APPRENDRE À LIMITER L’UTILISATION DU GLYPHOSATE : UN ENJEU MAJEUR À RELEVER PAR LES RÉSEAUX AC

Frédéric Thomas ; TCS n°68 - juin-juillet-août 2012

C’est l’arrivée d’herbicides non sélectifs, capables d’éliminer toute la végétation en place au moment des semis qui a permis le développement du non-labour. Aujourd’hui, TCS et SD sont souvent associés au glyphosate, voire dépendants de cette molécule qui est devenue l’herbicide le plus utilisé en France, mais aussi au niveau mondial notamment avec le développement des OGMs RR (Roundup Ready : cultures tolérantes au Roundup). Bien entendu, les TCSistes sont loin d’être les seuls utilisateurs, beaucoup d’agriculteurs céréaliers en utilisent mais aussi les viticulteurs et les arboriculteurs. L’efficacité de cet herbicide, pour un prix bon marché, fait qu’il est également beaucoup apprécié et utilisé hors agriculture par des professionnels, voire aussi de nombreux jardiniers et particuliers. Cependant, le revers de la médaille est que cette molécule, comme l’un de ces métabolites (l’AMPA), commence à être retrouvée dans les eaux de surface comme les nappes phréatiques avec à la clé des débuts de restrictions d’usage. En complément, son utilisation intensive débouche inévitablement sur des résistances et la recherche commence à démontrer quelques impacts négatifs sur l’activité biologique du sol et les cultures. Enfin, la « dépendance au glyphosate » est souvent un élément utilisé par les sceptiques des TCS et du SD, un facteur qui freine l’acceptation et un développement beaucoup plus large de ces pratiques. Pour toutes ces raisons, nous devions ouvrir ce dossier délicat avec pragmatisme afin de mieux comprendre les enjeux mais aussi envisager les moyens de réduire l’utilisation du glyphosate voire dans certains cas, s’en affranchir pour conserver l’accès et l’efficacité à cet « outil » extrêmement performant.

Le glyphosate, principe actif de l’herbicide Roundup a d’abord été breveté comme chélateur par Stauffer Chemical Co. en 1964 (U.S. Patent No. 3,160,632), une entreprise spécialisée dans le nettoyage de cuves de pulvérisateurs utilisées pour les produits chimiques. Ce n’est que dans les années 70 que Monsanto a breveté à son tour la même molécule en tant qu’herbicide d’abord pour les vivaces et ensuite pour toutes les plantes (herbicide non sélectif). Facile d’emploi, efficace et relativement bon marché, le glyphosate est depuis 15 ans très largement utilisé par tous les agriculteurs mais aussi par des entreprises, des collectivités et enfin beaucoup de particuliers. En agriculture, l’arboriculture et la viticulture étaient et sont encore les plus gros utilisateurs. Pour les cultures céréalières et fourragères, hormis les producteurs en AB, pratiquement tous les agriculteurs utilisent du glyphosate et des enquêtes, aussi surprenantes que cela puisse paraître, montrent qu’il n’existe pas de réelle différence entre laboureurs et non laboureurs. Sa popularité et sa généralisation font qu’aujourd’hui la molécule comme son principal métabolite (l’AMPA) sont retrouvés dans la majorité des eaux de surface comme souterraines (chiffres et informations plus précises sur les doses retrouvées et les normes – cf. graphe cidessous).

Cette prédominance, comme cela a été le cas pour l’atrazine il y a 20 ans, interpelle les responsables de la qualité de l’eau et les milieux écologistes. Le glyphosate est donc en première ligne et sous haute surveillance avec déjà des restrictions d’usage qui pourraient se durcir si aucune amélioration concrète en matière de qualité de l’eau n’arrive rapidement. Cependant, le dossier « glyphosate » ne doit pas être abordé et géré comme celui des nitrates, mais traité avec objectivité et pragmatisme afin d’éviter des sanctions, voire des interdictions qui seraient fort regrettables.

Des fonctions multiples et des risques différents

Le glyphosate est utilisé dans des situations extrêmement variées. Hors parcelle, c’est la matière active la plus utilisée pour le désherbage des cours, des abords de ferme, voire des tours de champs bien qu’il soit interdit sur les fossés. Ces lieux, où il est généralement surdosé, sont relativement imperméables avec des risques de transfert forts. Si on considère la dose seuil de potabilité de l’eau qui est de 0,1 μg /l (norme DCE), 1 g de glyphosate qui arriverait dans l’eau contaminerait 1 000 m3 et donc 1 l de glyphosate 360 contaminerait 360 000 m3. Au niveau des parcelles, fidèle à ses origines, il est la principale matière active utilisée pour la gestion des vivaces où son efficacité très appréciée ferait cruellement défaut. Il est aussi souvent utilisé dans la destruction des couverts et le développement des CIPANs, plus que les couverts végétaux, a conduit à une augmentation des quantités pulvérisées. Enfin, sa dernière zone d’action est l’élimination des repousses et du salissement avant reprise ou semis. Pour ces utilisations, les risques sont réduits mais pas nuls et dépendent bien entendu de la dose et du moment d’application, du sol (les ions calcium vont mieux capter la molécule), de son activité biologique, de sa couverture et des interventions mécaniques qui vont suivre. Au vu de la complexité des risques en fonction des multiples facteurs en jeu, il est cependant difficile et incongru de dresser une responsabilité particulière. Il est plus judicieux que chacun cherche à réduire son utilisation et soit plus attentif aux lieux et modes d’application afin de réduire drastiquement les quantités utilisées mais aussi et surtout l’incidence de la molécule dans les eaux pour le bénéfice de tous.

Le glyphosate, pilier des TCS et surtout du SD

Si la simplification du travail a émergé avant l’arrivée des herbicides non sélectifs (Paraquat en premier et Roundup ensuite), la possibilité d’éliminer chimiquement la végétation en place au moment du semis a vraiment permis l’extension des TCS et surtout du semis direct depuis le milieu des années 70. Les firmes phytosanitaires, qui avaient des intérêts évidents, ont d’ailleurs largement communiqué sur les bénéfices des pratiques de conservation des sols, ont soutenu et encouragé leur développement dans le monde mais aussi en Europe et en France. C’est en partie grâce à elles mais aussi au glyphosate que nous avons pu nous aventurer sur les chemins de la simplification du travail du sol, progresser, insérer positivement des couverts végétaux performants, adapter les rotations et déboucher aujourd’hui sur des concepts beaucoup plus globaux, pertinents et cohérents comme l’Agriculture Ecologiquement Intensive (AEI). Les bénéfices indéniables qu’il apporte en matière d’agronomie et d’environnement lui valent même une certaine tolérance pour la destruction des couverts en TCS et SD dans certains départements. Si le glyphosate a été une formidable aubaine, un pilier pour la simplification du travail du sol, au cours des années nous avons, cependant, réussi à réduire de manière significative les quantités moyennes/ ha utilisées grâce à plus de précision, de connaissances mais aussi par le développement de couverts performants et l’introduction de la destruction par roulage. Malgré ces progrès et plutôt que de se positionner sur la défensive en reportant la responsabilité sur d’autres utilisateurs, il faut admettre que nos systèmes de culture, même s’ils sont extrêmement performants et cohérents à de nombreux points de vue, restent en grande partie dépendants de cette molécule. Nous sommes donc en partie responsables et devons réfléchir et expérimenter afin de continuer de réduire l’utilisation du glyphosate dans nos pratiques. Limiter cette dépendance, c’est limiter les risques liés à une utilisation intensive, c’est aussi donner plus d’accessibilité aux TCS et SD à de nombreux agriculteurs qui sont réticents à l’utiliser de manière systématique, c’est accéder à plus de reconnaissance de la part de la recherche et des responsables environnement qui tendent à faire blocage sur ce seul point négatif et c’est enfin encore mieux interconnecter nos réseaux avec les réseaux AB pour des échanges fructueux.

Le cas particulier des OGMs RR

La non sélectivité et l’efficacité de cette molécule simple d’utilisation mais aussi les difficultés de désherbage sélectif de certaines cultures revenant trop souvent dans la rotation, voire produites en monoculture comme le soja ou le maïs, ont conduit au développement des OGMs RR (Roundup Ready : résistants au glyphosate, la matière active du Roundup). Ce changement de stratégie, malgré un coût nettement supérieur pour l’utilisation de cette technologie, est apparu comme une solution prodigieuse et simple d’emploi qui a rapidement colonisé le continent américain du nord au sud ainsi que d’autres pays comme l’Australie et même la Chine. Cependant, après plus de 10 ans d’utilisation intensive, de nombreuses adventices commencent à faire de la résistance obligeant à la surenchère technologique avec d’autres OGMs et la réintroduction de programmes de désherbage sélectif parallèles. Quelle que soit la technique, les processus naturels contournent toujours le manque de diversité que les agriculteurs essaient d’imposer dans les champs. Les OGMs ne sont pas la seule cause du développement de résistance au glyphosate, déjà des utilisations intensives et répétées ont conduit à l’apparition de souches résistantes, notamment le ray-grass en Australie. Cette perte d’efficacité, qui met de côté quasiment la seule molécule non sélective et systémique, est inquiétante pour l’avenir et peut remettre en cause son utilisation et même nos approches culturales. C’est enfin le dessus de l’iceberg qui doit nous interpeller et nous engager à plus de prudence.

Impact du glyphosate sur le sol et les cultures

Le glyphosate n’est pas une matière active aussi neutre et se dégradant aussi rapidement au contact du sol qu’initialement présenté. Lorsqu’il est appliqué sur des végétations en croissance, le produit s’accumule dans les méristèmes (jeunes racines et pousses) et se retrouve en partie rejeté dans le sol via le système racinaire. À ce niveau, il agit et perturbe l’écosystème sol avec des conséquences pour les plantes. En fait, beaucoup de nutriments (éléments minéraux et surtout oligoéléments) sont des constituants des structures végétales mais aussi les composants des activateurs, des inhibiteurs et des régulateurs des processus physiologiques. Beaucoup de produits phytosanitaires et herbicides fonctionnent comme des chélateurs et bloquent (chélatent) des ions tels que la magnésie, le manganèse, le cuivre, le fer, le calcium, le zinc, etc. Souvent, la réduction ou l’élimination d’un seul micronutriment perturbe toute une fonction biologique, troublant en conséquence la physiologie de la plante pouvant aller jusqu’à être létale. Pour le glyphosate, l’activité herbicide est basée sur l’inhibition de l’enzyme 5-enolpyruvylshikimate- 3-phosphate synthase (EPSPS) catalysant la première étape de la voie des shikimates du métabolisme secondaire des plantes (http://www.greenpasture. org/utility / showArticle /  ?objectID=7213).

Il chélate donc tous les ions positifs dans le sol sans sélectivité et participe ainsi à l’immobilisation de nutriments comme le Ca, Co, Cu, Fe, K, Mg, Mn, Ni, Zn réduisant leur absorption par les plantes. Cela signifie qu’il agit sur toutes les réactions enzymatiques (d’où son caractère non sélectif) dans lesquelles ces cations sont impliqués et inhibe le système naturel de défense des végétaux fondés sur des métabolites secondaires comme des alkaloïdes et des phytoalexines, avec une action peut-être plus visible sur le Mn et Zn. En conséquence, la disponibilité en nutriments est réduite et la plante devient faible et plus sensible aux maladies et ravageurs. En d’autres termes, ce n’est pas le glyphosate qui « tue » directement la plante mais l’ensemble des infections potentielles qui profitent de la disparition du bouclier immunitaire sur un individu en difficulté pour s’alimenter. À ce titre, des expérimentations assez simples montrent que des végétaux cultivés sur des sols stérilisés sont quasiment insensibles au glyphosate alors que la plante voisine sur un substrat vivant disparaît en quelques jours aux mêmes doses. Ceci n’est pas un souci, bien au contraire, pour la plante ciblée que l’on cherche à éliminer, cependant, avec la systématisation des traitements, l’impact de la molécule tend à persister dans le sol et à orienter durablement l’activité biologique. Comme l’état nutritionnel d’une plante dépend d’interactions entre des facteurs qui déterminent la disponibilité en nutriments et le niveau d’attaque de maladies et ravageurs, les cultures se trouvent progressivement affaiblies. Ainsi, des études montrent que l’utilisation intensive et répétée de glyphosate entraîne une perturbation du complexe immuno-nutritionel pouvant déboucher sur des pénalités de rendement et une augmentation des pathogènes et maladies. Cette sensibilité ouvre même les portes à des maladies « bénignes » qui peuvent devenir préjudiciables. Il ne faut pas nier des évidences appuyées aujourd’hui par des connaissances scientifiques avérées qui corroborent des soupçons et des observations. Cependant et au vu des quarante années d’utilisation, des quantités pulvérisées à l’échelle mondiale et de l’ensemble des recherches réalisées à son encontre, il ne faut pas non plus surfaire les risques apportés par cette molécule.


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