La caméline

Josephe Pousset, Aude Coulombel et Laurence Fontaine (ItAb) - ALTer AgrI n°96 ; juillet/août 2009

La caméline

D’après l’expérience de Joseph Pousset (Agriculteur-expérimentateur) Extrait du livre « Agriculture Naturelle »

Son nom scientifique est Camelia sativa. C’est une crucifère dont la culture a disparu en France depuis longtemps. A la fin du XIXe siècle, on en cultivait déjà moins de 1000 hectares sur le territoire national. Elle possède pourtant de réelles qualités :
- La rapidité de sa végétation, puisqu’elle mûrit trois ou quatre mois seulement après le semis.
- Sa sobriété lui permet de se contenter de terres « maigres ».
- Elle résiste bien mieux que le colza aux fortes chaleurs et au manque d’eau, à condition toutefois que la pluviométrie soit suffisante jusqu’à sa floraison.
- Elle peut remplacer les cultures d’hiver ratées car on la sème habituellement tard, entre la mi-avril et la mi-juin. Elle autorise donc, comme le sarrasin, une lutte efficace en fin de printemps contre les adventices pluriannuelles (rumex, chardons, laiterons des champs).
- Elle est peu sensible au froid.
- Autrefois, sa paille servait à chauffer les fours à pain et à couvrir les habitations.

On peut l’associer aux céréales de printemps ou à d’autres cultures de printemps. Cela améliore la maîtrise des mauvaises herbes dans ces dernières. La caméline me semble présenter un effet allélopathique assez net vis-à vis de beaucoup d’adventices mais cela demanderait à être précisé et confirmé par des essais et expériences plus nombreux dans des situations variées.

Ses graines renferment environ 30% d’huile autrefois réputée non comestible et d’une remarquable couleur dorée, de saveur et d’odeur un peu piquante. Cette huile brûle en donnant moins de fumée que celle du colza. On l’utilisait dans le passé dans la fabrication des vernis en savonnerie où elle remplaçait parfois l’huile de lin.

Dans les régions au climat doux et avec un peu de chance, il est possible d’obtenir deux récoltes de caméline sur la même parcelle au cours d’une année. On réalise pour cela un semis très précoce, en mars et un autre très tardif fin juin début juillet. Cette « performance » doit cependant rester une curiosité car elle n’est pas satisfaisante sur le plan de la rotation des cultures.

Culture de la caméline seule

Effectuez le semis de mi-avril à mi-juin après un travail du sol convenable, déstockages, faux semis et lit de semence bien nivelé et plutôt fin. L’idéal est d’obtenir des plants espacés de 10 à 15 centimètres en tous sens. C’est difficile par semis à la volée car les graines sont minuscules. Mélanger les semences à du sable ou à de la semoule peut aider à condition que le malaxage soit excellent.

Un semoir mécanique ou pneumatique en bon état et bien réglé permet plus sûrement d’atteindre l’objectif grâce à des rangs écartés de 15 à 20 centimètres, soit une densité d’une centaine de plants par mètre carré ; pas davantage. Cela correspond à environ 1,5 kilos de semences par hectare.

Le semis doit être très superficiel et suivi éventuellement par un roulage. Quand la terre est mal préparée, augmenter raisonnablement la dose de semences. Si pour une raison quelconque, la jeune culture est trop dense au moment de la levée, notamment après un semis à la volée, un peu « lourd », un hersage assez énergique permet de l’éclaircir. Mais il s’agit là d’une solution de rattrapage. Il est préférable de bien réussir le semis dès le départ.

Par la suite, aucune intervention n’est nécessaire. Ravageurs et parasites ne l’attaquent guère. On ne trouverait notamment ni altises ni pucerons dans les champs de caméline. La rouille blanche des crucifères pourrait cependant l’affecter mais je n’ai pas observé cette maladie lors de mes essais. Si c’était le cas, un traitement au souffre rendrait peut-être service. Si le semis a été effectué fin mai, la récolte a lieu en septembre lorsque les tiges jaunissent et que les petites siliques contenant des graines jaune rougeâtre se dessèchent. Le rendement est de 10 à 15 quintaux par hectare.

Culture en association

Associer la caméline à une autre culture est intéressant, nous l’avons dit, pour améliorer la maîtrise des adventices. Cela permet également de réaliser deux récoltes simultanément avec toutefois pour la caméline un rendement inférieur à celui obtenu en culture pure. Une possibilité est de semer un mélange caméline plus céréale de printemps. Choisissez de préférence l’orge ou le blé. L’association avec de l’avoine est possible également mais la caméline risque davantage d’être étouffée. Plusieurs manières d’associer la caméline avec la céréale sont envisageables. On peut semer les deux plantes ensemble si on dispose d’un semoir muni de deux trémies indépendantes. La première sème le blé ou l’orge en rang. La seconde doit déposer les graines de caméline entre les rangs de céréale très superficiellement. Elle peut également les laisser tomber sur le sol à la volée, derrière les organes d’enterrage de la première trémie et avant la herse d’enterrage si le semoir en possède une. On effectue ensuite un roulage si nécessaire, en cas de terre assez sèche et motteuse par exemple, pour que les petites graines de la caméline soient bien en contact avec le sol. Si le temps est pluvieux pendant plusieurs jours après le semis, le roulage (beau temps revenu) est souvent inutile. Cette manière d’opérer est excellente à condition que la deuxième trémie, celle où se trouve la caméline, soit munie d’un système de distribution réellement précis. Ce qui n’est pas toujours le cas, à voir selon des types de matériels. Une autre solution est d’installer les deux cultures séparément en gardant à l’esprit que la petite graine de la caméline doit être semée très superficiellement et placée en contact étroit avec la terre. Premièrement, semis de la céréale de la façon habituelle puis roulage si le sol est motteux, semis de la caméline avec tout système suffisamment précis (en lignes ou à la volée) puis si nécessaire nouveau roulage ou bien hersage très léger.

Les deux cultures peuvent être installées le même jour ou bien avec 4 ou 5 jours de décalage, la céréale d’abord, la caméline ensuite. Associer la caméline à une céréale de printemps oblige à la semer très tôt courant mars ou début avril en général dans la moitié nord de la France. Cela n’est sans doute pas idéal pour cette plante mais un semis plus tardif est risqué pour la céréale, surtout en année sèche, à chacun de voir selon sa situation. Dans tous les cas, semer la céréale plutôt clair. Si on a bien opéré, caméline et céréale mûrissent à peu près en même temps, la caméline souvent la première avec quelques jours d’avance sur la seconde.

La récolte ne pose pas de problème particulier. Lorsque la caméline est mûre, les graines sont libres dans leur capsule comme des billes dans un grelot. Réglez l’écartement du contre-batteur, la vitesse du batteur et les grilles de nettoyage pour la récolte de la céréale. Si votre machine est équipée d’un tarare qui permet un second nettoyage, placez-y la grille ou la tôle sans trous correspondant à la récolte des très petites graines comme le trèfle. Si vous utilisez une grille plus grosse par exemple celle correspondant au colza, une partie des graines de caméline se retrouve dans le sac situé en dessous, parmi les impuretés.

En cas de culture très propre, c’est évidemment une façon de récupérer au moins une partie de la caméline sans avoir à trier la récolte après moisson. Ce système de double nettoyage est excellent mais n’existe malheureusement à ma connaissance, que sur certains modèles anciens de moissonneuses batteuses.

Une fois la récolte effectuée, n’attendez pas pour séparer la caméline et la céréale sauf si le mélange est bien sec (moins de 13 ou 14% d’humidité). Repassez-la éventuellement dans le trieur pour enlever les impuretés. Sécher si nécessaire. La caméline peut être associée à des cultures de printemps autres que les céréales, par exemple le sarrasin, le pois protéagineux… les principes culturaux à respecter sont les mêmes en prenant en compte le fait que qu’il s’agit parfois comme dans le cas du sarrasin de plantes puissantes que l’on doit veiller à semer clair pour que la caméline ne soit pas trop concurrencée. Si la caméline et son associée sont installées par deux semis en lignes distinctes veuillez à les effectuer en les croisant pour que les rangs ne risquent pas de se superposer. De cette façon, elles occupent mieux le terrain.

Et les rendements ? Souvent peu différents d’une culture pure en ce qui concerne la céréale, très variable suivant les situations pour la caméline.

La caméline, la petite graine qui monte ?

Bien que très modeste en surface, la culture de la cameline semble se répandre. elle est de plus en plus présente chez des agriculteurs bio, en particulier dans les systèmes céréaliers. elle est le plus souvent cultivée en association avec d’autres cultures (lentilles, protéagineux…), car intéressante pour le rôle de tuteur qu’elle peut jouer et surtout pour son pouvoir concurrentiel : en occupant le terrain, elle limite le développement d’adventices indésirables. Certains la cultivent en pur, pour en valoriser l’huile si le débouché existe. Sa mise en place dans le système de culture doit être mûrement réfléchie : les possibilités de valorisation sont en effet très limitées (accès à une presse ; utilisation de l’huile à la ferme ; vente comme huile alimentaire - très peu répandue mais pourtant très riche en omégas 3…) et à prendre en compte face aux atouts qu’elle apporte dans la rotation. Trois producteurs de caméline en AB témoignent de leur expérience.

Mélange lentille caméline
Olivier R. (Val d’Oise) : 370 hectares en polyculture élevage

Adaptation de l’interview réalisée par Renan Maurice (CA 49), extraite de la fiche RMT « Diversifier les espèces : pour une meilleure gestion agronomique », en ligne dès septembre sur www.devab.org

Pourquoi avoir choisi cette association ?
J’ai fait le choix d’intégrer dans la rotation (quatre années de prairies suivies de quatre années de cultures plutôt céréalières) des légumineuses à destination de l’alimentation humaine plutôt par exemple que de la féverole qui aurait été trop abondante pour mon élevage alors que la surface consacrée à l’élevage est déjà très importante chez moi. J’ai opté pour une diversification de l’assolement en y introduisant des oléagineux : tournesol, colza, lin éventuellement. En légumineuses, mon équipement me permettait de produire de la lentille. Dans un premier temps, les résultats ont été mitigés : problèmes d’enherbement et de tenue de la culture. En fin de cycle, en cas d’été un peu humide, on avait beaucoup d’égrenage et de re-germination des lentilles tombées au sol. L’idée est alors venue d’y associer une plante qui puisse servir à la fois de couverture pour limiter l’enherbement et à la fois de tuteur. J’ai essayé avec de la caméline, qui marche bien, avec la difficulté de trouver la bonne dose !

Que vaut le rendement comparé à la lentille cultivée en pur ?
Les niveaux de rendement sont très proches. Sachant que l’on gagne en gestion du salissement (pas de désherbage) et en facilité de récolte, l’association se révèle très intéressante. De plus elle laisse des reliquats corrects, un peu inférieurs à ceux d’un pois.

Quelle est sa place dans votre rotation ? Comment écoulez-vous les récoltes ?
L’association intervient généralement en deuxième année de rotation « céréalière », derrière un blé (prairie-blé-lentille). Mais sa culture n’est pas systématique. Ce type de marché rencontrant vite ses limites, il ne faut semer que si l’on est sûr de vendre. C’est exactement la même problématique avec le sarrasin, le petit épeautre, les kamuts… La caméline ne pose pas de problème car peut avoir plusieurs utilisations : l’huile alimentaire et éventuellement comme carburant, pour améliorer l’autonomie énergétique de l’exploitation.

Le tri des graines est-il facile ?
Je trie moi-même avec un calibreur les graines de caméline qui sont de la taille d’une graine de luzerne.

Au niveau économique, comment jugez-vous cette culture ?
Mon choix est purement agronomique à la base. J’ai l’habitude de dire qu’on devrait raisonner les choses au niveau de la rotation, ou de la globalité de l’exploitation. J’utilise de la semence fermière pour la cameline ; la lentille me coûte environ 200 €/ha (semis à 100 kg/ha). Actuellement on peut estimer le cours de la lentille entre 500 et 600 €/t. C’est peut-être moins rentable qu’un maïs, mais à l’échelle de la rotation, je suis persuadé qu’on ne perd rien. Au global, ma ferme tourne, c’est l’essentiel ».

En pur ou association pour un débouché alimentaire
Christian V. (Deux-Sèvres) : 120 hectares de cultures

Quelle surface de caméline avez-vous ? Comment la cultivez- vous ?
Cette année, j’ai semé sept hectares de l’association lentilles caméline. C’est la première fois que je cultive la caméline en association. Jusque là, je la semais en pur et la vendais à la coopérative pour un débouché comme huile alimentaire. Les débouchés ne sont pas garantis car cette huile n’est malheureusement pas assez connue des consommateurs alors qu’elle est de très bonne qualité nutritionnelle. En pur, le rendement est d’environ 10 à 15 quintaux si semée à 15 centimètres en plein. Après un mois environ, pour que le pivot de la plante soit assez solide, je passais la herse étrille. Si je renouvelle la culture en pur, je sèmerai désormais à 30 centimètres pour pouvoir passer la bineuse à caméra dans un deuxième temps si la culture apparaît sale. Je sème la caméline à 5kg/ha une semaine avant la lentille en peu en biais pour ne pas écraser les rangs de lentilles. Tout est récolté ensemble en juillet. Les graines sont triées directement à la coop.

Quels sont les avantages de cette culture ?
« La caméline est très facile à cultiver. Elle mobilise peu de temps le terrain contrairement au colza. J’ai remarqué qu’elle attire les auxiliaires. Je n’utilise pas d’engrais même si un peu de compost pourrait sûrement augmenter le rendement. La caméline associée à la lentille lui fournit un bon tuteur, ce qui facilite la récolte. Le tapis de chaume de lentille/caméline qui reste après récolte fait un bon couvert végétal. Laissé sur place après un déchaumage léger après récolte, l’association fait un bon précédent pour une céréale.

Maîtrise du salissement des parcelles avec la caméline
Gérard M. GAEC t. (Yonne) : 400 hectares de cultures en bio.

Vous pratiquez diverses associations avec la caméline. Pourquoi ?
Nous associons la caméline avec de la lentille, du pois et de la féverole. La nature favorise la diversité des espèces en un même lieu. Elle s’emploie à faire pousser des plantes autres que celles que nous souhaiterions alors aidons-la et proposons-lui une diversité choisie avec des espèces qui peuvent être valorisées. La caméline est intéressante dans ce cadre. En plus, elle soutient les cultures principales, couvre la terre à la place des adventices et donc semble participer à nettoyer les parcelles. Par exemple, j’ai remarqué une diminution significative des chardons. Aussi, les pigeons occupés à picorer la caméline dont la graine est très petite s’intéressent moins aux lentilles ou aux pois. La caméline éloignerait peut-être aussi les bruches. Nous n’avons pas assez de recul pour confirmer ces observations qui restent à valider avec les prochaines campagnes. La caméline est très facile et rapide à trier, nous le faisons nous-mêmes avec un séparateur rotatif. L’impact de la cameline sur la culture en place ne semble pas pénalisante.

Quels sont vos débouchés ?
Nous aurons près de 100 hectares de cultures en associations qui peuvent nous donner près de 50 tonnes de caméline, ce qui est considérable par rapport au marché de niche que représente cette culture. Notre caméline partait pour l’Allemagne, mais ce marché est désormais compromis. Nous prévoyons d’acheter une presse pour faire de l’huile qui servira de carburant (en mélange à 30% avec du gazole).


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