Couverts d’interculture : les légumineuses ont une place à prendre

Jean-Pierre Cohan, Romain Légère, Jérôme Labreuche, Anne-Monique Bodilis ARVALIS-Institut du végétal ; Perspectives Agricoles - n°395 - décembre 2012

Les couverts d’interculture à base de légumineuses peuvent jouer un rôle important dans la progression des systèmes de culture vers une plus grande autonomie vis-à-vis des engrais azotés. À condition de résoudre les contraintes techniques inhérentes à leur physiologie et au coût de la semence, ils concilient fournitures d’azote à la culture suivante et limitation des transferts de nitrate dans les eaux.

La conjoncture actuelle pousse à concevoir des systèmes de culture productifs ayant moins recours aux engrais minéraux de synthèse. Le renforcement des légumineuses dans la rotation est l’une des voies à privilégier pour augmenter la fourniture d’azote aux cultures. Dans ce contexte, les couverts intermédiaires à base de légumineuses présentent de multiples atouts avec néanmoins des contraintes techniques à ne pas négliger.

Une implantation précoce s’impose

Premier atout : pour un même niveau de croissance, un couvert à base de légumineuse présente une teneur en azote plus élevée qu’une non-légumineuse du fait de sa capacité à fi xer le diazote de l’air. Il est donc susceptible de fournir davantage d’azote à la culture suivante. Encore faut-il qu’il ait le temps de se développer avant d’être détruit. Or, la faible vitesse de croissance de ces plantes les pénalise lors de l’interculture. Bien qu’il existe des différences entre espèces, voire entre variétés (1), tous les couverts à base de légumineuses (pures ou en mélange) nécessitent d’être semés tôt. La première quinzaine d’août est préconisée dans la plupart des régions du nord de la France car le couvert doit être levé au plus tard le 25 août pour atteindre un niveau de croissance satisfaisant l’automne/hiver. Pour les régions plus méridionales, un semis la deuxième quinzaine d’août est encore possible.

Des conditions d’humidité du sol limitantes

Mais ces implantations précoces ne bénéficient pas des conditions optimales : il est donc nécessaire de profiter de l’humidité résiduelle grâce à des techniques de travail du sol et de semis adéquates. D’autre part, semer tôt son couvert peut perturber les opérations mécaniques de lutt e contre les adventices. Compte tenu de leur temps de croissance relativement long, les légumineuses sont par ailleurs diffi ciles à utiliser dans le cadre d’interculture courte. Néanmoins, des travaux sont en cours pour trouver des solutions à ce problème (zoom p. 40). L’autre frein à la mise en place de ce type de couvert réside dans le coût généralement élevé de la semence, qui incite à optimiser ce poste de l’itinéraire technique au regard des bénéfices attendus du couvert. En pur, les semences certifiées de légumineuses coûtent fréquemment entre 35 et 70 €/ha, et parfois même plus. Les associations non-légumineuses + légumineuses génèrent quant à elles des coûts souvent proches des 40-50 €/ ha, toujours en semences certifiées.

Un effet piège à nitrate non négligeable

Bien qu’elles tiennent une partie de leurs sources en azote du diazote atmosphérique, les légumineuses sont aussi capables d’absorber l’azote par voie racinaire. Lorsqu’elles sont utilisées en tant que couvert d’interculture, cela en fait-il de bons pièges à nitrate par rapport à des espèces dont l’efficacité est reconnue de longue date (crucifères, graminées…) ? Les essais menés par ARVALIS-Institut du végétal et ses partenaires ont permis d’évaluer cet eff et Cipan (Cultures intermédiaires pièges à nitrates). Il est bien réel, bien que moins important que celui des crucifères (fi gure 1). Cet eff et est toutefois moins lié à la quantité d’azote présente dans le couvert que dans le cas des non-légumineuses, pour lesquelles l’eff et Cipan est globalement proportionnel à la quantité d’azote absorbé. Les mélanges légumineuses-non légumineuses semblent quant à eux se comporter davantage comme des non-légumineuses.

Un autre essai implanté en terres de groies profondes sur la station ARVALIS – Institut du végétal du Magneraud (17) a confirmé l’intérêt des légumineuses en tant que Cipan. Il a consisté à comparer quatre types d’intercultures sur les pertes en nitrate mesurées dans les lysimètres lors de la campagne 2010-2011. Les couverts à base de légumineuses se sont bien développés (2,4 tonnes de matière sèche (MS) par hectare pour la légumineuse pure et 1,7 t MS/ha pour le mélange). Dans le contexte de l’année, marqué par un faible drainage (environ 190 mm à 1 m de profondeur), ce type de couvert ne s’est pas différencié en termes de flux d’azote par rapport aux graminées : les teneurs moyennes en nitrate des eaux ont varié de 9 à 13 mg/l pour les couverts par rapport à 55 mg/l pour le sol nu et les pertes par lixiviation ont été également moindres qu’en sol nu (figure 2). L’utilisation de légumineuses n’apparaît donc pas incompatible avec des objectifs de qualité des eaux dans des situations de faible drainage.

Ces couverts peuvent suffire comme piège à nitrate dans les situations de risque de lixiviation faible à modéré. Lorsque ce risque est plus élevé (stock d’azote minéral du sol important à l’entrée drainage, lame drainante élevée…), il est préférable de recourir à des mélanges mixant légumineuses et non-légumineuses. Les couverts à base de non-légumineuses pures (graminées, crucifères) sont de leur côté recommandés dans les situations les plus extrêmes en termes de risque de lixiviation.

Une fourniture d’azote accrue pour les cultures

Outre cet effet Cipan, les couverts d’interculture à base de légumineuses modifient deux postes de fournitures d’azote à la culture suivante. D’une part, ils ont tendance à avoir un effet neutre ou positif sur le reliquat sortie d’hiver alors que les non-légumineuses peuvent le réduire en cas de faible drainage (tableau 1). D’autre part, pour des productions de couverts équivalentes, les légumineuses présentent une meilleure capacité à restituer l’azote à la culture qui les suit. Ainsi, seuls les couverts à base de légumineuses peuvent prétendre sur le court/moyen terme à augmenter la fourniture d’azote aux cultures suivantes (figure 3). C’est ce qui ressort d’un essai implanté depuis 2006 sur la station ARVALIS de Boigneville (91). Plusieurs types de couverts mis en place avant orge de printemps ou blé dur y sont comparés chaque année. Les couverts de non-légumineuses présentent quant à eux un effet variable d’une année à l’autre qui est généralement neutre du point de vue pluriannuel.


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