L’AGRICULTURE DE CONSERVATION À GENÈVE : UN PREMIER BILAN POSITIF APRÈS TROIS ANS DE TRAVAIL SUR LA MISE EN OEUVRE STRICTE DES PILIERS DE L’AC

Nicolas Courtois ; TCS n°67 - mars/avril/mai 2012

Les agriculteurs genevois étant de plus en plus demandeurs de conseils sur les techniques culturales simplifiées, AgriGenève - la chambre d’agriculture genevoise (suisse romande) - investit dans ce sens depuis 3 ans. Dans un souci d’efficacité et suite à l’apparition des premiers symptômes des « TCS intensifs », l’accent a rapidement été mis sur la réduction maximale du travail du sol. Une question est alors revenue fréquemment : comment garder nos terrains et nos cultures en bon état sans intervention mécanique ? Grâce à la dynamique d’un groupe d’exploitants et des références acquises sur les essais menés par le service technique d’AgriGenève, les réponses arrivent peu à peu. Les principes fondamentaux de l’agriculture de conservation (couverture des sols, travail minimum et rotation culturale) apparaissent bien sûr comme les réponses essentielles. Appliqués de manière stricte, les résultats sont motivants et donnent des idées à explorer. L’optimisation des espèces végétales à disposition, avec par exemple les cultures associées, font partie des voies à approfondir.

Bien que l’on associe Genève à une importante ville, c’est également le nom du canton suisse le plus occidental. Disposant d’une surface agricole de plus de dix mille hectares, les grandes cultures sont majoritaires dans le paysage agricole genevois et côtoient la viticulture, le maraîchage et l’élevage.

Semis direct

et couverture des sols stricte L’arrêt du labour est une technique courante sur Genève depuis de nombreuses années dans l’optique d’économiser du temps. La charrue a alors été remplacée par un travail du sol intense à l’aide d’outils à dents ou à disques. Mais, conscient que l’on pouvait aller plus loin dans la démarche de simplification, un groupe de TCSistes s’est penché sur le semis direct.

Un voyage réalisé en 2009 chez des pionniers français en la matière a permis de « décompacter les esprits » et a engendré une multitude de questions concernant la mise en oeuvre du semis direct sur les terres genevoises. Pour réduire les interrogations, la priorité a été donnée à l’application des trois principes de l’agriculture de conservation. Suite au voyage, l’achat de semoirs de semis direct a permis de résoudre les soucis de semis dans des volumes importants de matières organiques. Les questions concernant le travail du sol ont alors été supprimées. Les efforts se sont ensuite portés sur l’utilisation des couverts : comment et quand les semer, quelles espèces, comment les détruire… ? Pour fournir des réponses, différents essais suivis par AgriGenève ont été mis en place pour tenter d’obtenir des « recettes » de couverts végétaux appropriés aux intercultures locales.

Couvrir

une interculture courte Un enchaînement de cultures fréquent à Genève est la mise en place d’une orge après un blé. Le faible laps de temps disponible ne facilite pas la production de biomasse. Pour optimiser les soixante-dix jours en moyenne à disposition, AgriGenève met en place depuis trois ans un essai de couverts courts sur une parcelle de Christophe Bosson, un des premiers non-laboureurs genevois. L’idée est de sélectionner les espèces susceptibles de répondre aux exigences de cette interculture et de les tester en pur puis en mélange.

L’objectif est de vulgariser par la suite le mélange limitant au maximum le salissement en interculture et favorisant ensuite l’orge (cf. figure 1). Après une première année d’essais, le mélange nyger-sarrasin- vesce a été retenu : le nyger pour son appétence vis-à-vis des limaces et sa croissance importante en conditions sèches ; le sarrasin pour son démarrage rapide et une lutte efficace contre les adventices et la vesce pour sa couverture du sol importante et son effet positif au niveau de l’azote. De plus, cette dernière peut repartir après le passage du faca et du semoir, ainsi elle accompagne l’orge avant l’arrivée des fortes gelées.

Après une deuxième année d’essais, le mélange a été étoffé avec de la féverole, pour son pivot, du lin, plante rustique en conditions sèches et non présente dans la rotation, et de la moutarde, plante dominante du mélange.

Comme on peut le voir dans la figure 2, ce mélange semble performant pour concurrencer les mauvaises herbes. L’ajout dans la ligne de semis, à l’implantation du couvert, d’un engrais contenant de l’azote et du phosphore (technique conseillée pour les semis de céréales d’automne) devrait encore augmenter son efficacité.

Essai couvert long

Le service technique d’Agri- Genève travaille également à la couverture du sol entre la récolte d’une céréale d’automne et le semis d’une culture de printemps, en prenant exemple sur un tournesol d’orge. Depuis trois ans, Jonathan Christin, SDiste à Aire-la- Ville, particulièrement engagé dans la mise en place d’essais permettant l’obtention de références utiles à tous, héberge sur son domaine un essai comparant près de 24 espèces différentes. Un mélange à base de pois fourrager, gesse, sorgho fourrager, avoine brésilienne, phacélie, nyger et radis chinois est pour le moment préconisé par AgriGenève (mélange 20 dans la figure 3). Mais comme le montre le graphique, il mérite d’être encore travaillé pour être le plus performant. Cependant, les résultats des différents mélanges sont assez réguliers avec un haut niveau de performance et confirment leurs avantages par rapport aux espèces en pure. Cet essai fait également ressortir l’efficacité du pois d’hiver, de la vesse et de la gesse fourragère.

Une certitude se situe au niveau du semis qui doit être effectué le plus rapidement possible après la moisson, en profondeur pour bénéficier de l’humidité résiduelle et ceci en travaillant un minimum le sol. Une fauche haute de l’orge permet de limiter le volume de pailles au sol et diminue les risques liés à leur décomposition précoce (préemption d’azote, possibilité d’allélopathie). Un répartiteur de menue paille monté sur la moissonneuse est un équipement indispensable, de même que l’application d’une faible dose de glyphosate si les chaumes ne sont pas propres. De nombreuses questions subsistent quant à l’utilisation des espèces végétales à disposition pour cette interculture. En effet, les couverts luttent efficacement contre les adventices jusqu’à la fin de l’hiver. Mais durant les mois de mars et d’avril, les parcelles se salissent, le couvert ayant été détruit par le gel. C’est pour cette raison qu’une bande de mélilot et de lotier est en test cette année. Une autre modalité prometteuse avec une approche de couvert relais est la numéro 21 (figure 3) qui consiste à semer un sarrasin juste après la moisson de l’orge, puis avant sa mise à graine, à ressemer un mélange sarrasin (occupation rapide de l’espace)-pois fourrager-seigle. Ce dernier se développe peu avant l’hiver et ne gèle pas, contrairement au même mélange semé deux mois plus tôt (bande 6 et mélange 14). Il peut donc repartir au printemps et continuer à occuper l’espace. Un passage de rouleau faca devrait le détruire juste avant le semis du tournesol.

Associer les couverts et les cultures

Les couverts associés sont une technique généralisée chez les SDistes genevois, et leur efficacité sur les adventices incite les exploitants à réfléchir sur les associations en culture, avec par exemple le colza. Après un premier essai réunissant différents modes de cultures innovantes du colza, les efforts se penchent maintenant sur les colzas associés. L’abandon de la charrue est souvent associé à une utilisation importante de désherbant, vraisemblablement à tort, si on en juge les programmes de désherbages de plusieurs SDistes genevois. Aussi, la réussite de colzas sans application de désherbant résiduaire est un bon outil de vulgarisation pour illustrer qu’il est possible de travailler différemment.

Les interrogations autour des colzas associés sont multiples, au niveau des dates de semis, du choix des espèces et du positionnement des espèces par rapport au colza. Est-il plus intéressant d’avoir des plantes qui accompagnent le colza en restant dessous ou inversement en le dominant ? Dans le premier cas de figure, le colza semble connaître moins d’élongation automnale et un redémarrage plus rapide au printemps. En revanche, la production de biomasse automnale par la ou les espèces accompagnatrices (trèfle nain, lentille…) est plus faible et ne permet pas d’obtenir un paillage conséquent au printemps. À l’inverse, l’utilisation d’un mélange de vesce, féverole et gesse permet d’obtenir un important couvert en automne dominant le colza et un paillage dense au printemps, plus rassurant pour maintenir les parcelles propres. Mais ce paillage semble favoriser l’élongation du colza et surtout freiner son développement automnal et sa vigueur printanière.

Malgré le peu de recul, deux ans d’essais en bande et quelques cultures en plein champ, il est possible d’obtenir un colza propre sans le traditionnel désherbage automnal, grâce aux associations. En revanche, la présence de graminées au printemps nécessite souvent une intervention spécifique. Concernant le cycle de l’azote, le développement et le rendement du colza, il est difficile de tirer des conclusions pour le moment.

Avec les observations encourageantes obtenues sur les colzas, l’idée de réaliser des tournesols associés est de plus en plus grande et stimulée par la faible efficacité de l’Aclonifène sur des volumes importants de matières organiques. Différentes associations sont mises en place ce printemps pour tester la faisabilité de cette technique avec, comme handicap principal, l’absence de gel pour détruire les plantes accompagnatrices. Cependant, ne serait-il pas intéressant de trouver des plantes (mélilot, lotier…) qui s’installent sous couvert de colzas et de tournesols et qui repartent une fois la moisson réalisée ? Le couvert étant ainsi déjà en place à la moisson du colza. Il existe aussi l’option de récolter la plante accompagnatrice, comme le réalise Christophe Bosson depuis deux ans, sur une partie de ses colzas auxquels il associe du sarrasin. Le semis mi-juillet d’un mélange sarrasin- colza lui permet de ressortir la batteuse en octobre pour récolter le sarrasin.

Ne pas négliger la situation initiale

Environ 700 hectares répartis sur tout le canton sont conduits, à ce jour, en système de semis direct sous couvert. Ceci représente environ 10 % des grandes cultures et permet d’obtenir des retours d’expériences dans différents contextes. Certaines parcelles donnent rapidement de bons résultats alors que d’autres fournissent des couverts aléatoires et des cultures chétives. Un facteur important à ne pas négliger semble être l’état de santé initial du sol. Il faut retrouver une activité biologique plus performante mais avant toutes choses deux points importants peuvent poser souci : le niveau de salissement de la parcelle et l’état structural du profil. Ces deux points dépendent beaucoup de l’historique de la parcelle. Une période précédente de TCS intensives ne se révèle pas toujours bénéfique sur l’état du sol. Sans avoir utilisé de couvert et en ayant réalisé des déchaumages successifs les années précédentes, la pression ray-grass et vulpin peut être forte dans ces parcelles et on retrouve facilement les anciens passages de déchaumeurs dans le profil. Ce dernier est souvent organisé horizontalement. Suite à ce constat, en partant d’un système labour, une période la plus courte possible de transition en TCS avec l’utilisation immédiate de couverts semble être plus efficace qu’une longue période de TCS pour réussir en semis direct rapidement. Les conditions d’interventions sont bien sûr prépondérantes et l’absence de cultures délicates pour le sol, comme le maïs grain et la betterave, sont des atouts pour les exploitants genevois.

Le facteur humain aussi important que les données techniques

Le semis direct sous couvert nécessite d’importantes références techniques. Mais ces données ne valent rien sans la volonté des exploitants de changer, d’innover, ceci envers et contre les craintes « psychologiques ». Il faut pouvoir assumer la vente de la charrue et les remarques de l’entourage. Des résultats médiocres sont un facteur supplémentaire pour faire douter.

Il n’est pas toujours évident de ne pas céder à la tentation de réaliser un travail du sol, simplement pour se rassurer.

Mais l’objectif étant de ne plus bouleverser le sol pour bénéficier au plus vite des bienfaits du semis direct sous couverts et d’un sol vivant, il faut savoir résister et avoir à l’esprit la volonté d’améliorer son sol. Les avantages économiques et de gain de temps sont à considérer en second lieu.

Les échanges entre pratiquants, les visites d’essais permettent d’avancer et de se rassurer. De même que les règles fondamentales de l’agriculture de conservation, ces points sont largement abordés dans les milieux spécialisés, il ne faut surtout pas les négliger car ils sont essentiels.


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