main-d’œuvre.

En combinant les différentes opérations, on arrive à un coût moyen par modalité qui est le suivant dans l’ordre décroissant (l’économie par rapport au labour est indiquée entre parenthèses).

On constate que la fissuration représente un coût extrêmement important que nous retrouverons dans le bilan final. D’autre part, pour calculer les écarts de marge brute, il a été tenu compte des écarts de rendement dans le bilan en retenant les prix standard Arvalis de la campagne 2011 : 187 €/t pour le blé, 420 €/t pour le colza, 350 €/ha pour le pois semence. Le résultat est compilé dans le graphique ci-contre pour chacune des cultures ainsi que le bilan global. En prenant chacune des cultures (graphe ci-contre), on observe qu’une implantation non maîtrisée est d’autant plus coûteuse qu’on a « sécurisé » le système (multiplication des passages, profondeur de travail, fissuration) : pour le blé 2008 et le pois 2011, l’échec du SD se traduit par une perte de l’ordre de 50 €/ha, mais qui peut monter à 130 €/ha si le travail est resté intensif. Dès que les rendements approchent ceux du labour, la situation s’équilibre voire est légèrement améliorée (colza 2009 et blé 2010).

La bonne surprise vient du blé 2012 qui combine à la fois de meilleurs rendements et des coûts d’implantation plus faibles  : la modalité TCS prend 170 €/ha au labour et le SD, 255 €/ha ! L’impact a de plus été atténué puisque le prix retenu a été de 187 €/t pour le blé alors que le prix réel en 2012 était plutôt de 250 €/t ; dans ce cas l’écart de marge réel est de + 209 €/ha pour les TCS et de + 279 €/ha pour le SD. Si on cumule ces résultats sur 5 ans et malgré des résultats techniques moindres, les TCS ont une avance de 83,50 €/ha et le SD de 194 €/ha.

Il faut souligner dans ces résultats, la faible compétitivité des systèmes en TCS et SD sécurisés par de la fissuration : le cumul d’un coût de réalisation important et d’une efficacité sur le rendement assez faible inverse la tendance : le labour devance le TCS fissuré de 187 €/ha et le SD fissuré de 221 €/ha alors que la fissuration n’a été réalisée que sur trois des cinq cultures  ! L’analyse économique de l’essai confirme qu’en matière de travail profond il faut faire ce qu’il faut mais rien de trop. Laissons la conclusion à Philippe Lion : « Il ne faut pas agir en fonction de l’année précédente ou de ce que l’on croit connaître du climat à venir ; en revanche, il faut savoir accepter les fluctuations annuelles des campagnes et savoir maintenir un cap pour se situer dans une moyenne. En conclusion pour faire du revenu et s’inscrire dans la durée, il faut avoir confiance dans la totalité du système que l’on cherche à mettre en place en ne tolérant que les petits ajustements dus à l’apprentissage.  »


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