Cultures de printemps : quelles options en dehors du maïs et du tournesol ?

Matthieu Archambeaud, TCS n°40 - novembre / décembre 2006

Si le maïs et le tournesol restent des cultures intéressantes du point de vue économique et agronomique, il peut cependant être intéressant d’élargir la rotation à d’autres espèces : panorama de quelques options en TCS et semis direct.

Sorgho, rustique et peu cher

Le sorgho et sa réputation de résistance à la sécheresse ont eu un franc succès cette année. Philippe Lion, céréalier du Sud Touraine, en a semé 40 ha en 2006 dans sa rotation à base de céréales d’hiver, de tournesol et de colza. Cette plante « d’été », ménage une bonne coupure pour contrôler le salissement, d’autant plus que la marge du tournesol s’est fortement réduite. Dans une zone où le maïs n’est pas irrigué, le sorgho est mieux adapté aux conditions sèches des dernières années tout en ayant un potentiel comparable. Une autre qualité essentielle de cette culture aux yeux de l’agriculteur c’est qu’elle est conduite avec des équipements classiques qui ne nécessitent pas d’investissements ni pour le semis, ni pour la récolte.

Cette année la Chambre d’agriculture de l’Indre-et-Loire a procédé à des essais d’implantation de diverses cultures de printemps sur des limons hydromorphes à Noyant de Touraine ; en ce qui concerne le sorgho, il s’est avéré que plus le sol a été travaillé, moins bonne a été la levée. En fait, il apparaît que les semences du sorgho, de petite taille, apprécient un lit de semence correct et non motteux. Un travail de surface dans de mauvaises conditions peut compromettre la levée et favoriser les limaces. Chez P. lion, SDiste averti, la structure des sols est excellente ce qui a sans doute permis un semis direct intégral réussi ; à l’inverse, chez lui, les préparations de sol ont nui à la densité. Cependant, et contrairement aux autres cultures de printemps, le sorgho peut pardonner une partie des erreurs d’implantation puisqu’il a conservé des possibilités de tallage et peut pallier au manque de densité. Il peut par contre se créer des décalages dans la maturation et par conséquent des retards dans la récolte. En ce qui concerne la date de semis le sorgho exige des sols plus réchauffés que le maïs et « il faut avoir le courage d’attendre et c’est le plus difficile » : Philippe Lion pense qu’il ne faut pas semer avant le 10 mai, tout du moins en Touraine Sud.

Sorgho

Une fois installée, la culture développe un système racinaire extrêmement puissant qui lui confère sa bonne résistance à la sécheresse tout en assurant une structuration du sol et des propriétés de « pompe » à nutriments : cette année sur la ferme les apports ont été de 120 unités d’azote uniquement pour un rendement de 63 qx/ha en terres d’alluvions et 53 qx sur les plateaux de limons sableux. Des racines abondantes et profondes, ainsi qu’un fort volume de pailles permettent de sécuriser le chantier de récolte : P. Lion a pu récolter dans de bonnes conditions sur ses sols en limons fragiles, malgré quelques 77 mm de pluie dans les jours précédents. En sortie de récolte et malgré l’abondance des résidus, le semis direct sur les pailles est tout à fait possible voire favorisé car les chaumes restent debout et tiennent bien le sol. Le semis direct semble même préférable car il peut exister des problèmes d’allélopathie sur les cultures suivantes dès que les résidus sont broyés et / ou enfouis.

En terme de coûts, la culture du sorgho est relativement économique, qu’il s’agisse des semences (coût plus faible que pour le maïs), de la fertilisation ou de la récolte qui n’a demandé que peu de séchage cette année (19,5% d’humidité sur pieds pour une norme équivalente à celle du maïs, soit 15%). De plus la culture étant relativement nouvelle il n’y a pas encore besoin ni de traitement fongicide ni de traitement insecticide. Cependant le désherbage reste délicat car le spectre d’action des spécialités homologuées est étroit. P. Lion note qu’il n’existe aujourd’hui pas de moyen de contrôler le panic ou faux millet : malgré un traitement isard-prowl une des parcelles a été fortement infestée.

Soja, facilité d’implantation et de récolte en sols fragiles

Bertrand Patenôtre cultive 176 ha, situés majoritairement en Champagne crayeuse. Sa rotation est très diversifiée et son assolement compte généralement une dizaine d’espèces différentes qui varient d’une année à l’autre en fonction des objectifs et des besoins ; on y trouve de la betterave, de la luzerne, du blé, de l’orge de printemps, du soja, du chanvre, du colza, du ray-grass semence, du tournesol et parfois du sarrasin, de la féverole ou des vesces pour la production de semences des couverts d’interculture. L’intégration d’une légumineuse est important sur l’exploitation et les objectifs sont notamment d’économiser sur les engrais minéraux, de favoriser l’activité biologique et d’augmenter les taux de matières organiques. Si dans les terres saines de Champagne crayeuse la culture de luzerne ou de féveroles en interculture remplit cette fonction, il n’en est pas de même dans les terres drainées de Champagne humide.

Dans les 30% de l’exploitation situés en Champagne humide, les conditions de sols posent des problèmes d’implantations pour les cultures de printemps, ce qui demande souvent des interventions de nuit tôt dans l’année pour semer sur sol gelé. Le maïs quant à lui n’est pas cultivé pour des problèmes de récolte et de gestion des résidus qui peuvent compromettre l’implantation de la culture suivante, mais aussi par manque d’équipement. Pour remplir son objectif « légumineuse » dans ces terres fragiles il recherche une plante au potentiel économique et agronomique intéressant, ne posant pas de souci d’implantation ou de récolte. Dans ces terres le pois ne donne rien, tandis que la féverole coûte cher et pose des problèmes d’implantation (semis la nuit en sol gelé à partir du 31 janvier) et de désherbage, mais également de récolte qui intervient en même temps que celle du blé. C’est l’expérience d’un voisin qui cultivait autrefois du soja en dérobé derrière escourgeon avec de bons résultats qui l’a mis sur la voie : depuis six ans cette culture est donc systématiquement cultivée en Champagne humide.

B. Patenôtre a tout d’abord établi une rotation à base de blé, de soja et d’orge avant de la diversifier et d’y inclure du colza (à l’essai sur une des parcelles) : la succession devient donc soja – blé – orge ou colza. Le coût est réduit grâce à l’emploi de semences de ferme, mais une analyse non OGM est systématiquement pratiquée. La date de semis tardive du soja permet des implantations saines au environ du 10 avril avec un combiné rotative ; en effet le « soja n’aime pas être serré » et supporte mal le semis direct aux disques ; de plus la rotative permet d’incorporer l’alachlore. Le semis est préparé par un passage de déchaumeur Rubin dans le couvert végétal établi après récolte du précédent. Le couvert est à base de radis, d’avoine, de vesces, de féveroles et de repousses et sa destruction est réalisée sur sol gelé pour préserver la structure.

La culture de soja étant peu pratiquée dans la zone, une inoculation des semences reste indispensable pour permettre la nodulation des racines et la fixation d’azote atmosphérique, bien qu’une demi-dose d’inoculum semble suffisante. Fait curieux, cette année B. Patenôtre a constaté un meilleur enracinement des plantes dans la bande témoin non inoculée ; le fait demande à être confirmé mais il se pourrait que dans des conditions d’accès plus difficile à l’azote (moins de nodosités sur les racines) la plante compense par un investissement dans une exploration du sol plus poussée pour aller chercher les éléments dont elle a besoin. En terme de désherbage le programme est classique avec alachlore (5L/ha) et ronstar (3 L/ha).

La maturité intervient suffisamment tôt pour récolter dans de bonnes conditions (à partir du 15-20 septembre jusqu’à début octobre), d’autant plus que le système racinaire du soja laisse une bonne structure de sol. De plus aucun séchage n’est nécessaire, la graine récoltée ayant moins des 14% réglementaires d’humidité. Les rendements restent très réguliers, entre 28 et 32 qx/ha depuis quatre ans, y compris cette année malgré un manque d’eau en juillet et de chaleur en août.

Lupin et pois, accroître l’autonomie des élevages en protéines

Séverin Gauvin, éleveur laitier de Loire-Atlantique, est à la recherche d’une autonomie en protéines et d’une ration alimentaire équilibrée pour son troupeau sur les 160 ha de son exploitation. L’alimentation des animaux est assurée au deux tiers par l’herbe, le tiers restant l’étant par de l’ensilage de maïs complémenté par des graines de lupin ainsi que du pois, paille et grain. Bien que les mélanges fourragers d’hiver lui semblent intéressants, il désire maintenir des cultures de printemps pour des raisons de temps dans un calendrier de travaux déjà très chargé ; le deuxième objectif est le contrôle de salissement dans une rotation riche en céréales d’hiver. Enfin, ayant testé que pour les mélanges « on ne récolte pas dans les mêmes proportions ce que l’on a semé », il préfère établir la ration lui-même dans la mélangeuse.

Le lupin, qu’il cultive depuis vingt ans, lui permet de produire facilement de la protéine à moindre frais avec peu d’interventions, avec un blé suivant facile à faire à moindre coût. Cependant les rendements restent très variables d’une année à l’autre et ne suffisent pas pour rendre la culture profitable. Aussi compte-t-il abandonner cette légumineuse en 2007 au profit du pois de printemps. Le pois protéagineux, jusqu’alors uniquement moissonné (50 qx/ha de grains en 2006), lui permet de choisir entre deux options : obtenir du grain et de la paille ou bien de l’ensilage. De plus les rendements du pois sont plus élevés et le désherbage plus aisé que pour le lupin. Alors que jusque là le lupin été positionné en terres séchantes et le maïs en terre humide, le pois sera installé sur toute la surface : bien que le maïs puisse subir un préjudice, la rotation sera allongée et passera de blé – orge – maïs (en zone humide) et blé – orge – lupin / pois (en zone plus sèche) à une succession maïs – blé – orge – pois suivi d’un colza. Dans la ration idéale qu’il vise, la valorisation du maïs passerait alors en alimentation grains humides et le pois en ensilage, paille et grains.

Pour S. Gauvin, les principales difficultés pour réussir le lupin sont une implantation assez aléatoire ainsi qu’un désherbage délicat en raison de la faible végétation aérienne de la plante (compensée par un système racinaire assez exceptionnel). Autre facteur pénalisant : la sensibilité de la formation des étages de fructification dépend assez fortement des conditions hydriques qui peuvent faire varier les rendements de 10 qx/ha sur une moyenne de rendement faible qui oscille entre 15 et 17 qx/ha. Si la culture est assez délicate à maîtriser un élément nouveau lui a cependant permis de produire 25 qx/ha en 2006 ; ce succès ne l’empêche pas de remplacer le lupin par le pois. Sur les conseils d’un technicien il réalise deux passages de herses étrilles en début de végétation. Le premier passage, six jours après semis avant la germination, permet essentiellement un contrôle du salissement. Le second passage lorsque les plantes ont 20 à 25 cm de hauteur est surtout destiné à donné un « coup de fouet » à la culture en minéralisant un peu de matières organiques, le lupin résistant fort bien au passage de l’outil. En effet, il semblerait que le manque d’azote au départ retarde le démarrage de la culture et complique par conséquent le désherbage. Avec l’interdiction de la fertilisation des légumineuses c’est par conséquent la culture entière qui est pénalisée, d’autant plus que le lupin semble avoir besoin de chaleur pour démarre. Pour pallier à ce défaut S. Gauvin utilise des couverts à base de navette avant pois et lupin : bien que plus délicate à détruire au printemps, la plante, qui reste verte tout l’hiver, lui assure une bonne structure de sol ainsi qu’une décomposition rapide des résidus au profit de la culture.

Les protéagineux, tout comme les céréales et le maïs, sont implantés à l’Unidrill ; cependant au printemps le sol est préparé par un ou deux passages de Vibroflex avec herse peigne et rouleau lisse lourd quand les conditions le permettent. Pour les futures implantations S. Gauvin étudie l’adaptation de dents droites de vibroculteur sur un châssis de décompacteur Duro suivi d’un rouleau lourd lisse pour préparer les semis. L’appareil lui permettant de passer précocement dans les parcelles pour affaiblir le couvert et préparer le lit de semence.

Lin et féverole pour abandonner les cultures à risques

Vincent Seyeux, céréalier dans la Mayenne, a abandonné les cultures de printemps classiques au profit du pois, du lin, de la féverole et du sarrasin. Dans son contexte de réduction des charges et des intrants, il qualifie de « cultures à risques » le maïs et le tournesol. Pour lui ces plantes nécessitent beaucoup d’interventions et coûtent donc cher sans garantie de succès, notamment à cause des ravageurs ou du coût des interventions. Bien que le lin graine, la féverole ou le sarrasin ne suivent pas la hausse des cours et se vendent parfois difficilement, il s’y retrouve grâce à une réduction optimisée des charges. Il affirme que « si on lâche les cultures marginales, on aura de plus en plus de mal à les maintenir ». Cependant, l’envolée des cours du blé, du maïs et des autres cultures conventionnelles, risque d’entraîner un abandon partiel des cultures marginales et donc de favoriser rapidement des prix forts en retour. Sa rotation s’organise donc de deux manières en fonction de la possibilité ou non qu’il a de faire du colza : blé – orge – pois – colza en terre non drainées, et blé – orge – féverole, lin, pois ou sarrasin en terres drainées. Dans les deux cas la présence d’une légumineuse reste indispensable pour l’agriculteur.

Malgré les difficultés de désherbage et de récolte, la féverole est maintenue dans la rotation pour sa capacité de fixation importante d’azote atmosphérique, la qualité du blé suivant et le couvert d’interculture gratuit qu’elle assure grâce à ses nombreuses repousses (léger mulchage et incorporation de colza après récolte). Paradoxalement, même si la culture peut se salir de manière importante, « c’est tellement sale, qu’après c’est propre », le désherbage de la céréale suivante est assez aisé si l’on a pris soin de bien gérer les graminées et les dicotylédones auparavant. Depuis qu’il cultive la féverole, V. Seyeux n’a pas cessé d’augmenter la densité de semis, passant de 30 graines par m² à 40 graines par m², puis à 50 graines par m² l’année prochaine. Cette densification n’a pas tant pour but le contrôle du salissement que la facilité de récolte : la densité forcerait les plantes à établir leur première étage de gousses plus haut, réduisant les pertes.

Contrairement à la féverole, le lin graine est une plante très facile à cultiver, très résistante à la sécheresse et qui laisse une structure de sol impeccable si on ne touche pas à la structure : d’après V. Seyeux le lin est quasiment aussi bon précédent à céréales qu’une légumineuse. L’implantation est aisée, aussi bien en TCS qu’en semis direct, et ce sans aucun risque limace. Le désherbage qui restait délicat est devenu facile et peu cher depuis l’homologation de l’Allié express et du Gratil qui sont utilisés en mélange à raison de 10 g/ha chacun : la culture de lin est donc devenu un excellent moyen de se débarrasser du gaillet avant céréales. En fait, la stratégie générale sur l’exploitation et la gestion du salissement potentielle dans la ou les cultures précédentes. Autre avantage, si la moisson reste délicate (paille filandreuse pouvant occasionner des difficultés de coupe et des bourrages), les graines mures restent sur pieds malgré vent et grêle et peuvent attendre une récolte tardive.

La diversité, un atout difficile à conquérir

Si les espèces alternatives ont des avantages agronomiques et parfois économiques, il ne faut pas occulter le fait que les filières commerciales n’existent pas toujours partout, et que par conséquent les organismes stockeurs fassent la fine bouche devant quelques tonnes de grains. Mais le circuit de distribution n’est pas le seul frein au développement des cultures alternatives : le manque d’expérience et de recul au niveau des pratiques culturales empêchent souvent le passage à l’acte. Cependant l’on sait maintenant qu’une des clés majeures de la réussite des systèmes en agriculture de conservation est la diversité. Une fois encore il faut prendre le sens commun à rebrousse-poil : c’est parce qu’il faut intégrer d’autres espèces dans la rotation qu’il faut prendre les moyens d’y parvenir, et non parce que ces espèces posent des problèmes qu’il faut continuer la monoculture.


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