Un maïs à 80 €/t de coût de production

Cécile Waligora, Cultivar - Mars 2009

Sur des terres marginales, Frédéric Thomas met à profit son expérience des TCS et du semis direct sous couvert pour développer l’agriculture de conservation. Une agriculture économe et autonome, basée sur trois piliers : le non-labour, la couverture permanente des sols et la rotation. Aujourd’hui, après dix ans, ses résultats le confortent dans la démarche. L’avenir, il en est convaincu, chiffres à l’appui, est à l’agriculture de conservation.

Le potentiel initial des terres de l’exploitation de Frédéric Thomas, dans le Loir-et-Cher, ne ferait pas des envieux. Sables, taux de matières organiques bas et hydromorphie : les voilà résumés. Pourtant, après dix années d’agriculture de conservation, l’exploitation sort des résultats plus qu’intéressants : des maïs à 80 euros/t de coût de production, des rendements proches de 100 q/ha, en sec. Lorsque Frédéric Thomas reprend la ferme familiale, il a déjà quinze années de recul sur les TCS et le semis direct. N’étant pas que paysan, son temps est compté. Le non-labour va donc, déjà, lui permettre d’en gagner. Avec les TCS, il implante aussi ses premiers couverts d’interculture, d’abord très simples. Mais ses taux de matières organiques sont si bas qu’il doit aussi, pour qu’ils remontent rapidement, en apporter de l’extérieur. Il décide, dès 2000-2001, d’intégrer une moyenne de 10 t/ha/an de compost de déchets verts sur les chaumes de céréales. Côté rotation, le Solognot se dirige vers des successions assez simples, plutôt hivernales, afin de simplifier ses travaux. Il supprime le maïs, traditionnel dans le secteur, et implante plutôt des céréales d’hiver et du colza.

Indispensables légumineuses

« Cette orientation rotationnelle m’a joué des tours. Vu le peu de temps que je pouvais consacrer à la ferme, j’ai manqué de rigueur. Très rapidement, des parcelles se sont salies, notamment en raygrass », évoque-t-il. La solution est de trouver un associé, qui puisse intervenir en son absence. C’est chose faite en 2003 avec Christophe Piou, agriculteur voisin, particulièrement ouvert à de nouvelles orientations techniques. C’est aussi une manière de diminuer les charges de mécanisation en partageant le matériel, voire d’investir plus facilement et d’innover davantage. Cela permet enfi n à Frédéric Thomas d’agrandir sa SAU qui passe de 90 à 120 ha. Après ces années un peu diffi ciles, le voilà nouvellement armé. « 2003 passée, les efforts ont commencé à payer », explique-t-il. Frédéric Thomas commence à mélanger les espèces dans les couverts, en incluant des plantes plus agressives comme le tournesol. Les tonnages passent alors de 1 t MS/ha à 3-4 tonnes. «  En même temps, il fallait aussi de l’azote pour faire de la matière organique. Nous avons alors intégré des légumineuses ». Chaque année, depuis 2003, 10 à 15 ha de la sole sont consacrés à l’essai de cultures annuelles de légumineuses (lupin, soja, féverole, pois d’hiver…). Si les résultats sont aléatoires, Frédéric Thomas, n’en démord pas : les légumineuses sont fondamentales. Les couverts en ont systématiquement. Devenus producteurs de biomasse, ils sont baptisés biomax !

Des couverts aux dérobées

La rotation s’ouvre à nouveau avec le millet, une culture à faible coût, faible marge et risque modéré. En 2005, l’agriculteur repart aussi sur le maïs. « J’avais intégré l’idée qu’il fallait produire et recycler un maximum de biomasse et le maïs, avec des sols qui gagnaient en qualité, pouvait être adapté. C’est aussi une culture assez facile à désherber, vu la panoplie d’herbicides disponibles. » Aujourd’hui, devant les bons résultats obtenus sur cette culture, celle-ci occupe 1/5e de la sole. « C’est la plante qui profite au mieux des améliorations du sol. Alors qu’en céréales, je suis revenu à la moyenne du secteur, j’ai déplafonné les rendements en maïs avec 97 q/ha en sec, en semis direct et dans les meilleures parcelles. Sans compter que le maïs a aussi réglé, en partie, le désherbage !  » L’agriculteur note déjà des économies. L’année passée, il a appliqué une sulfonylurée sur seulement un tiers de la sole de céréales. Et cette année, peut-être pas du tout : « Mi-février 2009, les blés ne sont toujours pas désherbés, avoue-t-il. Il y aura sans doute un petit rattrapage de printemps, mais nous ne sommes plus dans des situations d’urgences. Je mesure, ici, la vraie force d’une rotation. C’est l’outil premier de maîtrise du salissement.  » Le trèfle, grâce à un contrat avec Jouffray Drillaud, a aussi été intégré. «  En place durant deux ans, c’est moins de travail, plus de structure, plus d’azote et encore moins de salissement  », explique F. Thomas. Nous sommes donc parvenus à produire plus de matières végétales, notamment avec les mélanges de couvert, parfois jusqu’à 8 t MS/ha. Pourquoi ne pas envisager, au lieu du couvert, une deuxième culture, en dérobée ? Nous aurions une récolte supplémentaire et des frais en moins ! » Pour la première fois, en 2007, un millet a été récolté ainsi, derrière un pois. Un blé a suivi, puis un trèfle incarnat sous couvert de sarrasin, lui-même récolté. « Celui-ci a laissé la place au trèfle qui continue son développement. Derrière, nous referons une nouvelle dérobée  », indique l’agriculteur. Si les premières années n’ont pas été simples, la suite a vraiment rassuré Frédéric Thomas. Des sols aussi marginaux que les siens sont de vrais tests : ils expriment aussi vite les erreurs que les réussites. Aujourd’hui, la plupart ont gagné en autofertilité et l’agriculteur commence à voir l’intérêt d’une localisation de la fertilisation. « Plus votre sol est vivant, moins ses réponses sont instantanées. Il faut donc donner à la culture, un petit coup de pouce pour démarrer. Ensuite, le système se débrouille quasiment tout seul !  »

L’agriculteur estime aussi avoir gagné en eau. « Dans ces terres hydromorphes, le travail conventionnel consistait à labourer en planches. Dans mon système, j’ai réglé cette hydromorphie. Des couverts et des cultures performants en été pompent l’eau profonde et fissurent les argiles. Le sol passe donc mieux l’hiver. En été, l’eau est mieux stockée (matières organiques) et les racines vont la chercher dans les argiles qui, avant, les en empêchaient. J’estime avoir gagné 5 à 10 mm de RFU par an et je n’ai certainement pas besoin d’irrigation. »

Aujourd’hui, ses plus grosses réflexions concernent toujours la rotation. Sur les terres non drainées, il se dirige vers une base maïs avec certainement la succession maïs – couvert de dicotylédones et légumineuses / maïs semé dans le couvert vivant / triticale – trèfle violet sur deux ans / blé en direct dans le trèfle – couvert biomax / maïs. « Éventuellement, nous allons implanter le trèfle sous couvert de sarrasin ce qui donne, au total, sept récoltes, deux couverts pour six semis, en six ans. » Sur les parcelles drainées, qui fonctionnent mieux, la rotation, en cours, est maïs / pois – millet / blé - sarrasin sous trèfle incarnat – avoine diploïde / lin – soja / blé ou triticale – couvert biomax/ maïs. « Là, nous arrivons à six ans, pas moins de dix semis, dix récoltes pour un seul couvert. Pour le moment, jusqu’au trèfle, on maîtrise. Mais F. Thomas insiste : "Rien n’est figé. Le choix est fonction de notre connaissance des plantes, de leur capacité à se développer ici mais aussi des débouchés.  » Ces trois ou quatre dernières années, Frédéric Thomas se sent mieux. «  Il y a dix ans, j’avais une idée un peu vague de l’agriculture de conservation. C’est en maintenant le cap et, à chaque difficulté, en trouvant les solutions, qu’aujourd’hui, je sais que je suis vraiment entré dans l’agriculture de conservation. Mon système est de plus en plus cohérent, autonome et économe ».


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